Collectif canadien formé en fin de siècle dernier (1999 quoi), fondé par deux bûcherons Kevin Drew et Brendan Canning provenant de Toronto, Broken Social Scene est au départ un petit groupe axé autour de ses deux fondateurs, jouant du post-rock qui connaîtra un petit succès local. Un premier album sortira en 2001 nommé Feel Good Lost. La scène rock canadienne continue de grandir et Broken Social Scene fait partie de ce mouvement, leur permettant de tisser des liens avec des artistes de cette scène canadienne...

Broken Social Scene s’émancipe et devient un collectif rassemblant nombre d’artistes et intervenants réguliers. Ainsi à Broken Social Scene s’ajoutent des artistes comme Jason Collett, Leslie Feist, Emily Haines (Metric) ou Amy Millian (Stars). Le collectif s’agrandit et compte parfois une dizaine de personnes. You Forgot It In People sort courant 2002 sur le label Arts & Craft sur lequel sont toujours Broken Social Scene et cet album désigne un tournant dans la carrière du collectif canadien. Encensé et propulsé au rang de figure de proue de la scène indie-rock grâce à cet album, Broken Social Scene permet au monde de commencer à avoir les yeux qui se rivent vers ce pays d’Amérique du Nord...

2005, Arcade Fire a mis le monde du rock à ses pieds et ouvert une voie royale au Canada et sa scène rock. On se prend en pleine face un univers rock, créatif et novateur qu’on ne soupçonnait pas. Leslie Feist, Amy Millian et Stars, Emily Haines et Metric auront connu les joies d’une carrière seules ou avec leurs groupes respectifs. La sortie de l’album éponyme de Broken Social Scene est donc une attente rongeante... Et la bombe. Toujours usant de la même formule que You Forgot It In People, le Broken Social Scene nouveau cru se veut plus accessible, mais pas plus convenu. Au contraire, les compositions sont plus rock et percutantes, les instruments jouent plus fort, l’univers présenté est plus rythmé et limite envoûtant.

S’ouvrant sur un conventionnel et mettant dans de bonnes conditions Our Faces Split The Coast In Half, l’album éponyme de Broken Social Scene respecte son identité musicale, installant progressivement cette ambiance latente, ce maelström instrumentaliste mais néanmoins mélodique. Premier d’une longue lignée, le single Ibi Dreams Of Pavement (A Better Day) très haut perché, va cueillir les fruits d’une composition parfaite, à contre-rythme, des envolées aussi bien instrumentales que vocales de la part d’un Kevin Drew qui entonne un chant perçant et aigu. S’enchaîne un autre single, conventionnel, très entraînant et accessible 7/4 Shoreline chantée par la sublime Leslie Feist. Punchy et accrocheur, ce titre nous montre une des nouvelles casquettes revêtue par Broken Social Scene, cette casquette d’auteur de titres mêlant euphorie, rythmique et puissance. Car la voix de Feist porte et impose sa patte, sa griffe sur cette chanson au rythme on ne peut plus soutenu. Variant les allures et les postures, on retrouve dans le même acabit la très engageante Fire Eye’d Boy. Entre ces titres à faciès de singles annoncés, s’ajoutent du Broken Social Scene pure souche, du post-pop-rock comme on serait tenté de le décrire comme Major Label Debut ou Bandwitch.

Le meilleur nous est quand même réservé pour la fin, la cerise sur le gâteau, la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le disque est trop petit pour cette grandiloquence, ces envolées, ces explosions, cette créativité débordante et insatiable. It’s All Gonna Break est une bombe à retardement, une chanson allant de l’avant et nous entraînant sur son passage, une rafale sonique et mélodique. Kevin Drew mène sa barque sur un rivage situé loin, situé surtout très haut, trop haut même. Sa voix criarde et poignante, ses compositions puissantes et infaillibles, ses arrangements qui rendent le tout infiniment complexe et infiniment limpide à la fois, cette connivence à rendre la musique intuitive, ces petits détails qui font toute la différence - que dire de ces trompettes en fin de chanson qui sonnent l’assaut final, le cor de la victoire, rien, il n’y a rien à dire... - cette capacité inaltérable à se renouveler et constamment créer, jouer de la musique pour soi, pour les autres, pour se faire plaisir tout simplement.

Broken Social Scene est désormais incontournable, distillant cette attitude de création permanente, création musicale et artistique de groupe, de collectif. Avec trois albums dont deux désormais quasi-essentiels, Broken Social Scene est également une bête de scène, impressionnante, bruyante, hypnotique... La scène canadienne a sans aucun doute de très beaux jours devant elle.