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mercredi 15 avril 2015
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par Psymanu le 15 mai 2007
paru le 22 janvier 2007 (T Records)
Serge Teyssot-Gay, Mar Sens et Cyril Bilbeaud sont sur un bateau, mais bien loin de tomber à l’eau, ils décident de ramer dans un même mouvement. Le rafiot, c’est Zone Libre, le fruit de leurs efforts, c’est Faites Vibrer La Chair.
C’est parti pour une chronique auto-centrée sur ma personne. Je veux dire : encore plus que les précédentes. Parce que, si l’étique de celui qui joue les rock-critiques le pousse à forcer le passage et els barrières de ses propres goûts jusqu’à atteindre une certaine objectivité, c’est tout de même un peu de son avis qu’il s’agit puisqu’il prend la parole en son nom. Qu’est-ce qui se passe ? Eh bien il se passe que Faites Vibrer La Chair est un disque expérimental basé sur l’improvisation, et, surtout, strictement instrumental. Or, moi, la musique, je n’y connais rien. Je suis infoutu de détecter ce qui relève du tour de force de ce qui est facile, techniquement. Et donc, sans l’appui des mots et d’une voix, je ne peux livrer comme commentaire que ce que le tout m’évoque, ce que je projette dessus de mes propres fantasmes et associations libres. Et, bien entendu, ce que me font ressentir les sons qui me parviennent. J’en suis donc réduit à me bastonner avec mon manque de vocabulaire, et à tous ceux que mes approximations et erreurs vont choquer, je demande de bien vouloir me pardonner. Ca fait un peu lettre d’excuse, tout ça, mais je préfère prévenir l’éventuel lecteur qu’ici plus que pour tout autre chronique, je ne sais pas où je vais mais vous demande tout de même de bien vouloir me suivre un instant. Avant de vous faire votre propre opinion.
Une guitare qui se la joue violoncelle, La Dernière Chose Que Tu Verras semble tirer sur l’ambiance jusqu’à tension maximale. Le climat inquiète, des notes dissonent en arrière-plan. Il y a comme un sentiment d’irrémédiable tragédie qui se profile et puis qui se rapproche, soudain tout se distord, compulsivement, les sons se font déchirants et saturent l’espace, lourdement, une silhouette qui se traîne à pas douloureux, puis s’effondre. Erection Vertébrale, la créature atterrée ouvre un oeil, et puis deux, tandis que tintent dans le vent des tubes métalliques, rassemble ses forces, "fait vibrer sa chair", et dans une grande inspiration, se lève, et reprend, autoritaire, sa marche interrompue, une guitare riffe et impose son rythme, l’autre vocifère son long solo, et Cyril martelle, de plus en plus fort, chacun des pas, et puis... Ce quasi-silence soutenu par quelques cordes tirées ou doucement heurtées, dont on ne sait s’il est fascination ou bien désespoir. De graves notes roulent et grondent sourdement, Nous Sommes Les Seuls Voyageurs serait presqu’un morceau "classique", en ce sens qu’on y détecterait presque des couplets et des refrains, il s’en dégage une structure qui en ferait un titre tel qu’on en rencontre parfois dans certaines sphères extrêmes du rock métal, les beuglements en moins.
Le contre-pied parfait intervient avec Il Y A Un Autre Point De Vue, qui pour le coup n’a pas grand chose de structuré, juste une longue plainte dans l’obscurité, comme à l’orée d’un grand bois dont on devine à l’oreille les animaux qui le peuplent et dont l’activité est le chant de la nuit, un grincement par-ci, un sifflement par-là, quelques branches qui craquent. Puis, Avec Ca T’Auras Six Bastos, qui semble ironique tant l’humeur est à la destruction maousse, à l’apocalypse. Que sont six bastos lorsqu’une allumette est lâchée sur une traînée de Napalm, que sont six bastos lorsque mille bombes percutent le tarmac, tout autour de nous, et y a nulle part où se cacher et ça hurle si fort qu’il n’y a plus rien à faire qu’à se recroqueviller, les mains sur les oreilles, jouer au foetus, attendre la renaissance dans la mort. Et c’est la mélancolie qui s’invite, cette sale maladie, cette Epidémie Humaine. Que l’air est pesant lorsqu’on se sent lourd à l’intérieur, une guitare se lance, explique, mais à l’approche de l’essentiel tout se complique : elle balbutie, deux ou trois notes répétées comme une routine, tente de dire plus, mais c’est trop gros et ça ne passe pas, ça ne passe plus par la gorge, alors l’autre s’approche, veut consoler, interroge et puis rassure, ou bien essaye.
Le combo reprend mille couleurs, toutes des nuances de noir ou de rouge sang. Chair De Naissance Et De Mort est entêtant jusqu’à la transe. Tantôt robotique, tantôt galopante, la pulsation, pourtant à peine audible dans cet enchevêtrement de cordes déchirantes ou crépitantes, prend au coeur jusqu’à frôler l’étouffement, puis relâche soudain son emprise, et nous laisse à demi conscients dans une Odeur D’Aucun Chez Soi, et son parfum d’inconnu. Autour, tout est étrange, et chacun de nos repères s’évanouit, l’un après l’autre, et on reste là, à contempler le monde, comme étranger à tout ce qui s’y passe. Incompréhension. Avant D’En Finir Avec Les Actualités est une longue montée en tension, où pas à pas tout semble s’accélérer, tout gagne en puissance,en violence. Ca commence en légèreté, puis le palpitant s’emballe, et à la fin, tout le monde, tête baissée, crispé sur son instrument, sur la même note ou la même caisse, attend le mur vers lequel il fonce, à toute allure.
D’ailleurs, Les Hommes Avancent Avec Des Seaux D’Essence conserve cette frénésie, mais parvient à la canaliser. Un titre évocateur d’incendie à venir. Une invitation ? Mort Technique Sur Tout Le Territoire désarçonne (autant qu’on puisse l’être après écoute de tout ce qui précède) par son introduction, mais se révèle finalement être le morceau le moins inquiétant, malgré quelques tentatives de terreur par des guitares orageuses. Sans doute est-ce dû à sa rythmique baladeuse, on se prend à la taper du pied voire à la siffloter. Détente. On Vous A Prédit Que Tous Les Esprits Partaient, c’est autre chose. Un bouillonnement. Chacun semble chercher sa voie, s’essaye à des sons divers, on dirait mille fourmis affairées à leur tâche respective. Puis, soudain, le climat se fait pesant de nouveau, il y a comme de la suspicion dans l’air, et ça se regarde en chiens de faïence. Mais rien n’arrive. Rideau.
Faites vibrer La Chair est une expérience collective réussie dans la mesure où le trio parvient à instaurer des ambiances, à créer du volume même dans les silences, où rien ne semble vain de leurs explorations. Loin de constituer une jam faussement barrée, une cohérence est trouvée tout au long de ce disque où aucun ne joue pour soi mais se met au service de ce qui se génère, au fur et à mesure, comme un fil qu’ils tireraient en même temps jusqu’à faire émerger le sens qui se trouve au bout. À découvrir.
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