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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 16 décembre 2008
paru le 28 octobre 2008 (4AD/Kranky)
Une pochette, belle, car troublante. Là, comme ça, on pressent qu’elle ne trahit pas son contenu. Mieux, qu’elle est à son image. Une introduction, un miroir nécessaire. Avant d’écouter Microcastle, le troisième opus de Deerhunter [1], on s’arrête sur le visage d’un garçon, qui pourrait presque être celui d’une fille. Longs cheveux, traits masqués, pas assez, on y devine une expression étrange. On ne sait pas : terreur, béatitude, fascination. Dans son oeil à découvert, se niche un crâne. Un rouge luminescent achève de recouvrir le portrait de son voile. Devant ces impressions, on imagine ; on écouterait la musique juste pour savoir ce qui traverse ce visage, qu’elle nous fera sûrement partager…
Après, la pensée revient au groupe, Deerhunter, dont on attendait le retour avec impatience. Leurs derniers titres parus sur un EP l’année dernière, avaient fait leur effet (grand). Registre psyché, abordé avec une simplicité lapidaire dans les motifs mais aux détonations impressionnantes. Deerhunter, ce sont des jeunes gens partagés. D’une part, ils aiment traîner du côté de "textures" opaques, sensitives, car ils adorent Brian Eno. De l’autre, ils aiment coller trois accords et jouer des mélodies simples, souvent avec des distorsions et un goût sérieux pour l’hallucinogène. Le précédent album Cryptograms faisait parfois, il est vrai, les frais de cette dialectique. Dorénavant, avec Microcastle, le groupe semble vouloir sortir de la tranchée, suivre une voie plus construite et surtout relativement plus pop.
Ce qui est bien, c’est quand un album capte l’attention dès les premières secondes. Ici, c’est le cas. Dans Cover Me (Slowly), en une minute, les guitares s’élèvent, d’emblée lascives, puis retombent. Des vocalises brouillées les accompagnent. Et tout de suite, il y a une tonalité qui esquisse les contours de ce qui suivra, un mot d’ordre, celui du fantasme (c’est ce qui nous apparaît). On est toujours content lorsque quelque chose s’impose à nous sans effort et en peu de temps. Sur ce, Microcastle ne nous décevra pas. Son univers est celui de la dream pop, du shoegaze, déjà terrains de prédilection du groupe. Mais en adoptant des traits plus doux, volontiers dégagés, leurs chansons paraissent respirer d’une mélodicité nouvelle. Les guitares tissent des petites lignes charmantes au sein d’Agoraphobia, tandis que la voix du guitariste Lockett Pundt susurre des "Cover me, cover me, comfort me, comfort me" blêmes. Batterie engourdie, guitares progressivement piquantes… si elles nous séduisent par leurs devants intimes et lumineux, on ne s’y trompe pas. L’oeuvre est habitée par l’angoisse et le malaise. Certes, Bradford Cox installe ses obsessions au coeur de nuages délicats de feedback, les subliment d’échos, les colorent d’harmonies 50’s. Mais les mots soufflés d’une voix trouble, répétés souvent à l’envi pour conjurer le sort, font basculer Microcastle dans un entre-deux captivant : musique de rayonnement pour substance mortelle.
En l’occurrence, et bien qu’il n’y ait rien d’aussi tranché que pour Cryptograms, l’album pourrait être partagé en trois moments distincts. Telle une progression mentale… La première allant jusqu’au titre Microcastle, rassemble des chansons aux formes évanescentes, avec guitares grésillantes et mélodies paroxystiques. Bien que lumineuse, elle constituerait une sorte de dévoilement du malaise. Vient ensuite une succession de titres brefs (Calvary Scars, Green Jacket, Activa) où l’instrumentation se fait plus ténue, les motifs obsédants, comme si l’abattement surgissait. Enfin, dans un dernier chapitre, on surmonte, on oublie : on revisite ses amours musicaux. Nothing Ever Happened, avec sa rythmique très ferme, pique au rock alternatif des années 90 bonhomie et fureur brouillonne, avant de plonger dans un final krautrock, ressassant le même motif avec des saturations. Neither Of Us, Uncertainly fait quant à lui songer à Slowdive. Ces trois moments créent ainsi une cohérence insidieuse, qui soudainement nous impose une évidence. Microcastle pourrait être la bande-son d’un film de Gregg Araki. Pas n’importe lequel : Mysterious Skin. Les deux oeuvres se rejoignent dans des fantasmes semblables. Ceux d’une adolescence irréelle, univers solaire et indolent, où affleurent soudainement réalité/malaise/angoisse. Mais avec une certaine grâce et poésie.
Microcastle nous plaît pour ces raisons. En fait, pour dire entièrement les choses, il nous plaît aussi parce qu’il apparaît comme un "petit" album. Petit au sens où il instaure une connivence. Petit car la beauté et l’originalité de ses mélodies ne comptent pas tant que le climat qu’elles distillent pour celui qui l’écoute. L’album a ses facilités, ses faiblesses, mais pour autant il crée un sentiment particulier. Il appartient à cette catégorie qu’on adore savourer de manière un peu exclusive, dans un cocon connu de nous seuls. Sans fondamentalement chercher à savoir pourquoi.
[1] L’album peut d’ores et déjà se parer d’un triste record : il a subi le leak le plus prématuré connu jusqu’à aujourd’hui - six mois d’intervalle entre la diffusion sur internet et la parution "physique". Pour pallier au malheur, le groupe fait publier Microcastle avec un CD bonus, Weird Era Cont., qui compile ce qui ressemble fort à des demos de travail pour un futur album. Légèrement sommaires donc, mais certaines ne sont pas inintéressantes.
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