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Cryptograms

Cryptograms

Deerhunter

par Yuri-G le 13 mars 2007

3

paru le 29 janvier 2007 (Kranky)

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En 2005 et 2006, Gris Gris et Liars avaient célébré, chacun dans leurs propres chapelles, le retour à une spiritualité déviante, façonnée à coups de méchants psychotropes et d’électricité perturbante. Pour For The Season, la communion était gorgée d’acide et débouchait sans crier gare sur un rituel vaudou sauvage, nourri de grandes incantations contre l’artifice flower power - car le nouveau siècle était évidemment à placer sous le sceau du chaos final. Drum’s Not Dead, lui, se revêtait d’une extase hallucinée, une messe noire coupée de flashs incandescents, où les croyants contaminés se prosternaient dans les gravats d’un hangar forcément industriel. Approximativement entre les deux, Cryptograms se place très sûrement, en 2007, dans cette lignée consacrée à l’introspection chimique, dont l’écoute pervertit les sens, leur injecte du flou et beaucoup de mauvais rêves.

Le son y est acide, évidemment, trouble et vaporeux, se rattachant tout autant à la noisy-pop de My Bloody Valentine qu’aux travaux ambient de Brian Eno, à l’esthétique psychée déglinguée des 13th Floor Elevators qu’à l’exubérance punk des Liars. Des confrontations qui aboutissent à une tranchée nette, duplicité revendiquée. L’album pourrait paraître sur deux faces et tout se tiendrait.

On y entre comme dans un demi-sommeil, traversé d’échos de basse, de ressacs non identifiés. Étrange, les sensations sont captées et déjà la chanson-titre Cryptograms laisse place à un rythme fébrile et des accords vénéneux. Avant qu’une tornade de crissements ne s’empare peu à peu de l’espace, mur de réverbérations indistinctes, densifié par une production qui invoque brillamment les heures glorieuses du shoegaze, ici entièrement débridé. Le chant lui-même se mue en une distorsion impersonnelle, désormais asservi à cette masse écrasante. White Ink assoit clairement la direction prise par Deerhunter : une dream pop réduite à ses esquisses sonores les plus fantomatiques, se contentant de superposer des déluges de guitares très lointaines : la grâce est révolue. On plane, mais l’immersion se fait à coup de sueurs froides, ainsi que le veut Lake Somerset, punk atmosphérique appuyé par une basse insistante et transpercé de guitares assassines - un chaos empoisonné. Pas de chansons, plutôt des climats instrumentaux qui se tissent d’un bloc, du genre passionnants pour certains, impénétrables pour d’autres. Révélant leur richesse de manière fluctuante, selon l’humeur, même si l’on est client du genre. Mais quand même, voir se télescoper le post-rock de Mogwai avec l’hédonisme funky de Madchester (dans Octet) reste attractif. Et Cryptograms a beau se faire bousculer les influences, il évite l’écueil référentiel et conserve une solide identité.

En plus, quand surgit Spring Hall Convert, bonne prétendante au titre de meilleure chanson psychée de l’année, on constate que Deerhunter a plus d’un atout dans sa manche. S’écartant en quelques simples accords ténébreux de la voie érigée jusque-là à coups d’écrans sonores, le groupe atteint une aura dépouillée immédiatement convaincante. Limpide et belle dans sa progression incendiaire, la chanson empiète avec éclat sur les territoires du Brian Jonestown Massacre. Étonnamment, le disque poursuit sur sa nouvelle lancée et ce jusqu’à la fin, s’imprégnant même d’innocence sur Strange Lights tout en conservant le ressenti trouble du shoegaze.

Curieux parcours donc, bien qu’un goût certain pour les brouillards poudreux puisse toujours unir les deux versants de Cryptograms. Non pas foncièrement éparpillé, mais comme incomplet. Ou insuffisant peut-être. Ou insaisissable. Surement une fatalité, celle de ces cocons atmosphériques qui se dissipent lorsqu’on cherche à les appréhender.



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Tracklisting :
 
1. Intro (2’50")
2. Cryptograms (4’17")
3. White Ink (4’59")
4. Lake Somerset (3’49")
5. Providence (4’08")
6. Octet (7’50")
7. Red Ink (3’40")
8. Spring Hall Convert (4’29")
9. Strange Lights (3’38")
10. Hazel St (3’48")
11. Tape Hiss Orchid (1’12")
12. Heatherwood (3’37")
 
Durée totale : 48:25