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par Thibault le 11 novembre 2008
Paru en 1972, réédité en 2008 (Asadia)
Je ne commencerai pas cet article par la litanie trop courante sur les « chefs d’œuvres oubliés », les « groupes cultes », les « pépites méconnues », etc. Non pas que l’album en question soit mauvais, loin de là, mais ne comptez pas sur moi pour vous faire des tartines sur la vie de Randy California, son destin blablabla, l’oubli de son œuvre qui devient culte chez les « gens qui savent », ce genre de conneries. Assurément, l’un des vrais maux du rock, et notamment de la critique, est cette propension à réévaluer constamment le passé à la hausse. N’importe quel album sorti il y a tant d’années, et ayant telle micro particularité à peine plus signifiante que les pensées philosophiques de Ted Nugent, devient « culte » par ici, « chef d’œuvre oublié » par là. On construit du faux mythe à peu de frais. L’excellent livre Le Dictionnaire Snob du Rockologue mord à pleines dents cet écueil en disant que paradoxalement, la critique n’est jamais aussi unanime que lorsqu’elle se penche sur le cas des chefs d’œuvres oubliés ! Sans tomber dans l’autre extrême (un ultra jeunisme ou un ultra classicisme type « en dehors de Pink Floyd, point de salut », tout aussi inconsistant) il faut se montrer critique ; les chefs d’œuvres restent rares, s’ils y en aient qui restent méconnus pour X raisons, et que l’on redécouvre avec le temps, on ne redécouvre pas soixante douze masterpieces du passé par semaine.
Toute cette intro tarabiscotée pour quoi ? Et bien il se trouve que l’objet de cet article, l’album Kapt. Kopter and the (Fabulous) Twirly Birds, daté de 1972, a été fraîchement réédité, avec bonus tracks, et donc chroniqué à droite à gauche. Qualifié de « grand album qu’Hendrix n’a pas eu le temps d’enregistrer » (carrément !) à droite, de « chef d’œuvre psychédélique » à gauche, etc. Il est vrai que Kapt. Kopter est un excellent disque, remarquable en bien des points. Mais, comme j’ai tenté comme je le peux de le clarifier, ce disque n’est pas un album culte ceci cela, un trésor du passé enfoui sous le poids des années. Il s’agit juste d’un excellent disque, ce qui n’est déjà pas si mal. Un excellent disque, peu connu parmi tous les excellents disques peu connus qui sont sortis hier et qui sortent aujourd’hui. Maintenant que ce micro billet d’humeur/préambule foireux plutôt nécessaire est fini, on peut s’attaquer au vif du sujet, qui consiste à faire découvrir le premier album solo de Randy California, qui n’a rien de culte, etc. (vous commencez à voir où je veux en venir, je pense) et qui est quasi inconnu pour un milliard de raisons valables.
D’abord présentons rapidement Randy California. En 1972, le monsieur ne va pas très bien. Il ne joue pas avec son groupe Spirit, il déprime, rien de culte ni d’exceptionnel. Du coup, pour se remettre d’aplomb, il décide d’enregistrer un album en hommage à son idole Jimi Hendrix. Si on s’arrête là, ce n’est pas très excitant, je vous l’admets, un péquin de base avec le moral à zéro qui s’attaque à rendre hommage à l’un des plus grands guitaristes du siècle, ça n’empêche pas de dormir. Mais Randy California sait ce qu’il veut. Tout d’abord il emmène avec lui Noel Redding, ancien bassiste de The Jimi Hendrix Experience (quitte à rendre hommage, autant le faire le mieux possible). Il ne veut pas non plus de jams (inter)minables. Qu’on ne compte pas sur lui pour lancer l’enregistrement, puis jouer pendant vint minutes au petit bonheur la chance avec trois potes derrière. Au contraire, en bon élève qu’il est, Randy California a retenu la leçon du Voodoo Child ; concilier le feu d’artifice guitariste avec la concision et l’énergie qui convient au rock & roll. Autre parallèle avec l’œuvre d’Hendrix (au-delà du son de l’album, qui évoque immédiatement Are You Experienced ?), Kapt. Kopter est, tout comme Electric Ladyland, un pur produit de studio.
En effet, Randy California double, et triple même ses parties de guitare, les étirant, rajoutant des overdubs, superposant plusieurs lignes, les croisant. Sur le génial Downer, il joue et dédouble un riff d’anthologie en enregistrant deux parties différentes en stéréo, avant de partir dans des solos sur trois pistes ( !) qui s’évanouissent et se succèdent, le tout avec une incroyable fluidité. Et, cerise sur le gâteau, Randy California prend le risque de ne pas faire comme 95% des lead guitarists du monde, c’est-à-dire s’appuyer sur un rythmiste qui mouline inlassablement les trois même riffs pendant que l’autre récite ses gammes. Il préfère brouiller les pistes, jouer un riff, le déplacer, le faire disparaître et réapparaître ailleurs, tout en portant le morceau sur une vague de guitares cristallines. Des vagues… Oui, un océan de guitares limpides, faussement à la dérive car suivant toujours une dynamique ondulatoire. Rien au dessus ni en dessous, les guitares suivent le mouvement régulier des vagues qui viennent de loin, arrivent sur la côte et se retirent, cédant leur place à de nouvelles. Tout en surprenant toujours grâce à la diversité et la richesse des sons que Randy California tire de ses différentes guitares et pédales. Ici c’est un riff de wha-wha aqueuse, ici un solo de cry baby ou encore des milles feuilles de fuzz. Le tout sur des compositions de haut niveau, qu’elles soient originales (Downer par exemple) ou signées par d’autres. Ainsi Randy California revisite à sa sauce plusieurs titres des Beatles ou des The Mamas & The Papas. Si Day Tripper reste proche de l’originale, Rain et Things Yet To Come sont deux monuments de réappropriation, deux perles qui montrent l’étendue du talent du guitariste.
Mais tout cela ne vire jamais au simple déballage guitariste. Chaque morceau est porté par un groove haute énergie. Noel Redding et les différents batteurs qui se succèdent en studio drivent tous les morceaux avec une précision millimétrique et un punch qui évoquent forcément l’Experience (des rumeurs disent que plusieurs parties de batterie ont été enregistré par… Mitch Mitchell). Même les morceaux les plus longs (le duo Things Yet To Come/Rain) rebondissent dans des tourbillons de guitares énervées ou de percussions en tout genres (Things Yet To Come est joué avec deux batteurs et un percussionniste). Et sans être un grand chanteur, Randy California n’oublie pas les mélodies, celles de Rainbow ou Mother and Child Reunion sont remarquables, et montrent que l’ancien guitariste de Spirit et ses sidemen savent aussi bien tisser des morceaux ambitieux que jouer de véritables chansons. Alors, sans crier au chef d’œuvre intemporel qui déboîte des hérissons, on ne saurait que conseiller cet excellent album à tous les amateurs de gratouillage de guitare, et on le conseillera tout particulièrement à tous les fans des aliens type Steve Vaï, Michael Angelo et autres manieurs de guitares à 26 manches, sans compter les fonctions cafetière et cuisine d’été.
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