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par Lazley le 9 octobre 2007
L’autre jour, banale déambulation citadine. Au coude d’une allée, on croise le chemin bondissant d’un gamin sifflotant Help !, rien de plus normal ; Sauf qu’ au lieu de sourire, comme le veut le protocole face à ce genre d’instants rafraîchissants, on bascule subitement dans un point d’interrogation gigantesque, que l’on peut ramener à ceci : "Héhé, tu peux siffler petit, sacrée mélodie... Un peu comme dans ce truc récent là, euh... Attends... Euh...Mais...C’est quand la dernière fois que quelqu’un a pondu une mélodie pareille ?"
S’ensuivent trois journées de prise de tête/flip intégral assez éreintantes (mais dont les détails n’intéressent pas ici), d’où ressort invariablement La Question. Mais si, vous savez, cette question que tout amateur de musique, à un moment variable de sa route, se prend dans les mandibules avec la brutalité d’un Chabal en rogne (oui, B-side aussi sacrifie au tout-rugby actuel !) : "Et la mélodie, hein ? Où elle est passée ? Y’a-t-il encore seulement des pop-songs dignes de ce nom ?" Débat poil-à-gratter, problème sérieux dépassant le strict domaine de la pop music, grosse blague... Personne ne sait trop comment prendre La Question, comment la tourner. Tout le monde essaye, des plus éminents théoriciens aux pré-ados découvrant les Fab ; tout le monde apporte ses petites pistes, parfois intéressantes, souvent risibles (traduisez "qui font pas avancer le schmilblick"). Tout le monde, y compris votre serviteur . Dont acte .
Il semblerait que l’histoire de la "mort de la mélodie" (puisqu’il faut bien commencer quelque part) , ce soit avant tout l’histoire d’un traumatisme : celui de l’héritage disparu de la chanson, paraît-il englouti à la fin des sixties. Et on en a publié, des ouvrages, des articles, on en a pondu des disques nostalgiques, réactionnaires (le fonds de commerce mondial du "rock" actuel, soit dit en passant), glorifiant l’âge d’or innocent, aux créations systématiquements géniales (le point d’orgue de ce fétichisme avoué étant sans nul doute le culte aveugle voué aux "Nuggets", réédités ou non, de Lenny Kaye). Bien sûr, en se cantonnant aux chefs d’oeuvres du type Arnold Layne, Strawberry Fields Forever ou autres Have You Seen Your Mother, Baby, Standing In The Shadow ?, rien de plus logique. C’est vrai, comment comparer sérieusement un maître-étalon du mélodisme pop comme A Quick One While He’s Away (entre autres exemples), à n’importe laquelle des chansons sorties ces dix dernières années ?
Ne cherchez pas, c’est totalement impossible. Ces perles-là ont plus que l’aura des années lointaines, elles ont l’intemporalité de la production, des thèmes, etc...
OK, va pour ce bidule conceptuel de Pete Gros Nez Townshend... Sauf que cela ne saurait occulter un élément qui a son importance : les sixties, c’est aussi et avant tout la pérennisation du riff , des barrés de Louie Louie, du mi-ré-la de Gloria...Bref, la généralisation d’une simplicité mélodique qui permet à tous de jouer, d’accéder pour certains au quart d’heure de gloire réglementaire, et surtout de réutiliser inlassablement des formules atteignant les cinq accords maximum !
Que l’on s’entende bien : il n’est en aucun cas question de promouvoir une vision "technique" absolue de la musique dite pop. On ne réclame pas présentement 500 Zappa d’ici la prochaine décennie ! Cinq accords, ça peut faire ÉNORMEMENT de combinaisons possibles, d’arrangements, quand on sait comment les détourner, les dévier de la base que l’on a "pompé", consciemment ou non . Mais quand on ne sait pas ? Eh bien, on obtient ce phénomène qui sévira dès le début des années 1970, résumé ainsi par un Lester Bangs (pour une fois) lucide : "la moitié des "chansons" qui passent à la radio ces temps - ci sont directement prélevées sur Jumpin’ Jack Flash, l’autre sur Sweet Jane !" Ajoutez London Calling et Smells Like Teen Spirit pour coller à ces vingt dernières années, et le propos du moustachu de Detroit vous paraîtra sûrement plus clair !
On pourrait presque qualifier ça de "paradoxe sixties", et ce serait à peine un bon mot : cette génération même de musiciens menés par des créateurs uniques réclamant le combat contre la "soupe" variété uniforme, a grandement contribué à enfanter la plus terrifiante uniformisation qui soit, ce consensus autour de principes dont on trouve encore l’écho dans le Seven Nation Army des Stripes, le plus "gros tube" d’obédience pop recensé ces cinq dernières années.
Mais bien entendu, résumer le débat à cette piste pour le moins étroite serait ridicule. Parmi la multitude d’ "explications" possible, il faut pourtant faire un choix, donner une orientation à la démarche, même si elle ne dépasse pas l’échelle d’un petit rédacteur de webzine. Essayons donc d’étayer un peu...
Revenir sur le riff, tiens ! Ce machin devenu le symbole d’une prise de position claire, politique, armée, face à l’idée de composition. Ce schème de guitare répétitif, au mieux obsessionnel, au pire vide comme le dernier rôle de Duris, n’a jamais pris personne en traître, et on doit au moins lui concéder ça. Pour quiconque a déjà approché une six cordes, le reste paraîtra évident. "Riff", de même que "rock’n’roll", est un élément d’une terminologie ultra-explicite, mettant l’accent sur la dimension percussive de la musique, le "beat" en somme. C’est ce qui provoque cet engouement phénoménal pour une utilisation de la guitare comme objet de rythme nouveau (ne déclare t-on pas "meilleurs riffs" ceux qui jouent le plus habilement sur l’intensité des notes jouées ?), de Satisfaction à (encore) Smells Like Teen Spirit. Si l’on fait coïncider cette remarque avec la sacralisation brutale de la guitare (arme du spadassin moderne, phallus sonique, les interprétations ne manquent pas ...), elle aussi généralisée dans les années soixante par des idéaux-types comme Hendrix, Clapton, Beck, Page, Richards, Gilmour, etc... On ne s’étonnera pas de ce que la composition finisse par se résumer dans les représentations collectives de la pop à ceci : une ébauche de riff bossée par les membres du groupe, qui façonnent peu à peu le morceau en collant entre elles leurs parties et structures respectives.
Ce qui soulève un autre problème, relié à ce terrible phénomène : l’egotisme absolu de l’instrument.
Rares aujourd’hui sont les exemples d’une utilisation étymologique pourtant simple du terme "instrument" (littéralement outil, prolongement de la main de l’homme). Qui ose encore se servir d’une guitare ou d’un piano pour faire une chanson, et pas "trouver un putain de riff de gratte" ou "faire une intro de piano géniale" ? Ici à nouveau, c’est l’humanisation de la guitare, "cinquième membre" du musicien, soudée à son corps, qui peut être considérée comme responsable de l’amalgame riff = chanson . Le piano résiste tant qu’il peut (à l’exception de certains compositeurs classiques contemporains, qui aiment à l’utiliser comme contrepied percussif, la majorité de la planète musicale se sert encore majoritairement du piano comme complément mélodique, de sorte que le terme "riff de piano" passe pour incongru), mais pour combien de temps encore ? Donner vie à un instrument, ne serait ce pas un acte particulièrement risqué, puisque celui-ci peut finir par oblitérer le morceau, attirant l’oreille, monopolisant l’attention de l’auditeur ? (Il suffit de parler de la basse de tel morceau à quelqu’un pour s’entendre la plupart du temps répondre "ah ? peut être, j’ai pas écouté la basse") D’où le cas extrêmement délicat du solo de guitare, dont l’utilisation semble tellement à des années lumières des limites de la chanson qu’on se demande encore comment les grands maîtres de la pop ne s’y sont pas laissés noyer...
Quoique... Si l’on se penche un peu plus attentivement sur certains des chefs d’oeuvres cités au début de ce torchon pixellisé, un élément d’explication apparaît assez rapidement . Qu’il s’agisse de Lennon, Townshend, Brian Wilson ou Keith Richards, tous ont à un moment donné appréhendé la chanson comme provenant d’ une IDÉE. Des expressions comme "symphonie adolescente adressée à Dieu" (Brian Wilson, à propos de Good Vibrations), ou le processus extrêmement lent qui présida à l’élaboration de Strawberry Fields Forever (Lennon partant d’extrapolations poétiques sur un lieu de son enfance, le mélangeant à son acoustique, puis à une structure de groupe, puis à une structure indépendante du beat...), prennent alors tout leur sens. Ces morceaux-là ne sont pas nés d’une jam entre membres dans les coulisses d’un concert, où en échauffement de répétition, ils sont directement sortis des univers personnels de leurs créateurs ; mieux, ils en sont les portes parole... C’est peut-être pour cela qu’ils méritent le terme de "chanson", puisqu’ils dévoilent à l’auditeur , partiellement ou non, un climat, un cosmos unique. Dans cette acception, le riff ferait ainsi plutôt figure de "slogan", aux interprétations, aux pistes limitées (Grand jeu B-side : combien d’hypothèses d’écoutes pouvez-vous tirer de "Hope I die before I get old" ?). Bref, à un moyen d’expression musicale dont les aboutissants s’essoufleraient sacrément vite, puisque passée l’accroche répétitive du schéma instrumental, il ne reste plus à l’auditeur qu’à se concentrer non pas sur la composition, mais sur la superposition des éléments en présence (on se focalise sur le solo de guitare, PUIS les breaks de la batterie, PUIS le pont de basse, PUIS les paroles du refrain, mais très rarement sur l’ensemble en lui-même, parce qu’il n’y en a quasiment jamais).
Cependant, quand bien même l’on suivrait cette démarche d’interprétation, l’espoir d’un "renouveau de la mélodie" ne serait pas totalement perdu . Chez des gens comme Josh Homme, Wayne Coyne, Jack White ou Mike Patton (quand celui ci ne passe pas son temps à piétiner rageusement tous les préceptes de la pop), voire Jim James ou Luke Steele (quand il ne se prend pas pour le nouveau Bowie) par exemple , on peut parfois retrouver la prédominance de l’idée dans la composition. Puiser dans les images, les symboliques personnelles demeurant de toute façon dans ce cas le seul moyen de réinventer la pop, en ces temps bizarres où "il n’y a plus aucune mélodie nouvelle" (Merle Haggard, 2007).
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