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par Oh ! Deborah le 5 mai 2009
Trop rock’n’roll pour être vrai ? Pas toujours. Quelque part, en Californie, une vingtaine de personnes se sont concertées, disputées, trahies, séparées... Aujourd’hui il n’en reste plus que cinq. Ils se fichent de tout et même d’eux-mêmes. Leur union est mince mais leur musique est volumineuse, pleine, entière, clairvoyante dans les ténèbres.
The Warlocks ont le charme indéniable de ceux qui ont arpenté les rues dégueulasses des plus grandes villes américaines, lorsqu’ils n’étaient pas cloîtrés entre quatre murs, en train d’écouter religieusement leurs poussiéreux vinyles dans l’amertume d’un avenir inexistant. Ils sont là, à nous regarder avec deux diamants noirs à la place des yeux. Ils portent des santiags défoncées. Bobby Hecksher s’habille de tissus exclusivement sombres. Lorsque les Warlocks tournent dans le monde, c’est dans leur monde, visage fermé et guichets ouverts. Avec plus rien à perdre, tête baissée. Ils ne la relèvent que sur scène, pour déployer leur puissance sonore pleine de grâce et de courage. Ceci est l’histoire d’un des groupes les plus fascinants de notre génération.
Les Warlocks ont à peine bénéficié d’un succès d’estime. Et leurs ventes ne représentent que moins de bénéfices, au grand désespoir de Bobby Hecksher, qui, à l’instar de certains groupes indépendants, ne considère pas le succès comme une maladie. Plus encore, il est conscient de son talent, et a toujours espéré pouvoir en triompher. Aujourd’hui, il se déclare néanmoins chanceux de faire partie de « ce grand cirque de monstres qui n’arrête pas de changer de forme » . Peu importe les changements de line-up (dix-neuf musiciens ont déjà eu leur rôle au sein des Warlocks), le groupe est pour lui sa « vraie famille ». Parce que la musique est tout ce qui compte, pour toujours. Sa musique, il l’a bâti en tubes simplement grands ou en superbes aventures pop et psychédéliques pleines de crescendos. Les critiques comparent les Warlocks à Spacemen 3, Jesus And Mary Chain, le Velvet ou encore Neu !. Les Cramps et David Bowie affirment aimer les Warlocks. Tandis que le groupe est ami avec BRMC, Brian Jonestown Massacre et dit adorer le Krautrock, il y a fort à parier qu’ils ne sont pas non plus indifférents à My Bloody Valentine ou encore Mazzy Star. Pourtant, Bobby Hecksher, leader mystérieux, chanteur et guitariste, a plus qu’une poignée d’influences avec lui. Il possède le mystère d’un gourou assez doué pour jeter les sorts d’un son tout en fumée.
Bobby Hecksher naît en Floride dans des Marais de Tampa Bay. Sa mère est secrétaire dans les studios de radio de son grand-père, lequel diffuse du rock’n’roll depuis 1950 afin de révolutionner la Floride. Bobby passe beaucoup de temps à découvrir des disques historiques. Cependant, il se fait ses propres goûts et n’a de cesse d’écouter les Sex Pistols et les Misfits alors qu’il n’a que douze ans. Lorsqu’il a seize ans, sa famille déménage à Los Angeles. C’est là que Bobby verra sa carrière musicale prendre source. Très vite, il se tourne vers Sonic Youth, The Butthole Surfers, puis Joy Division, The Cure, Spectrum et Spacemen 3. Il fréquente d’ailleurs le leader de ces deux derniers groupe : Sonic Boom, qu’il rencontre en 1993 et pour qui il a énormément d’admiration. Il commence par jouer du violon, puis de la basse pour Beck (sur l’album Stereopathetic Soul Manure) avec lequel il partagera un appartement, puis apprend la guitare. Il collectionne des instruments, des gadgets, et va régulièrement passer ses soirées au club "Mad Hatter", en compagnie de Timothy Leary, théoricien californien des acides en tout genres. Inutile de qualifier le genre de milieu dans lequel Bobby évolue. Entre temps, il trouve son premier travail : la conception graphique de jeux vidéos pour Dreamworks. Trois ans plus tard, il quitte la société pour faire des jobs tels que vendeur chez des disquaires, livreur de nourriture... « En attendant des jours meilleurs ». À l’âge de 19 ans, il prend sa passion en main et monte plusieurs groupes comme les Charles Brown Superstar et The Magic Pacer. Plus tard, il participera à la formation Brian Jonestown Massacre. Et un jour, il décidera de rassembler sept personnes (dont lui-même) pour construire un « mur du son ».
Bobby a 23 ans et en dehors de The Magic Pacer, il a beaucoup de mal à trouver des gens avec qui partager ses influences, ses envies, son projet et ses humeurs. Il n’a qu’un mot : Warlocks, qu’il rebaptisera en The Warlocks, en référence au premier nom de Grateful Dead et du Velvet Underground. En désespoir de cause, il décide d’apprendre la batterie à une amie, puis inclut sa petite amie du moment, Jane, dans le groupe naissant. Plusieurs autres personnes ont fait partie des Warlocks avant de partir en courant. Bobby connaissait Corey Lee Granet, future guitariste, mais ne le fréquentait pas encore. Finalement, il rencontre J.C Rees alors en fac de "television-production". Un petit homme voûté, roots, à la démarche rodée, repérable entre mille mais aussi un grand guitariste au visage mûre et au regard perçant d’intelligence. Celui-ci fût très intrigué par l’idée de Bobby, et Corey Lee Granet finit par apporter sa culture musicale en cantonnant Bobby aux classiques des Stones, Beatles et Velvet. Bobby est déjà âgé de 25 ans et se sent enfin prêt à réaliser son rêve.
En 1999, le groupe est toujours une formation normale (guitare-basse-batterie) qui ne satisfait pas Bobby, fantasmant au possible sur son projet de gérer une espèce de secte à la « puissance sonique inégalée ». Jane est déjà partie du groupe pour se marier avec le future batteur : Danny Hole. Par la suite, le groupe rencontre Jason Anchondo, second batteur, Laura Grisby, à l’orgue et Jeff Levitz, guitariste mélodique. Corey est le guitariste soliste des Warlocks, Bobby, le chanteur et guitariste rythmique, et J.C le guitariste spécialiste en fuzz, reverb et noise. Avec ses quatre guitares et ses deux batteries, les Warlocks sont devenus le monstre prototype de Bobby. Cependant, certains membres continuent leurs études en art. La légende veut que la première formation officielle des Warlocks ait lieu le jour de la disparition d’Anton Lavey (gourou de l’Eglise de Satan).
Le groupe tourne alors quelques temps sur la côte Ouest lorsque Greg Shaw de Bomp ! Records les remarque. En octobre 2000, Bobby signe son nom à l’aide de son propre sang sur le contrat de deux albums enregistrés pour Bomp !. Leur premier EP, The Warlocks, est publié en novembre 2000. En 2001, les Warlocks tournent aux États-Unis en première partie de Nikki Sudden sur vingt-deux dates, puis avec Black Rebel Motorcycle Club sur dix-sept dates. Anton Newcombe rejoint le groupe quelques mois en tant que batteur avant la sortie du premier album, Rise And Fall, qui sort en novembre 2001 uniquement aux États Unis, à quelques milliers d’exemplaires. Plus tard, il en sortira une version anglaise, qui diffère par la couleur dominante de la pochette et trois titres. Rise And Fall s’annonce comme un album déjà très marqué par des virevoltes psychédéliques en sorte de fumigènes cosmiques, du feedback et des plages d’une dizaine de minutes. Il manque cependant des structures, de la pertinence et un minimum de professionnalisme dont les Warlocks feront preuve dans l’album suivant.
La sortie reçoit de bonnes critiques dans la presse américaine mais le groupe reste relativement inconnu en Europe et ne suscite pas une large audience, même à Los Angeles. Selon Danny Hole (un des deux batteurs), les Warlocks ne gagnent pas plus de fidélité à Los Angeles, « il se trouve que nous vivons ici, mais nous ne somme pas particulièrement favorisés dans cette ville. Nous ne sommes pas les héros de chez nous. L.A peut être difficile pour tout ceux qui veulent y jouer ». C’est seulement à partir de février 2002 que les Warlocks se produiront en tête d’affiche. Ils entament alors une longue tournée de février jusqu’à novembre, rejoignant Sonic Youth à Los Angeles, The Kills , The Von Bondies ou encore The Secret Machines en octobre et The Datsuns en novembre au Canada. Ils parcourent ainsi les États-Unis et traversent l’Atlantique pour seulement deux dates en Angleterre, Birmingham et Londres, où ils passeront des soirées avec leur héros, Sonic Boom.
Entre temps, ils signent chez Birdman Records, un label indépendant de Los Angeles grâce à Dave Katznelson qui a déjà dirigé des groupes tels que The Flaming Lips, Mudhoney, the Boredoms, Sonic Boom et Nick Cave. Katznelson dit un jour à propos des Warlocks : « Ils créent des sons et des visuels qui furent longtemps oubliés en ces temps de musique synthétique. Il s’agit d’un monde puissant et hallucinogène avec des chansons pop extraordinaires et un chaos de guitares intoxiquées qui animent le trip. Le fait que les visions de Syd Barrett et de The Exploding Plastic Inevitable soient restées figées en arrière reste un grand mystère pour moi. Lorsque je suis allé à un concert des Warlocks pour la première fois, c’était comme me mettre le fix dont j’avais besoin depuis une éternité ».
L’univers des Warlocks est vite associé à celui des drogues et les paroles de Bobby Hecksher font beaucoup allusion à la chose. Selon Corey : « Nous sommes habitués à travailler à partir de sensations, à partir de visions psychédéliques, en aucun cas nous voulons glamouriser les drogues et leur utilisation. Les drogues sont simplement une métaphore pour exprimer des choses plus profondes ». Bien sûr, Bobby ne jure pas que par les drogues pour venir à bout de son concept. Il demande beaucoup de travail et de sacrifices de la part de ses musiciens, s’influence d’ouvrages de sciences-fiction, d’images cinématographiques, se passionne pour les séries B d’horreur, les films de John Waters et de Kurosawa. Il combine un univers visuel et musical en cherchant du côté de l’imagerie vaudou et du psychédélisme sombre. Cependant, le groupe préfère parler d’expérience du son, ou de domaine des sens plutôt que d’être rangé dans la "case psychédélique" (bien qu’on ne peut ne pas y penser).
Par la suite, le bassiste Bobby Martinez va rejoindre le groupe. Les Warlocks sont alors momentanément au nombre de huit, puis Jeff Levitz, guitariste, va quitter le groupe. Les autres membres conservent leur même place et un second EP, Phœnix EP, est publié sur Birdman en 2002 ainsi qu’un deuxième album, Phoenix, qui sort sur Mute Records en partenariat avec Birdman pour les États-Unis (sortie en 2002) et City Rockers pour l’Europe (sortie en juillet 2003). Il y a donc deux versions qui diffèrent par deux titres. La version américaine est enveloppée d’une image aux couleurs psychédéliques en forme de tête de mort (dans le même esprit que le visuel promotionnel ci-dessus). La version européenne montre des couteaux oranges saillants sur fond noir. On peut trouver dans Phœnix les remerciements pour des artistes comme les BRMC, The Brian Jonestown Massacre, Beechwood Sparks et Sonic Boom (qui participe à la guitare sur Dope Feels Good). Phœnix est l’apogée des Warlocks, lorsque le songwriting coule comme un déluge de notes toutes plus hypnotiques les unes que les autres sur des chansons efficaces, inépuisables et salement rock’n’roll. Une texture sonore à tomber par terre parce que lourde, errante, singulière et intimiste. Des effets subtiles et étudiés au millimètre tout en conservant un minimalisme proche du chaos.
Pendant de longues années, les membres du groupe ne se voyaient que pour la musique. La situation était déjà tendue lors de la tournée de Rise And Fall mais devient catastrophique avec celle de Phœnix, en 2003. Ils débutent avec douze dates au Royaume-Uni puis retournent aux États-Unis en compagnie d’Interpol dont le batteur viendra se joindre aux deux autres lors d’un concert. Lorsqu’ils tournent à Los Angeles, c’est dans l’hostilité, la crainte de passer inaperçu et de voir finir le concert en émeute. Lorsqu’ils parcourent des contrées inconnues, la tension et le sentiment d’incertitude voire d’échec dominent l’environnement instable et étrangers des pubs lugubres. On a tendance à n’y croire que dans les films et l’imagination. Malheureusement, rien est sublimé ni extraordinaire dans cette réalité qui a bien lieu. Aucune communication et amitié ne réunit le groupe. Aucune montée d’excitation, rien que des drogues pour essayer de ressentir et des soirées pleines de solitude. Entre temps, Bobby compose de nouvelles chansons. Chaque soir, le groupe traverse le plancher d’une salle dont il ne se souviendra jamais. Chaque soir, il branche son matériel mécaniquement, avec nonchalance non calculée. Les Warlocks n’ont alors presque personne pour les regarder. Pour les acclamer comme il se devrait. Bobby avouera que « Plus le temps passait et plus nous nous comportions comme des Zombies ». Corey est quelqu’un d’impulsif, Bobby est plutôt réservé et quelques peu égocentrique. Et puis un jour, tout le monde se lâche : disputes, bagarres, menaces de mort, départ de Laura...à l’image de leur musique sous haute tension, « capable d’exploser à tout moment ». Corey avouera : « Bobby est difficile, il est complètement bipolaire, et c’est vraiment usant, tu vois, d’essayer de s’amuser et de ne pas penser à qui, ici, devient un connard ». Heureusement, les membres du groupe se sont remis en question pour préserver leur chansons qui se font pourtant dans une harmonie particulière et une unité salutaire. Celle qui fait les grands groupes. En avril 2003, ils retournent en Angleterre pour quatorze dates puis se produisent aux festivals de Reading et Glastonbury. On retrouve ensuite les Warlocks dans de nombreux magazines comme le NME, mais le public reste restreint et peu enthousiaste lors des concerts (excepté au festivals.)
Heureusement, certains endroits sont plus accueillants que d’autres. Lors de cette tournée, ils ont touché beaucoup de gens à Fillmore. Danny Hole pense qu’il n’y a pas de raison que des groupes viennent s’installer ou jouer plus fréquemment à L.A par exemple. « Tu peux être un super groupe au milieu de nulle part ». En live, lorsque les circonstances techniques sont là, le groupe dégage une puissance ainsi qu’une précision stupéfiante. Ensuite, il faut que le public s’en rende compte. Et on ne sait pas ce qui fait qu’un groupe réussira plus dans un endroit qu’un autre. Les Warlocks sont tous musiciens depuis de nombreuses années. Ils saisissent l’essence divine de leurs chansons. Et sur scène, c’est de manière stoïque qu’ils encaissent leurs décibels pourtant rédempteurs. C’est avec tension qu’ils donnent le meilleur d’eux même et cherchent à émouvoir, l’air de rien, leurs fans transportés dans ces filets sonores d’une beauté rare. Certains morceaux peuvent durer, comme sur les albums, entre cinq et douze minutes, mais elles ont le pouvoir de maintenir l’auditeur en éveil, même si c’est dans un état second. Et lorsque Danny Hole affirme « je sais que les chansons longues évoluent bien lorsque je peux me perdre dans leurs transes hypnotiques », on le croit sur parole. Toutefois, « les chansons ont une structure (même celle qui n’en finissent pas) et soit tu gardes le rythme, soit tu dévies, du moment que ce n’est pas ennuyeux et que tu emmènes les gens dans différentes directions. Il y a un sentiment, une intuition et un équilibre entre nous tous... Les chansons longues créent une atmosphère et essaient de maintenir le public autant que moi- même dans un voyage sur toute la durée » Ce qui intrigue tout le monde, c’est son jeu de batterie identique avec celui de Jason. Ainsi, la dynamique des Warlocks est plus lourde, plus constante, et selon Danny, la synchronisation se fait à l’oreille. Le but de Bobby sur scène ? « Tout ce qui m’intéresse c’est de donner le meilleur pour les Warlocks. Je veux toucher les gens. S’ils sortent d’un de nos concerts en ressentant quelque chose ou simplement en faisant l’expérience d’un sentiment nouveau, alors nous aurons réussi quelque chose. Nous sommes passés par une phase chaotique et aujourd’hui enfin, notre destin est entre nos mains... » Voici ses mots avant de partir en tournée en compagnie des Raveonettes en juillet 2003 puis en septembre avec leurs amis du BRMC pour quatorze dates. La tournée s’achève en Europe avec notamment quelques dates en France (leurs premières), deux dates en Espagne avec les Kings Of Leon et une dernère date à Londres. A la fin de l’année, les Warlocks auront tourné intensément pendant trois ans. Bobby s’effondre d’épuisement et doit se faire hospitaliser pour une infection à l’oreille. « les docteurs m’ont dit que s’ils m’avaient vu deux jours plus tard, je perdais l’audition de manière permanente ».
Composé pendant les tourments, le brillant et troisième album Surgery, est enregistré dans divers studios de L.A dès janvier 2004 avec le producteur Tom Rothrock (Beck, Elliot Smith, Coldplay). Le line-up change encore : Danny Hole, batteur depuis le départ, quitte le groupe et se voit remplacé par Robert Thomaso Mustachio. Quant à Bobby Martinez, bassiste sur Phœnix, il est remplacé par Jenny Fraser, grande brune ténébreuse. Comme avant, les autres membres sont : JC Rees (guitare), Corey Lee Granet (guitare), Laura Grigsby (tambourin, orgue), Jason Anchondo (batterie) et Bobby Hecksher (chanteur et guitariste). L’album est publié sur Mute Records et sort l’été 2OO5.
Bobby affirme que « Le but de cet album était de créer du rock’n’roll hybride, je voulais que l’album sonne plus grand, plus entier, plus malade qu’avant. En même temps, je voulais aussi refléter ce que j’ai toujours aimé : Sonic Youth, Spacemen 3, Adam And The Ants. Je suis si fier de cet album. J’ai l’impression d’être à des millions d’années de ce que les autres groupes font ». Ce qui n’est pas totalement faux, à l’exception de quelques tournures, comme celles de Gypsy Nightmare qui peuvent faire penser à Interpol. Si ce disque est en fait plus accessible et un peu moins original que les autres, il est aussi plus mélancolique, voir presque dépressif et n’en demeure pas moins psychédélique. Sa pochette remarquablement belle est ornée de petits couteaux volants blancs sur fond noir et rouge. Elle fait penser à un espèce d’enfer fantastique, un conte sordide, qui répond à cette musique à la fois rose et noire. Les textes sont très introspectifs, plus soignés que ceux de Phoenix et donnent le frisson dès le premier refrain du disque : "Come save us... from ouselves". La voix y est plus écorchée mais aussi plus lumineuse et chante des textes sur la faiblesse, l’angoisse et l’amputation de l’âme. L’album regorge d’hymnes gigantesques qui comptent parmi les meilleurs chansons jamais écrites par le groupe : les singles It’s Just Like Surgery, Come Save Us, mais aussi Thursday’s Radiation, sans parler des superbes slows tel que The Tangent, Avobe Earth ou Suicide Note. « Cette chanson, c’est moi, à la fin : les adieux, le haut de la falaise, marchant sur une planche, le dernier pas sur terre » (Bobby Heksher). Malgré ce coté désespéré, c’est avec espoir et enthousiasme que les Warlocks partent en tournée pour promouvoir ce touchant Surgery. Les Warlocks affirment toujours exercer des jobs pour subvenir à leurs besoins. Bobby et JC travaillent ensemble dans des magasins de guitares et Laura conceptualise des vêtements. Ils ne joueront que quelques dates fin 2004, s’en suit quelques mois de tournée Américaine en 2005 avec notamment Brian Jonestown Massacre et Gris Gris, et terminent par l’Europe. Pour ma part, c’est à Manchester que je les retrouverai, pour un des meilleurs concerts qu’il m’ait été donné de voir.
Le 5 novembre 2005, peu de gens ce soir à l’Academy 3 sont présents pour accueillir un des meilleurs groupes de ces dernières années. Ce groupe porté par une voix planante et donnant l’impression de nous délivrer un message à chaque syllabe. La voix d’un nécromant, se confondant à merveille avec la musique fuligineuse de Rise And Fall ou Phoenix, et qui se révèle plus rafraîchissante dans Surgery.
Ici, l’ampleur du son ne dépend pas du volume auxquels les instruments sont réglés mais bien du nombre (trois guitares, deux batteries, une basse, un clavier) et de la volonté à créer une osmose psychédélique grâce à un jeu claire-obscure et superbement mis en place. Le son des Warlocks comporte un caractère épais et nasillard très délicat à reproduire en live sans qu’il nuise aux précieuses mélodies. Heureusement, la limpidité su son ce soir nous permet d’admirer leur ingéniosité ainsi que la correspondance de leurs sept instruments. Ils envoient leurs chansons rock’n’roll (Dope Feels Good) pour mieux nous élever dans des montées belles et bien douloureuses (Cosmic Letdown), intemporelles (Come Save Us) ou nous plonger dans des atmosphères oppressantes et personnelles. Non pas une descente mais une ascension en enfer (Thursday’s Radiation). Un set envahi de résonances bariolées et parfois sales mais bien dosées, jamais brouillons. Le groupe nous interprète un condensé de toutes leurs chansons dans un endroit très intimiste où se marient lumières bleues foncées et rouges moite, et où la froideur des premiers instants laisse place à une ambiance fiévreuse et velvetienne.
La petite salle est loin d’être remplie (environ 80 personnes), et le groupe maudit ne cache pas son sérieux en restant immobile et concentré. Attitude qui porte leur musique écrasante cependant pleine d’émotions. Cela n’empêchera pas Bobby d’esquisser quelques sourires et de distribuer modestement des bières à tout le monde avant d’entamer un rappel brillant, une lueur incertaine au bout de leur spirale sans fin. La musique et ses créateurs ne font désormais plus qu’un et les Warlocks nous prouvent qu’ils n’ont rien à envier aux Dandy Warhols (à part peut être de la reconnaissance) et que, malgré leur réputation, ils ont bien plus foi en leurs chansons qu’en leur image cliché de drogués. Peu de fans mais beaucoup de connaisseurs nostalgiques (parfois d’un certain âge) ont sans doute été subjugués par leur prestation habitée qui nous laisse le sentiment d’avoir partagé un moment très privilégié, un moment inoubliable. Un choc qui me décide dès la sortie du concert de retourner les voir a Leeds deux jours plus tard.
A entendre Bobby en 2003, suite aux conflits de leur dernière tournée, « la tempête est passée, j’espère qu’elle ne ressurgira jamais ». Il paraît aussi que le groupe a plus de succès en Angleterre qu’aux Etats Unis. Pourtant nous sommes le 7 novembre 2005, lorsque des moments de détresse dissimulée et semblable à ce que Bobby racontait en matière de zombies se confirment sous mes yeux affligés lors de leur passage à Leeds, ville austère et sans réelle personnalité. Un après midi de vent polaire m’a coupé les jambes avant que je me rende dans le pub triste de l’université. Etrange ambiance de calme blanc, de néant aseptisé. Il est 16h30, et c’est bien là sept visages avachis et désespérément vides devant cinq personnes indifférentes (en comptant le barman) dont il est question. Chacun reste de son coté, fait son job. Bobby à des traits épuisés, des désillusions dans les yeux, un passé lourd sur les épaules et de la classe dans son allure. Il y a là Dead Combo, osons dire qu’il porte bien son nom. Il s’agit de deux mecs assurant la première partie des Warlocks en bidouillant des sons indigestes, un croisement entre Suicide et Tata Yoyo. Le leader est du genre loser tatoué au chapeau Texan et raconte des blagues douteuses dont les chutes provoquent autant de réactions qu’un courant d’air.
Le concert des Warlocks se fera sans ingénieur du son dans une acoustique défectueuse. La scène étant trop petite, Corey devra jouer au même niveau que les spectateurs peu nombreux, caché par un poteau. Le show se terminera au bout d’une heure dans la déchéance la plus totale avec un Bobby au bord de la crise de nerfs. On espère que cette journée est bien la pire de leur tournée, pour ne pas penser aux autres. On en doute. On se rassure car deux jours avant, à Manchester, même si l’ambiance n’était pas moins morose, le set rendait presque concevable l’idée de perfection, et la prestation était belle à pleurer. En attendant, ce jour là, le temps est long comme il ne l’a jamais été.
La tournée s’achève huit jours plus tard au Danemark. Ensuite, les Warlocks ont tourné un mois et demi avec The Sisters Of Mercy début 2006. Après une période sans nouvelle du groupe, on apprend en septembre 2006 que Bobby s’est fait cambrioler la plupart de son matériel (toutes ses guitares, des synthés, des tables d’enregistrement...) et ses affaires de compositions (dix années de textes, de notes diverses, de compos...). "Mon appartement est pratiquement détruit", dit-il sur myspace. Début 2007, Bobby se remet à l’écriture et les Warlocks, désormais plus que quatre (départs de Corey Lee Granet, JC Rees et Laura Grigsby...), vont sortir en octobre 2007 leur quatrème album intitulé Heavy Deavy Skull Lover, le plus sombre de la discographie. Alors que le groupe change de label pour un plus petit (Tee Pee Records), Bobby se réfugie dans une attitude obstinée, affirmant avec aplomb à un journaliste qu’il se fout bien de ce que les critiques penseront de son nouvel album tout en manifestant son dégoût pour la presse et certains groupes indés actuels.
Après une longue pause entrecoupée de concerts (pour la plupart aux Etats-Unis), les Warlocks reviennent au nombre de cinq (JC Rees est revenu et Jenny Fraser est remplacée par une nouvelle bassiste) et sortent le 14 mai 2009 leur cinquième album intitulé The Mirror Explodes, plus apaisé mais toujours très mélancolique, avant de venir sur la scène de la Maroquinerie à Paris, le 10 juillet 2009.
Malgré des tournées conflictuelles, on dirait que les Warlocks sont tout ce qu’ils possèdent. JC disait un jour « Je n’ai pas de chez moi. L.A me manque de temps en temps mais tous mes amis sont là, dans le bus avec moi ». Bobby garde une bonne estime de ses partenaires. Il avoue leur devoir beaucoup et être dans l’incapacité de vivre sans The Warlocks, ce groupe cher qui se manifeste, dans tout les cas, comme une chance dans sa vie. Après d’incessants changements de line-up, Bobby reste le sorcier tout puissant, celui qui peaufine les recettes mélodiques et invente le son des Warlocks. Ce compositeur maniaque et accompli concurrence ses aînés, sans tricher. Cependant, il reste très évasif quant à ses méthodes de compositions et souhaite entretenir le secret de sa pâte maléfique. Il est autonome et plusieurs jours peuvent passer sans qu’il ne sorte de son local où il est enfermé, à triturer son écriture suscitée par son souci, sa paranoïa. Son but se trouve dans les conséquences immédiates de sa musique : « Je veux susciter des réactions extrêmes avec ma musique : sexe, drogues, meurtres... ». Cette musique est fermentée dans les méandres de tout ce qui ne peut toucher au quotidien. Il faut se faire violence et sortir des contextes normaux pour écrire au sein des Warlocks. Il faut totalement oublier sa vie personnelle et tout le reste. Il faut donner son existence pour n’en ressortir que des maux, moteur de la belle musique. Bobby ajoute : « Je veux surtout que la musique nous rende un jour ce que nous lui avons sacrifié ». C’est tout le bonheur que nous leur souhaitons.
Les Warlocks sont beaux. Peut-être aussi qu’ils sont les derniers survivants du rock’n’roll. Selon Corey « Si tu es persévérant, que tu rencontres les bonnes personnes et que tu fais de la bonne musique, tu te construiras un public ». Il semblerait que pour les Warlocks, malgré un talent certain, des années de tournées et d’élaboration sonore, le succès fait défaut. Peut-être que le groupe est bien trop louche. Ou alors, qu’il n’a pas l’insouciance exigée actuellement. Peut-être y a-t-il trop de divergences entre les membres. Peut-être que le projet Manson pour hippies diaboliques appartient au domaine du rêve. Mais tout ça, Bobby le sait depuis longtemps. Parce que lorsqu’on tisse les mystérieuses ficelles d’un culte, on l’obtient lorsque tout est fini.
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