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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 25 mai 2010
paru en mai 1989 (Silvertone), réédité en septembre 2009 (Sony)
Ainsi c’était il y a vingt ans, en 1989. Les Stone Roses publiaient leur premier album. Vingt années de pop music plus tard, l’époque est déjà inaccessible. Après, il y eut Nirvana, Radiohead, Elliott Smith, les Strokes... Les belles œuvres n’ont pas cessé d’abonder. Pourtant, celle-ci luit d’un éclat redoutable, et aujourd’hui encore troublant. En effet, par delà les errances critiques, tout ce relativisme ambiant qui cherche à faire ou défaire les œuvres, sans but sinon la force (l’orgueil) de l’affirmation, The Stone Roses ne faiblit pas. Sans entame. L’album est splendide, il a marqué et influencé. Sa luxueuse réédition-anniversaire est là pour disposer un éclairage revigorant : sur des chansons désormais classiques, leur genèse, leurs insolents créateurs. La célébration d’un album-frontière.
Pour ce faire, une salve de formats a été déployée. En résumé : édition dépouillée, étendue ou fanatique (celle-ci comprend CD, vinyle, livre, DVD et même... une clef USB). Bref, on tombe sur l’entre-deux, l’édition "étendue". Album, démos et DVD, c’est amplement suffisant. Cette inflation de coffrets peut paraître exubérante, mais l’époque le veut bien. Et pour peu qu’on accorde de l’importance à l’objet, la réédition des Stone Roses suffit à être appréciée. Le précédent CD sans attrait est remplacé par un joli fourreau frappé de lettres dorées, dans lequel s’enclave un livret simple mais précieux. Sur la pochette, les fameuses éclaboussures du guitariste John Squire, et à l’intérieur, photos, notes de chacun des membres (sauf Squire, qui décidément a tiré un trait sur l’histoire). Tout cela est déjà bien soigné.
En parcourant les quelques lignes du critique John Robb, on est replacé au coeur de l’intrigue. Manchester, l’apogée de la house, les clubs, l’ecstasy : ce qu’on a appelé Madchester. Les Stone Roses étaient immergés dans cette nouvelle mouvance. Comme le dit Robb, ils étaient le groupe parfait de cet instant. Façonnés par cette culture, il leur fallait en émerger et la dépasser. Cela explique au mieux pourquoi The Stone Roses est un grand disque. Comme beaucoup de chefs d’œuvre, il est la parfaite adéquation d’une musique avec son époque, inséparable de celle-ci, tout en offrant à l’auditeur du présent un sentiment impérissable de beauté. Une musique tributaire mais libre. Les Happy Mondays peuvent sonner datés aujourd’hui, parce qu’ils étaient Madchester pieds au plancher, sans issue. Les Stone Roses jamais. Ils incarnaient tout autant Madchester mais surent préserver le fragile équilibre entre modernité et grâce.
L’album a eu droit à une remasterisation pilotée par les intéressés, Ian Brown et John Leckie. Particulièrement admirable, il faut dire. Le son est d’une puissance inédite. Brown et Leckie ont remis en valeur son opacité, le poids psychédélique des effets et des teintes. Un rapide comparatif avec le précédent master confirme cette sensation de renaissance. Le déploiement reptile de I Wanna Be Adored devient ébouriffant, s’il ne l’était déjà. She Bangs The Drums, Waterfall, I Am The Resurrection : d’une pièce maîtresse à l’autre, les mélodies se découvrent une vitalité nouvelle, à travers les arrangements nimbés d’arpèges carillonnants, de rythmiques et de basse denses, panoramiques. C’est un honneur fait aux ambitions psychées des Stone Roses. Comme jamais, leur album se célèbre en odyssée du genre. Il décante ce qui l’a précédé (des Byrds à New Order et The House Of Love), et édicte ce qui est à venir (Screamadelica, Oasis, la britpop). Marquées par des ascensions fulgurantes, les mélodies puisent à la fois dans des contours spacieux et hypnotiques - rattachés à la house contemporaine - et des refrains d’une évidence cristalline. The Stone Roses est bel et bien un album-frontière, entre deux époques, deux mondes ici entrelacés. Entre la transe et ses perceptions décuplées, et une pop en ligne claire. Ceux qui s’y prélassent encore sont frappés par la nostalgie qu’il diffuse. Il capture la quintessence d’un temps, puis, en un même élan, souligne la fugitivité de celui en présence.
Revenus à la réalité, on remarquera que le reste du coffret comprend également un album de démos. Celui-ci s’apparente en fait à un travail documentaire, attachant mais pas plus. Obligatoirement, la prise de son est fluette. Ian Brown caquette un peu sur Bye Bye Badman et les mélodies, encore rachitiques, n’ont pas cette envergure qu’on leur connaît. Pourtant, ce recueil témoigne de leur métamorphose à venir, grâce à la production de John Leckie. Ce sont des chansons capturées avant leur légende, et en cela elle possèdent quelque chose d’émouvant. En fin de parcours, on trouvera l’inédit Pearl Bastard, déterré pour l’occasion. Sans bouleversement. Pour finir, le DVD live soulagera quelque envie de voir Ian Brown arpenter une scène avec un yo-yo aux doigts. Son corps dodeline dans des halos verts, bleus, rouges, John Squire est impassible derrière sa Gretsch, Reni expansif sous son bob, il y a des éclats, des ravages, des longueurs, de l’insouciance et de la morgue. La routine d’une époque déjà inaccessible.
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