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par Sylvain Golvet le 18 janvier 2011
Quasiment sans promotion, Godspeed You ! Black Emperor a rempli ce vendredi la Grand Halle de la Villette, pourtant pas un petit club de province (au moins 2000 personnes tout de même), pour un concert qui avait tout de l’événement de l’année. Il faut dire que l’on allait assister là au retour du collectif canadien, qui s’était mis en stand-by après leur tournée de 2003, tandis que ses membres se consacraient à des projets parallèles (Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra pour n’en citer qu’un). Un collectif pour qui l’étiquette du groupe culte est plus qu’appropriée. Pour le meilleur ou pour le pire.
De fait, GY !BE est agaçant sur beaucoup d’aspects. Le groupe arbore la panoplie complète du groupe de noisy-post-rock et les pousse presque à son paroxysme : discours crypto-apocalyptique, anti-capitaliste, musique étirée, évitant volontairement les compositions pop, pas d’éclairages sur scène, diffusion de films en Super 8 sur écran géant figurant les classiques de l’imagerie post-industrielle (déchèteries, usines, dessins et schémas de machineries… Rien que ça.). Tous ces clichés ont valu au groupe de devenir un groupe culte. Pour beaucoup de groupes, GY !BE est probablement l’incarnation de ce qu’ils voudraient eux-mêmes être, des musiciens radicaux, courageux dans leur choix, refusant la médiatisation et vivant uniquement par et pour leur musique. Et c’est là un des mérites du groupe, de s’en tenir radicalement à leur concept, que nombre d’apprentis auraient bien du mal à suivre.
Et puis il y a quelque chose de profondément déprimant de voir cette salle entière de jeunes blancs amorphes écoutant religieusement une musique peu mélodique, dépressive. Une représentation typique de la débâcle occidentale post-moderne.
Mais cette liste de « tares » n’est donc pas rédhibitoire avec GY !BE. Comme l’a très bien expliqué Yuri-G à propos de Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven !, le groupe fait de ses défauts des qualités.
Commençons tout de même par ce qui fâche. Là où le groupe pèche, c’est que le son de cette musique ample manque cruellement de finesse. Là où l’énorme masse sonore produite par les huit musiciens (3 guitares, 2 batteries, 2 basses, 1 violon) est justifiée lors des montées vertigineuses des fins de morceaux, celle-ci déborde un peu sur les passages plus apaisés, où l’on aimerait pouvoir mieux différencier les instruments et les musiciens. C’est probablement assumé, dans une espèce de logique marxiste un peu absurde (aucun musicien n’est plus important qu’un autre, ce genre…), et même si la part laissée à l’improvisation est ici réduite à néant, il n’empêche que leur musique ne serait pas altérée par quelques soli bien placés, d’autant que ce sont de musiciens très capables comme l’atteste l’énorme groove orientalisant de l’inédit Albanian. De même l’influence de la musique concrète autorise-t-elle a faire subir à son public une intro de 15 minutes de quasi bruit blanc. On pourrait arguer que cette part de frustration est la condition sine qua non pour se faire emporter par les moments plus intenses. C’est en partie vrai, il n’empêche que c’est aussi l’occasion de perdre son public pour un apport musical assez léger. Ainsi, on peut très bien trouver que Lift Your Skinny Fists Like Antennas To Heaven ! et leur autres opus, tout incontournables qu’ils sont, paraissent parfois plombés par des longueurs inutiles.
À côté de ça, les meilleurs moments du concert, ce sont bien sûrs ces montées démentes. Les morceaux de GY !BE sont presque tous construits sur le même motif : une mélodie de guitare est progressivement rejointe par une autre, puis par la rythmique qui accélère le tout. Le son s’échafaude par couches successives, jusqu’au paroxysme. Et ces montées sont prenantes, impossible d’y échapper de par le volume sonore déployé progressivement, d’autant que la grandeur de la salle était un apport indéniable de par sa réverbération naturelle. Contrairement à la grande majorité des groupes de rock, GY !BE utilise la dynamique. Il faut donc tendre l’oreille pour déceler les quelques motifs de violons qui commencent un morceau. Au fil des arrivées progressives des instruments, le niveau sonore se fait de plus en plus présent, jusqu’à atteindre des proportions impressionnantes. L’utilisation régulière de montées et descentes d’accords simultanés (une guitare « monte », une autre « descend », cf. East Hastings, BBF3) ajoute à l’atmosphère épique dégagée, de même que les rythmiques répétitives, martiales provoquent des transes chez les spectateurs sous influences psychotropes. C’est là le principal atout de GY !BE, pendant ces quelques instants où la musique apocalyptique se mêle au défilement d’images Super 8, on a l’impression d’être en plein ouragan et tout s’effondre autour de nous. La Fin du Monde, pas moins.
En neuf morceaux et deux heures trente de concert, avec de grands moments, Dead Metheny, BBF3, ou l’angoissant motif de Static, digne des meilleures musiques de Carpenter, GY !BE aura à peu de frais (pas de nouveautés, pas de promesse d’album, …) confirmé son statut de saint patron de l’indie rock. Il n’aura probablement pas convaincu ses détracteurs mais aura posé une pierre de plus à sa légende. Les curieux pourront s’en rendre en partie compte grâce aux vidéos de dg2270 au son excellent, enregistrées lors du concert d’Athènes du 18 décembre dernier.
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