Portraits
The Stone Roses : une légende taillée XL

The Stone Roses : une légende taillée XL

par Our Kid le 25 octobre 2005

Alors que Manchester et l’Angleterre sont orphelins de The Smiths, un groupe va réussir en une année à redonner la joie de vivre au royaume et à créer une nouvelle scène musicale, la scène baggy.

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Quatre années dans l’ascenseur

Contrairement à une idée communément admise, The Stone Roses ne sont pas apparus durant l’explosion baggy de 1989, dite Madchester. L’histoire du groupe commence six années plus tôt avec la rencontre de Ian Brown et de John Squire, deux adolescents des faubourgs de Manchester qui décident de former ensemble un groupe, bien que Squire ait joué dans des combos depuis l’âge de 13 ans. Ils trouvent rapidement des amis intéressés pour les accompagner et se produire.

À ses débuts, le groupe ne correspondait, cependant, en rien à ce que l’on attendait d’une formation de Manchester : on n’y retrouvait pas la musique house de Chicago, aucun de ses membres ne portait de Doc Martens et c’était un groupe à nuance rock. Ils avaient en Pete Garner un bassiste aux cheveux longs, le chanteur Ian Brown revêtait des pantalons en cuir et on pouvait apercevoir des éclaboussures de peintures sur les chemises du guitariste John Squire. En fait, ils étaient difficiles à cerner car ils semblaient si étrangers à la musique de Manchester. Le passé du groupe était lui-même trouble. On l’avait connu comme une formation mod d’Altrincham, The Patrol, l’antithèse des groupes qui sévissaient alors sur le label local Factory, puis comme une bande de rustres en scooter appelée The Waterfront. Dans The Patrol, on retrouvait Ian Brown à la basse, Simon Woolstencroft à la batterie ainsi que Andy Couzens et John Squire aux guitares. The Waterfront vacilla rapidement, avant de se réunir finalement dans des locaux de répétitions enfumés et imbibés de bière de Stockport sous le nom de Stone Roses, au moment où il s’adjoignit les services du talentueux et polyvalent Alan Wren, dit ‘Reni’, à la batterie. À cette époque, Brown avait déjà abandonné la basse pour se consacrer au chant.

Leur premier concert eut lieu en 1984 au Moonlight Club d’Hampstead où, bizarrement, ils se produisirent devant un Pete Townshend (leader du groupe légendaire The Who) enthousiaste qui invitera le groupe à jammer sur des versions de Substitute et Pictures Of Lily. D’ailleurs, le chanteur Ian Brown se souvient de ce tout premier concert : « Quand on a fait notre premier concert, il y avait un tas de personnes avec des cheveux noirs et des toiles d’araignée. Ils étaient vraiment déçus de nous voir monter en uniformes noirs et chemises blanches comme les Beach Boys, avec nos cheveux courts. »

En fait, le public crut que le groupe était goth du fait de son nom qui évoque les églises poussiéreuses et les cimetières désolés, une vieille architecture de pierres sculptées. « Le nom du groupe était une contradiction, quelque chose de dur et quelque chose de beau, quelque chose bruyant mais mélodieux », sourit John Squire. Et Ian Brown d’ajouter : « Il a été choisi pour être heureux, pas pour être goth ». Il semblerait toutefois que le nom du groupe provienne d’un obscur thriller des années 1950... Inévitablement, The Stone Roses furent pris pour des goths, bien qu’à l’époque, ils étaient plus proches musicalement de la puissante et pompeuse pop des rockers pour stades, comme The Chameleons, issus du nord de Manchester et totalement oubliés depuis.

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dans le sens des aiguilles d’une montre : Brown (en bas à gauche), Reni, Couzens, Garner et Squire

Armé d’un manager en la personne d’Howard Jones, qui dirigeait également le label Thin Line, le groupe entra en studio sous la direction de Martin Hannett, producteur de New Order et pilier du label Factory Records. Un premier single, So Young, paru en septembre 1985 sous le label de Jones, était décrit comme caractéristique de la scène de Manchester et de son image déplorable. Il semblait dire : « Lève-toi de ce pieu et arrête de te plaindre ! »... Ce premier single mettait le groupe mal à l’aise et était considéré, au sommet de la frénésie Stone Roses, comme une « merde » mais dont le jugement a évolué depuis : en 2000, Brown révélait « Non, ce n’était pas un horrible premier disque. En fait, il était explosif. Le premier remix de cette chanson par Martin Hannett était la chose la plus extrême que j’ai jamais entendu. Il avait mis la tonalité au maximum. C’était si fort que ça a fait exploser le nez de Reni. Sérieux. Du sang partout. Le remix de Martin Hannett lui avait nettoyé le pif ! À la fin, on a dû sortir une autre version pour le public, une version plus calme. C’est un disque fantastique ».

Pour promouvoir So Young, le groupe ne trouva rien de mieux que couvrir le centre de Manchester de graffitis se résumant aux mots « STONE ROSES ». Tous les monuments de la ville furent taillés au spray. D’Albert Square à la statue de la Reine Victoria, tout y était passé, ce qui suscita un émoi sans précédent et mit en alerte les journalistes du Evening Standard. Les gredins furent rapidement dénichés et cet événement provoqua un formidable afflux de public en concert et leur fournit une notoriété mais, à long terme, ce geste s’avéra une véritable erreur. L’hostilité vis-à-vis du groupe dura pendant trois ans et empêcha les favorables critiques locales d’aider la carrière d’un groupe qui était d’ailleurs stigmatisé comme un résidu d’hooligans. Toujours est-il que The Stone Roses se cherchait toujours une identité musicale.

C’est à cette époque que le groupe s’enferma en studio avec Hannett pour enregistrer une poignée de chansons. Mais une organisation chaotique, un producteur peu impliqué, des répétitions à n’en plus finir et le manque de cohésion au sein du groupe mirent fin à ces séances, ainsi qu’à la collaboration avec Hannett. La bande à Squire avait besoin d’un catalyseur mais ne le trouva pas avec le producteur. Le résultat émergea toutefois en novembre 1996 sous la forme d’un album, intitulé Garage Flowers qui contient des démos de chansons ainsi que tout le matériel composant à l’époque le répertoire des Mancuniens.

Après ce semi-échec, le groupe fit une rencontre qui modifia totalement la donne en lui procurant une résidence quasi-permanente au club The International. En effet, alors que les musiciens traînèrent un soir au club, ils tombèrent sur le gérant, un certain Gareth Evans, qui se mit immédiatement à les « draguer », de sorte qu’il devint rapidement leur nouveau manager et leur fournit un endroit où répéter tout en se démenant auprès des maisons de disques où il parlait de ses protégés comme « d’un très grand groupe de rock ». La ville entière était couverte de posters géants lors de concerts du groupe et Evans n’hésitait pas à attaquer la presse locale qui snobait le groupe.


Une formule musicale enfin trouvée

Cependant, en dépit de « l’embargo » qui frappait toujours The Stone Roses, un deuxième single parut en mai 1987, un petit bijou intitulé Sally Cinnamon qui constitue à la fois une ballade pop parfaite et une indication du son que le groupe développera l’année suivante. Sally Cinnamon fut un autre échec commercial, du fait d’un engagement peu inspiré conclu l’année précédente avec une petite maison de disques, FM-Revolver mais enrichit néanmoins des millions de discos locales et apaisa les esprits les plus pessimistes à propos du groupe.

L’Angleterre découvre The Stone Roses à travers une chronique de Dave Haslam faite dans l’hebdomadaire musical NME, à propos d’un concert au Manchester International, le 1er août 1987. Haslam s’enthousiasme : « La musique en elle-même est un combat de styles ; une lutte entre le bien et l’affreux [...] Ils ont le frontman le plus magnifique, un vainqueur né, le chanteur le plus mobile et excitant vu cette année.[...] Ils ont le meilleur jeune batteur de tout Manchester, une obsession (j’imagine) pour les années 60 et, (à en juger par le public de ce soir) une capacité, au moins, à vous faire enlever votre chemise ».

C’est à cette époque que le guitariste Andy Couzens quitta le navire, à la suite d’une violente altercation avec Evans, immité rapidement par le bassiste Pete Garner. Pour le remplacer à la basse, on recrute Gary Mounfield en provenance du combo mancunien The Mill. Il participa à son premier concert le 13 novembre 1987 à l’International One de Manchester avec Inspiral Carpets en première partie. Mounfield joua tout le concert dos au public et ressemblait à un enfant terrifié. Qui pouvait se douter ce soir-là qu’il allait devenir dans les mois qui suivirent l’homme sauvage du rock que nous voyons aujourd’hui à l’occasion ? Désormais, The Stone Roses comprenait dans ses rangs, Ian Brown, John Squire, Gary Mounfield - qui reçut le surnom de ’Mani’ - et Alan ’Reni’ Wren.

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de gauche à droite : Mani, Reni, Brown et Squire

L’étape suivante consistait à trouver un label sérieux qui se dévouerait tout entier aux Stone Roses. Suite à un faux départ avec Rough Trade, le groupe signa avec Jive/Zomba pour publier ses disques auprès de sa ramification Silvertone. « Jive Records est un label de dance mais avait besoin d’un groupe de rock blanc. On est celui-ci », précise simplement Brown.

Tout justes signés, les quatre entrent en studio et enregistrent en octobre 1988 leur premier single pour le label, Elephant Stone, qui est, d’après un mystérieux Ian, « à propos d’une fille... que je ne ne revois plus ». Produit par Peter Hook de New Order, groupe mancunien le plus connu et influent de l’époque, le single semble définitivement contenir les éléments que recherchait le groupe durant des années : un côté pop qui contient des éléments spatiaux, des sonorités réalisées avec des bandes inversées, une mélodie et des relents psychédéliques dignes de la grande époque des années 1960. Les ventes du single sont phénoménales dans le nord de l’Angleterre et le disque se comporte également bien dans les charts nationaux.

C’est à ce moment-là que la presse s’intéresse au groupe et, bien que peu expansifs, elle découvre progressivement le passé de chacun de ses membres ainsi que ses influences musicales. Les quatre communiquent peu mais font preuve, toutefois, de sagesse, de lucidité et parfois même d’humour. De fait, Brown, qui a déjà 25 ans mais s’entête à affirmer qu’il n’en a que 22, raconte qu’il avait l’habitude, à 17 ans, d’aller danser dans des boîtes Northern Soul à Manchester et Blackpool même si sa véritable passion résidait dans la boxe. Côté musique, il révèle qu’il avait un oncle qui essayait de l’imprégner de Led Zeppelin durant sa grande enfance. En grandissant, il découvre le reggae et la dub à travers des artistes comme Augustus Pablo, Sly And Robbie, influences que l’on retrouve également chez Mani. Squire, quant à lui, a été bercé par des compilations d’Elvis Presley, des Beatles ou encore de Peggy Lee. Il va même plus loin en affirmant qu’il « n’[a] pas écouté de mauvaises chansons avant de quitter la maison de [ses] parents ». Ce côté rock est partagé par Reni qui n’écoute pratiquement que du heavy rock alors que ses compères sont plus réceptifs à la house ou la dance.

En ce qui concerne les motivations qui les ont poussés à se réunir, la réponse est sans appel : « On voulait en finir avec des groupes comme U2 à l’époque. Ils étaient pompeux et si énormes. Pourtant, ils n’avaient rien à dire. », se rappelle Brown. Et Mani de renchérir : « La musique s’engouffrait alors dans une mauvaise passe. OK, on avait New Order et The Smiths. Mais on devait également endurer Kajagoogoo et toute cette merde. Quelque chose devait arriver ». D’autre part, cette année-là, le groupe décrivait son histoire comme deux ans passés dans l’ombre et deux ans à Manchester, ce qui semble parfaitement résumer leur lente ascension.


The Stone Roses : succès immédiat

En février 1989, sort le quatrième single du groupe, Made Of Stone, un classique considéré depuis comme l’une des meilleures chansons de tous les temps ou, tout du moins, des années 1990. Loin de l’exubérance des autres productions de l’époque, le morceau se veut hypnotique et présente un solo de guitare digne d’Hendrix ou de Pink Floyd, tout en faisant la part belle à la voix mi-chantée, mi-parlée de Brown. Il sera choisi, et c’est mérité, single de la semaine par le magazine NME.

« Made Of Stone parle de faire un vœu et de le voir se réaliser. Comme marquer le but de la victoire en finale de coupe...sur une Harley... déguisé en Spiderman », s’amuse John. Premier grand succès du groupe, on retrouve ce tube sur leur premier album qui est alors la suite logique de ce que réalisent les Mancuniens depuis six mois. Les quatre commencent à répandre, à ce moment-là, leur style et leur attitude comme la poudre à canon ; de manière explosive. Au niveau vestimentaire, les habits portés sont de taille XL et l’on voit rarement Reni sans un bob Kangol sur la tête. Ce nouveau code vestimentaire fait désormais partie intégrante du groupe au même titre qu’il représente aussi bien la scène baggy de Manchester que la « révolution » de l’Ecstasy.

Bien qu’il fut un temps envisagé de confier sa production à Sly et Robbie, The Stone Roses, album éponyme, est finalement produit par John Leckie (qui a officié par le passé chez Pink Floyd, Simple Minds, The Fall, XTC...). Derrière une pochette intrigante et originale réalisée par Squire et qui s’apparente à une imitation du peintre Jackson Pollock - le groupe ayant souhaité y faire figurer une véritable œuvre de l’artiste mais, devant son prix, le guitariste dût se résoudre à l’imiter -, on distingue l’emprise du groupe sur ses morceaux, ses pochettes, son look, signe de leur extrême motivation. Sorti le 29 avril 1989, The Stone Roses, offre tout au long de ses onze pistes une musique rafraîchissante, définitivement originale en comparaison avec les productions de l’époque, qui s’imprègne au plus profond de l’auditeur dès la première écoute. La patte de John Leckie y est sûrement pour quelque chose mais il serait injuste de résumer la musique de The Stone Roses à l’unique maîtrise de studio du producteur. Ce dernier se trouva même surpris par la technique des quatre et considère Mani et Reni comme la meilleure section rythmique du royaume et apprécie Squire comme un grand guitariste. « Toute la publicité autour du groupe - ces hooligans alcooliques, drogués et malades sexuels - n’était pas vraie. Je buvais plus de bières qu’eux. Ian ne buvait pas de bières, ils buvaient un verre de vin pendant le déjeuner, il n’y avait pas de bouteilles de Jack Daniels ou dans ce genre-là ».

Enregistrés hors des bases du groupe, dans la campagne avoisinant Londres, chaque morceau tient sa place et offre une vision inédite du groupe, comme un kaléidoscope qui présenterait une face avant d’en montrer une autre.

Ainsi, le morceau inaugural, I Wanna Be Adored, véritable déclaration d’intention avec son refrain hypnotique et son intro qui fait place à une basse surpuissante de Mani, deviendra-t-il un moment de bravoure en concert. Les morceaux suivants, She Bangs The Drums et Waterfall, semblent suivre tranquillement le sillon tracé par le morceau inaugural. À l’écoute de ces morceaux, Leckie suggère de les faire sonner comme Simon & Garfunkel ou The Byrds, ce qui explique la baisse de la batterie et de la basse mais surtout le son de guitare, semblable à celui qui sortait des doigts du Roger McGuinn lysergique de 1965. Don’t Stop est ainsi simplement Waterfall joué à l’envers avec des percussions sonnant comme des coups de feu et quelques paroles écrites par Squire. Incontestablement, l’un des morceaux les plus groovants, qui symbolise à merveille ce que sera la bande sonore du second « Summer Of Love » durant l’été 1989.

Elizabeth My Dear se positionne comme une encartade acoustique d’à peine une minute, sorte de pastiche du Scarborough Fair de Simon & Garfunkel. L’album contient également Made Of Stone, ainsi qu’un morceau de clôture long de huit minutes, I Am The Resurrection et son final désespérément funky. Sur ce morceau, on retrouve les paroles « I am the resurrection and I am the life » qui sont, d’après Squire, inspirées d’une publicité religieuse lue à Manchester : « il y avait une énorme église en ville qui avait un gros panneau d’inscription avec ces paroles-là dessus ». Avec ce morceau-là en guise de final, nul doute que The Stone Roses constitue un album unique et qui allait décomplexer toute l’Angleterre musicale. Le disque attint la 19ème place dans les charts en 1990 et fut suivi par une foule de clones, qui tentèrent, style vestimentaire à l’appui, de copier les Mancuniens, sans toutefois y parvenir.

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Cressa sur scène

Toujours est-il que pour un premier effort, The Stone Roses avait frappé fort. On a rarement vu dans l’histoire du rock de premier album aussi bon depuis, peut-être, The Clash. Le rouleau compresseur est en marche...
Fort du succès de l’album et des perspectives qui s’ouvre désormais à lui, The Stone Roses s’adjoint les services de Steve Cresser, dit ’Cressa’ pour le rôle non-officiel de cinquième membre. Il est en fait recruté pour aider Squire à faire face avec ses pédales FX qui devenaient trop compliquées pour le commun des mortels, même avec deux pieds. Bien que non-rémunéré, Cressa reste important pour les quatre et, pour les fans, constitue la traduction corporelle de la musique des Stone Roses - « parce que ce salaud sait danser » - et, finalement, le danseur à la tête rasée et leader de déconnade joue un peu le même rôle que Bez pour les Happy Mondays.


Commence ainsi la tournée des clubs anglais où l’île est traversée de long en large. Dans le bus de tournée, le temps est occupé à écouter PiL, Burning Spear, Jimi Hendrix et The Rolling Stones, même si à l’écoute de Sympathy For The Devil, Brown peste : « On nous a dit qu’on avait des possibilités de percer au Canada avec les Stones si on les voulait. Mais bordel, on n’ouvre pas pour eux. Ils devraient ouvrir pour nous. Ça en est même obscène qu’ils puissent encore tourner. C’est une honte qu’ils n’aient pas d’amis qui aient envie de leur dire d’arrêter tout ça ». La même attitude s’applique aussi bien à l’encontre de Bon Jovi et de Guns’N’Roses.

Cette assurance teintée d’arrogance constitue la force du groupe qui n’hésite plus, lors d’interviews à aborder le sujet des drogues qui inquiète les journalistes étrangers à la scène baggy et qui n’ont jamais mis les pieds dans des clubs comme la Hacienda à Manchester ou encore qui refusent de croire en la réalité de « la génération Ecstasy », même si les quatre ne font pas partie de cette scène-là. Brown admit : « On vient peut-être de Manchester mais on ne se voit pas comme une continuité d’une quelconque scène mancunienne. Le monde ne commence pas et ne se termine pas plus à l’Hacienda et ce qui nous intéresse, c’est conquérir le reste du monde ». Il est vrai qu’à l’écoute de leur album, une certaine lysergie flotte dans la production ainsi que dans certaines images concoctées par Brown au niveau des paroles. Le retour à l’abstrait et les esquisses que réalisent Squire en guise de pochettes, procurent au groupe une notoriété de groupe intello, au même titre que The Smiths, autre fierté de Manchester, qui ont récemment splittés.

En juillet 1989, sort un nouveau single, She Bangs The Drums, extrait de l’album, qui sert à capitaliser le succès du groupe et à ne pas relâcher la pression, voire amplifier la hype. Atteignant le top 40 des charts, le single paraît durant la tournée d’été sur l’île qui empêche de fait le groupe d’enregistrer, même si au mois d’août, ils rapportent qu’ils ont un single de prêt pour septembre et dont la pochette sera sûrement ornée d’un dauphin peint par Squire, en rapport avec les paroles du morceau. Tous comptes faits, cette annonce ne se réalisera pas puisque pendant un séjour du groupe en France en novembre, Silvertone publie un imposant single, une double face A, What The World Is Waiting For/Fools Gold qui connaît immédiatement un succès foudroyant en raison, notamment de Fools Gold, un morceau funky à souhait, dans la tradition de Sly & The Family Stone, et qui concrétise à merveille cette volonté de briser les barrières entre le rock et la dance music. Maintes fois remixés dans les années qui allaient suivre, ce morceau est le plus dansant du répertoire des quatre et reste emblématique de la musique de cette année, décidément riche pour The Stone Roses et c’est sans surprises que le single atteint le top 10.

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The Stone Roses et Cressa

La fin de l’année permet au groupe de se produire sur le continent, notamment en Scandinavie et aux Pays-Bas mais également de remplir le London Alexandra Palace de 7,000 places et confirme ainsi de la plus belle des façons que 1989 restera définitivement l’année des Stone Roses. Se sentant sans rivaux, Brown, un brin titilleur, précise, qu’à l’approche de Noël, il « aime bien voir [ses] disques grimper dans les charts et voir ceux de Kylie (nda : Minogue) et Phil Collins descendre.(...) Parce que [il] croit que [le groupe] a plus de valeur. » Il ajoute également que faire partie d’un groupe, « c’est juste pour les drogues gratos et les filles »...

1990 : l’apogée de The Stone Roses

Si 1989 s’était avérée une année extraordinaire pour le groupe, 1990 commença plutôt mal. Pour être précis, les ennuis commencèrent même en décembre 1989 avec la parution du single Sally Cinnamon. Second single du groupe et paru en 1987 chez FM-Revolver, le single avait atteint deux ans plus tard le sommet des charts indépendants en raison de la popularité du groupe.

C’est ainsi que, voulant profiter du succès de la bande à Brown, le label ressortit le single et l’accompagna même d’un clip, le tout, sans que les Mancuniens n’aient eu leur mot à dire. Pour promouvoir Sally Cinnamon, la direction de FM-Revolver prétendit qu’elle avait eu un entretien avec Gareth Evans pour lui demander que le groupe apparaisse dans le clip mais que ce dernier et leur manager avaient catégoriquement refusé. Le clip fut diffusé sur MTV et il est apparu qu’il a précisément posé problème au groupe. « On a décidé d’aller dans le bureau de FM-Revolver tout de suite après avoir vu le clip », raconte Ian. « On devait s’envoler au Midem (nda : réunion européenne de l’industrie musicale) à l’origine, parce qu’on avait entendu dire qu’ils (nda : le patron et sa petite amie) étaient là-bas. On devait s’y rendre et lui balancer la peinture en pleine face mais on a appelé et on a réalisé qu’il s’était barré de Cannes un jour plus tôt donc on a dû attendre. Ce n’est pas vraiment à cause du disque mais plutôt du clip vidéo. Filmé à Manchester, il y a ce type assis dans Piccadilly Station en train de lire The Face...c’est putain d’insultant. »


Extrêmement remontés, les quatre se rendirent le 30 janvier au siège du label et ravagèrent le bureau du boss, Paul Birch, après l’avoir littéralement insulté, lui et sa petite amie, pour le clip de Sally Cinnamon. Ils aspergèrent tout l’intérieur du batiment de peinture et firent des photocopies de leurs séants qu’ils placèrent dans chaque pièce. En sortant des bureaux, ils brisèrent la vitre arrière de la Mercedes series 200 de Birch et la « redécorèrent » avec les restes de peintures, ainsi que deux autres voitures, une Datsun Sunny et une Metro MG, des dégâts d’un montant estimé à £22,000 (soit 33.000 €). La bande retourna aux studios Rockfield au Pays de Galles mais fut arrêtée dans la nuit par la police qui les ammena passer une nuit au poste.

Cet acte constituait une pure vengeance à l’égard de Paul Birch mais le groupe était conscient des risques encourus et notamment judiciaires. John, ironiquement, déclara : « Je ne savais pas que l’expressionisme abstrait était un délit criminel ».
Alors que le groupe était occupé à boucler leur prochain single, One Love, la justice reconnut en mars les quatre coupables - comment pouvait-il en être autrement puisque la police avait réveillé Squire le soir de l’événement et découvert des vêtements couverts de peintures près de son lit ? - et condamna, en octobre, chaque membre à une amende de £3,000 (soit 4.500 €) mais prévint que si le groupe n’avait pas eu une telle notoriété, ses membres auraient été emprisonnés.

Cette première « tracasserie » judiciaire fut suivie d’une autre concernant toujours FM-Revolver qui affirmait que le groupe était toujours sous contrat avec elle et réclamait des indemnités sur les royalties qu’elle aurait due percevoir, à moins que The Stone Roses ne s’engagea à régler les £22,000 de dégats occasionnés le 30 janvier.
Tandis que la sortie de One Love était repoussée du fait de la durée du procès, Silvertone mis sur le marché en mars une réédition de She Bang The Drums, histoire de maintenir la hype autour de ses protégés.
En mai, le groupe participe au festival de Spike Island où la prestation du groupe est plutôt bonne, en dépit des ennuis judiciaires que connaissent les quatre. Les peintures de Squire étaient pour la première fois diffusées derrière le groupe pendant son passage et le concert se termine même sur un feu d’artifice qui ravit les 40.000 festivaliers, d’autant plus que ceux-ci ont pû découvrir le prochain single, One Love.

Prévu de longue date (le groupe en parlait comme pouvant sortir en septembre 1989), One Love paraît finalement en juillet 1990 et était, du fait des annonces à son sujet et des déboires du groupe, particulièrement attendu car c’était la première production originale de l’année pour les quatre et que tout le monde se demandait comment il était possible de faire mieux que l’étourdissant Fools Gold. À l’origine, le morceau durait huit minutes mais a vite retrouvé un format plus « diffusable » sans pour autant satisfaire les attentes énormes qu’il occasionnait, même si la télépathie musicale qui lie le groupe est toujours présente (la virtuosité de Squire faisant toujours merveille) et que le morceau ne constitue pas une pop évidente. Le single se comporta bien dans les charts, néanmoins, appuyé pour cela par un clip mettant en scène le groupe jouant au milieu des flammes et qui le montre plutôt en forme. Après cette parution, The Stone Roses s’envola pour sa seconde visite au Japon pour quelques dates mais n’est toujours pas pressé de tourner aux États-Unis car, d’après ses membres, il est impossible de faire 40 dates et d’assurer tous les soirs, ce qui les avait amené à annuler deux passages au Madison Square Garden de New York et au Forum de Los Angeles.

Avec le verdict final du procès qui se tint en octobre, le groupe avait perdu quasiment une année complète et sa seule réalisation se résumait à One Love et des concerts. Malgré tout, il n’est pas inexact de considérer 1990 comme l’année de la reconnaissance internationale, l’année où le groupe a traduit sur scène le succès de 1989, l’année où tous les grands festivals anglais et européens reclament The Stone Roses en tête d’affiche, l’année où Stone Roses = Manchester = Grande Bretagne et que, en dépit d’une production moindre et de quelques nuages qui assombrissent l’avenir du groupe, le succès et la frénésie sont toujours présents.


Péripéties judiciaires et retraite

Alors qu’en décembre on pouvait lire dans la presse que le prochain album des Mancuniens serait disponible au printemps 1991, on apprend dans les premiers jours de l’année que les quatre retournent en procès contre, cette fois, leur actuelle maison de disque Silvertone et que, de fait, l’album ne sera pas en rayon « avant au moins une année ». Le litige entre les deux parties porte sur le contrat qui les lient, le groupe assurant disposer d’une clause lui permettant de signer pour un autre label à tout moment mais, bien que convoité par plusieurs majors, la décision ne sera pas prise avant novembre, compromettant la réalisation d’un second album.

En mai 1991, Silvertone libère de son contrat le groupe, désormais en mesure de signer avec la toute puissante Geffen Records (Nirvana, Sonic Youth...) qui courtisait avidement The Stone Roses. Le deal a été conclu par le manager Evans qui se traduit par un contrat de cinq albums et une avance de 2 millions de livres (soit 3 millions €), même si une rumeur persistante affirme que cette dernière s’élèverait à £20 millions... Histoire de ne pas sortir trop perdante de l’affaire, Silvertone fait paraître en septembre dans les bacs un single, le seul pour l’année, I Wanna Be Adored, extrait de The Stone Roses, ce qui satisfait les fans, bien que le matériel ne soit pas original. L’ex-label du groupe récidive quatre mois plus tard en publiant Waterfall.

À cette même période, en janvier 1992, une source proche du groupe affirme que l’album ne sortira pas avant l’automne car le procès de l’année passée aurait affecté la créativité du groupe. « À la fin du procès, John Squire a montré au groupe ce qu’il avait écrit - et les autres se sont retournés et ont dit que ce n’était pas suffisant. Plutôt que de filer en studio, le groupe souhaite bien faire les choses. Ils réalisent qu’ils ne peuvent pas compter sur la hype ». Une rencontre au sommet est prévue durant l’été entre les quatre, Evans et le nouveau label Geffen pour fixer les stratégies pour 1992 même s’il n’existe pas de plans immédiats pour voir le groupe en concert. « Ils sont devenus riches d’un coup. C’est comme gagner aux courses. »

Cependant, en février, une nouvelle étape dans la carrière du groupe est franchie avec l’éviction d’Evans en tant que manager. Pièce centrale de la réussite de la bande à Squire, figure emblématique du manager qui se démène pour ses protégés, Evans entre, lui aussi, dans la machine judiciaire en exigeant du groupe une compensation financière de l’ordre « d’au moins un million de livres », rappelant qu’il est l’auteur de la signature du faramineux contrat avec Geffen et reclame sa part pour le rôle qu’il a joué. Bien évidemment, ces actions en justice qui se succèdent à la vitesse de la lumière, les fortunes mises en jeu et l’absence « musicale » des idoles font les choux gras de la presse mais exaspèrent les fans qui se demandent si The Stone Roses est bien le groupe qu’il a connu trois années plus tôt. Les seuls signes de vie des quatre sur disque résident dans la parution de I Am The Resurrection sur Silvertone en avril, pratique qui cesse car l’ex-label a quasiment sorti en single tous les titres de The Stone Roses. Il faut dire que face à l’inertie du groupe et de son label, Silvertone parvient à faire croire qu’il est toujours dépositaire du catalogue des Mancuniens grâce à des rééditions de singles ou encore via la parution de la compilation Turn To Stone en juin de cette même année qui regroupe tous les enregistrements parus sur singles, hors album.

Désertant les plateaux de télévision, les ondes, les concerts et les charts, le groupe entre alors dans une retraite qui rend difficile toute reconstitution précise de son emploi du temps, le plus juste étant de laisser les intéressés en parler eux-mêmes. Juste après avoir signé chez Geffen, les Roses ont eu ce que Brown appelle « une année de vie » qui comprend « des voyages, la paternité, passer plus de temps avec [sa] famille - vivre un peu quoi ! Il y a toujours des choses à faire, n’est-ce pas ? Sexe, football, n’importe quoi. Il y a un monde entier là, en dehors du studio ». À savoir si Squire ressentait une pression avant de se remettre à enregistrer, le guitariste répond que « Oui. Ca n’avait rien à voir avec la pression extérieure. Je pensais juste à ce moment que le temps tournait et qu’on devait s’y remettre. Je me souviens avoir sérieusement pensé à ne plus jamais faire d’autres disques et juste faire des concerts. »


Retour en studio et réhabilitation

En juin 1993, la bande à Squire se retrouve de nouveau pour enregistrer quelque chose, avec le but de réaliser l’album promis depuis des mois. Cependant, le groupe, à l’instar des Beatles durant les séances d’enregistrement de Let It Be, ne retrouve pas la complicité et les automatismes qui lui avaient permis quatre ans plus tôt de faire souffler un vent de fraîcheur sur le royaume. La coupure d’une année a visiblement désuni les quatres anciens inséparables et c’est en ordre dispersé que les troupes se rassemblent en studio. L’album dispose d’hors et déjà d’un titre, Second Coming, sensé illustré à la fois le retour du groupe et l’avènement d’une nouvelle ère. Les séances d’enregistrement s’étalent dans le temps du fait du nombre de compositions et de la volonté de Squire de fournir aux morceaux une production importante.

Néanmoins, il apparaît que ce qui retarde le plus l’enregistrement de l’album réside dans les relations qu’entretiennent les quatre entre-eux. L’envie, le plaisir et l’amitié ne sont plus là. Chaque membre devient paranoïaque, pas aidé, il est vrai, par la consommation de drogues des différents protagonistes.
Ainsi, pendant ces sessions, Squire consomme énormément de cocaïne tandis que Brown engloutit des montagnes d’herbe. Après les meilleurs amis du monde, on retrouve désormais des individualités s’asseyant dans des pièces différentes du studio avec sa propre pile de « poison » et jouant rarement ensemble. L’obsession de Squire, compositeur de la quasi-totalité des morceaux, est de faire sonner les chansons comme celles de Led Zeppelin, Hendrix ou The Who, ce qui suppose une prédominance des guitares, au détriment parfois des autres instruments. De plus, Squire exige que toutes ses chansons figurent sur l’album.

Ainsi, ce qui procure des tensions chaotiques peut être résumé à travers des propos tenus par Brown en février 1998. Il se souvient que «  ...on a triché avec Reni and Mani. John faisait 17 overdubs de guitares sur certaines chansons, avec la basse et la batterie baissée. Le crime le plus grave est que Mani et Reni n’avaient toujours pas la possibilité de montrer leur talent. Il (nda : Squire) les a volé. Reni avait menacé de quitter le groupe depuis quatre ans déjà. Il voulait le faire juste pour contrarier John, mais il ne voulait pas le blesser. Je ressentais la même chose. »
« J’avais l’habitude de l’appeler Zeus », se souvient le bassiste Mani de Squire. « Pendant qu’il était au sommet du Mont Olympe il pensait sûrement que je travaillais dans une putain d’usine sur son flanc. Il vous jetait un coup d’œil avec un dédain absolu ».
Ian précise également : « Second Coming ne nous a jamais pris cinq ans, ça nous a pris 14 mois ! On a été en procès jusqu’en 92. Et quand on a commencé à enregistrer en juin 93, John ne voulait soudainement plus travailler avec nous. »

En guise d’avant-goût de Second Coming, Geffen publie Love Spreads en novembre 1994. Une intro à la guitare digne des idoles de Squire donne une indication du son adopté par The Stone Roses pour leur nouvelle livraison. D’ailleurs, on jurerait entendre une nouvelle version de Moby Dick ou de Whole Lotta Love de Led Zeppelin. Ce single surprend car il tranche singulièrement avec les disques précédents des Mancuniens, bien que la basse groovante de Mani soit toujours présente tout comme le chant assuré de Brown. Après de longues vacances, comme pour se rattraper, le retour des idoles d’hier est pour le moins « vitaminé » ; le son est plus énorme qu’un buffle gonflé à l’hélium !

Autre indication de l’ambition du groupe, Second Coming est prévu pour sortir le mois qui suit et se mêler à la lutte pour gagner le lucratif marché des fêtes de fin d’année.
Cependant, à la sortie du tant attendu opus, le 10 décembre, le groupe n’est plus vraiment à la mode et, un comble, il est éclipsé par une autre formation de Manchester, largement influencée par le groupe et qui possède un frontman tout aussi charismatique, Oasis.
Second Coming atteint finalement la quatrième place dans les charts, un retour en demi-teinte, certes mais qui se serait transformé à coup sûr en triomphe s’il eût été sorti quelques semaines plus tard. Brown, à sa sortie, en est plutôt fier : « Je pense que Second Coming est un super disque de rock. C’est difficile pour les groupes anglais de faire un grand disque de rock, mais on l’a fait. Mon seul problème était que je ne voulais pas que les gars essaient de copier Led Zeppelin parce que je pensais qu’ils étaient meilleurs que Led Zeppelin. Ça reste toujours un bon disque mais je ne pense pas qu’il ait la pureté du premier. »

En effet, au-delà de sa sonorité d’ensemble lorgnant vers le blues-rock, Second Coming présente des thèmes plus introspectifs, plus graves, où la mort côtoie un certain désenchantement. D’ailleurs, ces sentiments se retrouvent sur la pochette de l’album, d’une noirceur étonnante si on la compare avec celle de The Stone Roses. Des ambiances inhabituelles, voilà de quoi se compose Second Coming : celle idyllique de Breaking Into Heaven et de ses onze minutes où se mêlent chants d’oiseaux et guitare wah-wah, celle bluesy de Driving South et à un degré moindre Love Spreads, celle terrifiante de Begging You menée par une guitare omniprésente et la voix filtrée du chanteur. L’album dispose même de deux perles acoustiques : Your Star Will Shine et Tightrope (avec sa tentative d’harmonies à trois voix). How Do You Sleep et Tears semblent constituer les morceaux les plus réussis de ce double album, en tout cas, ceux où les éléments caractéristiques des quatre semblent cohabiter le mieux avec le son d’ensemble de Second Coming.
C’était prévisible mais la presse adhère difficilement à cette livraison du groupe, car désireuse de la comparer avec son formidable album éponyme, ce qui irrite ses membres.
Mani : « Je pense que certaines personnes espéraient quelque chose qu’elles ne trouveraient jamais dans cet album. Elles cherchaient quelque chose de similaire au premier album mais on ne voulait pas devenir U2 et sortir le même album quatre fois. Ce n’est pas vraiment important ce qu’en pensent les media. Ce qui est important pour nous, c’est ce que pensent les gens dans la rue et tous ont été assez positifs. »


Le début de la fin

Pour son retour sur le devant de la scène, le groupe engage un nouveau manager, Doug Goldstein, celui qui a conduit Guns’N’Roses au sommet, avec le but de faire tourner le groupe aux États-Unis et d’accroître encore plus la réputation de Geffen comme dénicheur de talents. Alors que les tournées se profilent, la maison de disques met en février 1995 sur le marché Ten Storey Love Song, extrait de Second Coming et qui est peut-être le choix le plus pop du double album, le plus diffusable et le moins déroutant ; bref, le single idéal.

En avril, à l’entame de la tournée européenne, un coup dur retentissant secoue le groupe et son encadrement : le batteur Reni annonce son intention de quitter The Stone Roses et l’annonce de façon définitive dans les colonnes de l’hebdomadaire NME : « Ca y est maintenant, j’ai quitté le groupe. Je ne suis plus le batteur. Il se passe d’autres choses mais dorénavant je ne suis plus le batteur », tout en précisant ses motivations : « Je dois faire des priorités en ce moment. Je n’ai pas vu ma fille depuis quatre semaines et elle me manque. J’ai besoin de m’en aller et de la voir ». Dix jours avant de prendre la route, le groupe perd définitivement un élément moteur, l’âme de The Stone Roses, son musicien le plus doué mais également le plus frustré. L’attitude de Squire durant l’enregistrement de Second Coming, les longues vacances et les soucis judiciaires qui ont jalonné les quatre dernières années ont finalement eu raison de Reni qui, semble-t-il, aurait « ouvert les yeux » et relativisé son statut de musicien star.

Alors que cette perte aurait handicapé plus d’un groupe, The Stone Roses, devant les perspectives alléchantes qu’engendrent les tournées et le regain d’hystérie dont il fait de nouveau l’objet, décide de maintenir les dates et de se présenter le 19 avril à Oslo avec le batteur de studio Robbie Maddix pour compléter son orchestre. Malgré ce remplacement, la tournée continentale se présente plutôt bien et le groupe joue souvent à guichets fermés. Pour fêter son retour sur le devant de la scène, les organisateurs du festival de Glastonbury, événement prisé par tous les musiciens britanniques, invitent le groupe à se produire dans la campagne anglaise le 24 juin et ce, en tant que tête d’affiche où il doit côtoyer Oasis notamment.

Ce qui doit marquer le retour en grâce du groupe et l’assurance de son standing retrouvé va finalement constituer un échec de plus. Le groupe n’avait plus joué au Royaume-Uni depuis cinq ans mais sa prestation annoncée fut finalement annulée purement et simplement ! La raison est pourtant logique : Squire s’est blessé quelques semaines auparavant lors d’une chute à vélo et s’est fracturé la clavicule, l’empêchant de tenir une guitare. Bien que maintenue un temps, la participation au festival fut finalement annulée lorsqu’il s’avéra que la blessure était plus sérieuse que prévue.

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de gauche à droite : Maddix, Mani, Brown et Squire

The Stone Roses différèrent donc leur retour pour la fin de l’été en promettant d’autres dates mais cette annulation ne put empêcher les fans d’exprimer leur colère. La saison des festivals se poursuivit néanmoins pour le groupe, les concerts s’effectuaient dans de bonnes conditions et les foules, extatiques, avaient le droit à une prestation de choix regroupant tous les tubes du groupe. La set list type des quatre pour cette année-là était souvent la suivante : ouverture du concert avec la « sainte trinité » I Wanna Be Adored, She Bangs The Drums et Waterfall puis enchaînement avec Ten Storey Love Song, Daybreak, Your Star Will Shine, Tightrope et Love Spreads du dernier album puis une fin glorieuse avec deux sommets de The Stone Roses, Made Of Stone et I Am The Resurrection, pour environ une heure de musique.
En novembre 1995 paraît Begging You, nouveau single mis sur le marché avant une série de concerts en Angleterre et au sortir d’une tournée annulée en Amérique du Nord et en Australie, Geffen n’ayant pu réussir son pari d’imposer le groupe au pays de l’Oncle Sam. Depuis le mois de juillet, les quatre ne se sont que très peu reposés mais les engagements se multiplient et l’année 1996 offre au groupe de nouvelles opportunités de se produire.

Cela devient récurrent depuis un certain moment mais lorsque le printemps arrive, un coup dur s’abat sur les Mancuniens sans prévenir. Ce coup-ci, la nouvelle fait l’effet d’une bombe lorsqu’elle est révélée, obligeant même Jo Whiley à interrompre son émission de Evening Session du 25 mars sur Radio 1. Il s’agit du départ de Squire de The Stone Roses. Les membres du groupe, prévenus le 21 mars restèrent complètement choqués par cette annonce qui a été officialisée lors d’un communiqué de presse du guitariste le 1er avril (!) : « Après une longue délibération, c’est avec regret que j’annonce ma décision de quitter The Stone Roses. [...] et je vois cela comme la conclusion inévitable de la séparation musicale et sociale graduelle que nous avons subis durant les dernières années (...) ».
Cette séparation devenait logique si on repense aux tensions qui avaient accompagné l’enregistrement de Second Coming, puis l’éviction de Reni, ce qui donnait au guitariste l’impression qu’il ne faisait plus tout à fait partie du même groupe. À cela s’ajoutent ses problèmes de cocaïne et sa volonté de jouer du rock, là où Brown et Mani voulait orienter la musique vers de l’électronique.

Le reste du groupe publie également un communiqué où il annonce qu’il continuera même s’il reste surpris de la décision de Squire. Au passage, les musiciens présentent Nigel Ipinson, ancien clavier d’OMD et qui accompagnait le groupe en concerts l’année passée, comme membre à part entière des Stone Roses. Avec ce forfait imprévu qui tombe sur les Mancuniens, il va sans dire que les dates de concerts sont annulées et le groupe passe plusieurs mois à engager un nouveau guitariste pour composer une poignée de chansons. Cependant, dans leur malheur, les musiciens se voient offrir une occasion inespérée de participer aux grands festivals de l’été puisque celui de Reading se propose de les placer en tête d’affiche pour l’évènement du 25 août, aux côtés de Rage Against The Machine, Sonic Youth, Black Grape ou encore Garbage, pour ce qui doit être leur premier concert de l’année.


Festival de Reading 1996 : la fin du groupe

Ce concert est également l’occasion de présenter à la presse le nouveau guitariste, Aziz Ibrahim, une connaissance de Manchester qui vient compléter l’orchestre qui devient dès lors un quintette. La conférence de presse qui précède leur prestation se transforme rapidement en règlements de compte entre Brown, Mani et leur ancien compère Squire dont l’ombre plane sur ce festival. C’est au tour de The Stone Roses de monter sur scène ce dimanche 25 août pour ce qui s’apparente à un Third Coming.

À l’arrivée du groupe, les hurlements extatiques de la foule se font sentir, comme à l’accoutumée. La magie semble flotter dans l’air lorsque Brown se présente majestueusement sur le devant de la scène. Puis la ligne de basse de Mani sur I Wanna Be Adored surgit, faisant son effet habituel ; le groupe est bel et bien de retour... mais quelque chose de terrible se produit soudainement. Ian Brown commence à chanter. Et là, non seulement le public se retrouve en face d’un chanteur pas du tout dans le ton mais, de plus, il ne semble pas heureux d’être présent, comme vidé d’émotions. Il en devient même horrible. Où est passé le Brown shamanique et sexy qui faisait vivre la scène durant les concerts précédents ?

« Il y avait plein de gars qui se marraient de sa voix et plein d’autres personnes tristes », se souvient John Robb de Gold Blade. Le concert se termine toutefois et l’on put apprécier la performance du guitariste Ibrahim, même s’il ne remplace pas, évidemment, Squire. Le public, les fans et la presse sont unanimes sur la performance de ce soir : « un désastre », « The Stone Roses sont devenus un ‘comic tribute band’ », John Peel, célèbre DJ, parle même de « karaoké ». Les autres groupes comme Ash, se souviennent d’une performance « terrible » avec un son « affligeant ».

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de gauche à droite : Brown, Ibrahim, Mani, Madix et Ipinson

On le voit, l’ambiance n’est pas au mieux au sortir du festival et, bien que leur nouveau manager parle du retour des cinq en studio, il apparaît que Reading demeure l’ultime prestation scénique du groupe et que, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est sur I Wanna Be Adored que Brown a été victime des railleries du public. Finalement, les critiques, les départs et une certaine lassitude signèrent l’arrêt de mort de The Stone Roses et des rumeurs envisageaient même un départ de Mani pour Primal Scream, ce que confirmera Ian Brown personnellement, trois semaines plus tard, le 29 octobre à travers un communiqué, immité en cela par le bassiste. Les propos de Brown sont explicites : « Après avoir passé les dix dernières années dans le business le plus pourri du monde, c’est un plaisir d’annoncer la fin de The Stone Roses (...). »
Quant à Mani, il précise : « Après de multiples spéculations, j’ai décidé, en accord avec Ian Brown, qu’il était temps de refermer la saga des Roses. Je vais rejoindre Primal Scream (...) »
Après ces ultimes déclarations, les ex-membres se tairont pendant plus d’un an, le temps de digérer cette sortie de route et cette tragédie.

À cette époque, Squire forme un groupe, The Seahorses et s’apprête à enregistrer une poignée de chansons dont un probable single. De leur côté, Brown, Maddix, Ibrahim et Ipinson se retrouvent pour travailler sur des chansons de leur chanteur dans le but d’enregistrer un album solo. Quant à Mani, il enregistre également avec la bande à Bobby Gillespie.

Interrogé début 1998 sur les derniers jours du groupe, alors que ses enregistrements s’achevaient et qu’un single, My Star, était disponible, Brown admit que « les prestations vocales à Reading étaient terribles. Mais à l’époque, tout ce que je voyais étaient des bras en l’air et 60.000 visages souriants, donc j’étais heureux » et ajoute que ce qui a causé la perte du groupe, c’était « l’argent et la coke ». En février sort le premier album solo de Brown, Unfinished Monkey Business, un album original avec de très bonnes mélodies, des expérimentations sonores un peu folles, auxquelles ont participé Mani, Ibrahim, Maddix et Ipinson. Sur Can’t See Me, on retrouve même Reni à la batterie ! Mani parle, enthousiaste, de ce premier opus solo comme d’un « retour au style traditionnel des Roses, comme le premier album. Ian laisse les chansons parler d’elles-mêmes ».

Pendant que le travail de Brown est apprécié, à juste titre par la presse britannique, Squire et ses Seahorses sont, au contraire, démolis par la critique après quelques singles peu inspirés où l’omniprésence du guitariste conduisait le groupe à ne pas jouer. Squire saborda logiquement son groupe après la parution d’un album, Do It Yourself en 1997 et s’est fait des plus discrets depuis.

Le batteur Reni, bien que revenu en studio avec Brown, a depuis raccroché ses baguettes et se consacre à sa vie familiale. Mani fait toujours partie intégrante de Primal Scream et sort régulièrement de bons albums avec les Ecossais. Parallèlement, c’est également un « guest » de choix que l’on retrouve notamment sur l’album Scorpio Rising de Death In Vegas. Brown, de son côté, publie régulièrement des œuvres solo même s’il avoue prendre son temps.

Presque dix années se sont écoulées depuis les derniers méfaits de The Stone Roses et une génération de musiciens, tels les frères Gallagher d’Oasis, réclament aujourd’hui ouvertement une reformation du groupe, semblable à celle qui a réuni The Stooges, Pixies, voire Bérurier Noir. Il semblerait que l’idée ne serait pas pour déplaire à Brown. Mani et Reni répondraient présents au moindre coup de sifflet. Reste Squire. La rancœur qui a suivi son départ et son attitude l’ont éloigné de ses anciens compères depuis bientôt dix ans. Acceptera-t-il de jouer de nouveau dans un groupe qu’il a quitté ? Rien n’est moins sûr. Mais avec The Stone Roses, la jeunesse éternelle a une signification. Sa musique n’a, en effet, pas pris une ride et qu’on se rassure, ils seront toujours « the resurrection ».

 [1]



[1Références bibliographiques :

  • Magazines : Q Magazine, Loaded, New Musical Express
  • Ouvrage : From Joy Division To New Order : The True Story Of Anthony H Wilson And Factory Records de Mick Middles, ISBN 0 7535 0638 6

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