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mercredi 15 avril 2015
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par Oh ! Deborah le 27 novembre 2007
paru en octobre 2007 (Tee Pee Records)
Profusion de guitares spectrales, mélodies entrouvertes, voix atomisée. Sans fond, le trou est noir.
Qu’est ce qui peut bien se passer dans la tête d’un mec comme Bobby Hecksher ? Parano avouée, résignation. Persécution ? Son groupe à géométrie variable autrefois composé de huit personnes puis de sept se retrouve au nombre de quatre. Il s’est fait dévaliser son appartement, soit par une bande de musicos sans un sou, soit par un ancien pote revanchard de son talent, on n’en sait rien. Et il y a certainement plein d’autres choses. Mais l’important, c’est qu’avec ce quatrième volet des Warlocks, Bobby veut prouver qu’il lui reste la musique.
Le chanteur-guitariste a toujours aimé appartenir au genre dark psychédélique traité à coup de reverb et autres distorsions. Les cyclones brouillardeux et les mélodies ondoyantes, il connaît bien. Et ça ne le dérange pas d’être catalogué, n’hésitant pas à citer ses références pour qu’on comprenne bien où il veut en venir. Parce que dès Rise And Fall, il avait déjà tenté cette démarche mais un manque de direction donnait l’air à ce premier album d’être un simple trip de défonce. Bobby a ensuite évolué, d’abord avec le fabuleux Phoenix aux ambiances parfaitement mesurées, ensuite avec Surgery, tour à tour sombre, bon et moins bon, et qui contenait encore quelques tubes qui auraient pu cartonner. Heavy Deavy Skull Lover, c’est autre chose. On radicalise et revient sur les expérimentations en y ajoutant plus de profondeur et une bonne dose de pulsions suicidaires. Parce que cet album n’a plus d’espoir et se fout de tout, il va tout droit dans le mur du son.
A première vue, c’est un chaos sonore, un rock broyé déjà entendu mais il y a bien longtemps. Pour certaines plages, faut savoir s’il s’agit toujours d’une expédition dans les typhons grandioses du rock hallucinatoire, ou d’une arnaque aux élucubrations irréfléchies. Et puis, on décèle très vite que malgré les simplistes élans noisy ou arpèges anéantis du superbe The Valley Of Death il y a aussi une sincérité aveuglante, des mélodies déchirées, ainsi qu’une réelle perspective : un fil conducteur tout en mouvements harmonieux, ceux qu’on retrouve dans les onze minutes épiques de Moving Mountains. Les cymbales dominent, les guitares mélodiques sont enrobées de noise alors que d’autres carillonnent. Mais, plus que jamais sur certains titres, il y a une volonté expérimentale d’exploser et de tout foutre en l’air. Pour assurer l’aboutissement cataclysmique de ses morceaux, Heavy Deavy Skull Lover ne met aucune barrière, sauf celles qui permettent à cette expansion d’être progressive.
Les failles : Interlude In Reverse. On regrette que le groupe se soit laissé aller à cette futilité qu’est de passer un morceau de bruit blanc à l’envers, seul passage à vide, sauf pour les quelques secondes qu’il a de psychopathes. Et puis la production frêle, bancale à certains moments, pour un album qui se veut entier, rond et abondant. Enfin, on a quand même la mauvaise impression, sur quelques passages, que le compositeur joue un peu trop la carte d’un bruitisme gratuit, en oubliant la finesse des mélodies -notamment des guitares- qui illuminaient les albums précédents.
Même si parfois, ça marche. Face à des morceaux comme So Paranoid ou Slip Beneath, on s’incline. Pour l’âme que Bobby a mis dedans, et pour les riches idées d’arrangements qui se profilent. L’une est une ballade tranquille dont la guitare chante et résonne sa mélancolie cosmique avec une voix qui s’abandonne, nous chuchotant au creux de l’oreille des insanités fantasmagoriques et des morbidités paranoïaques. Sur l’autre, les guitares qui viennent s’ajouter se confondent et se répondent, ne formant pas vraiment une mélodie mais tissant une spirale de sons compactés, puis nuancés, hypnotiques, qui muent dans un rythme percutant et plein d’échos, comme pour constuire - chose rare - un monument qu’avec du bruit. Heavy Deavy Skull Lover balance ses explosions caverneuses, ses larsens assourdissants [1], ses rythmiques faites de remous lorsqu’elles ne sont pas krautrock, et toujours, ses couches de reverbs moites et abstraites. La devise des Warlocks, on la connaît, "Destroy and rebuild". Ainsi quand vient Zombie Like Lovers, ce sont des atomes de flammes, des alarmes aiguës puis assommantes, un faisceau de ruines, une locomotive de sons bouillonnants au rythme acéré et ultra répétitif. Des plaines broussailleuses qui prennent feu, illuminant un cimetière nuiteux.
Dreamless Days trépasse et se fraie alors son espace langoureux, rappelant les jolis slows de Surgery. Toujours, le chant est effacé, balayé par les nappes d’un orgue enivré et le classique voile de guitare à la Jesus And Mary Chain. Pour se finir, Death, I Hear You Walking remet la couleur. Jamais les Warlocks n’ont été aussi perdus. Conjuguant langueur et trip chamanique malsain, pleurant des fragments de mélodies comme des gouttes de sang. La voix malade décline et se dédouble. Et l’on décèle l’ombre de Syd Barrett ici et là. Les Warlocks sont passés par divers stades ; celui du romantique Surgery et de ses miettes passablement désespérées n’est plus. Ici, les fuzz grincent et les visages font la grimace dans des abîmes circulaires qui n’ont pas vu la lueur terrestre depuis trop longtemps.
[1] "Je ne savais pas qu’un larsen pouvait être aussi triste", dixit Nonoostar
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