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Interview Mabreuch

Interview Mabreuch

par Thibault le 1er février 2011

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Découvert lors d’un concert au bar L’Alimentation Générale (grâce au frère du guitariste qui a envoyé une invitation sur Facebook quelques heures avant le set si vous voulez tout savoir), Mabreuch est une formation jazz-funk qui tatanne pas mal. Gros cuivres in your face à la Superstition, impro, groove, un peu d’humour avec des doubles solos de basse qui reprennent du Daft Punk, autant de raisons pour donner un coup de pouce à ces musiciens qui assurent. Rencontre avec Conik et Julien.

Tout d’abord, pouvez vous présenter le groupe ? Qui êtes vous, d’où venez vous ?

Conik : Le groupe s’est formé physiquement le 5 novembre 2005 pour un concert à la MJC Louise Michel de Fresnes. Ce n’était pas tout à fait les mêmes gens qu’aujourd’hui. Au départ le nom du groupe et l’histoire du projet sont liés. C’est quelque chose que j’ai fait avec l’ordinateur sur un home studio, le premier cd est enregistré à la maison avec très peu de moyens, donc les titres sont un peu électro, la batterie c’est de la programmation. Moi je jouais avec des groupes de la banlieue sud et le délire c’était de faire un son que je n’arrivais pas à faire avec les groupes et surtout de ne pas faire trop de répéts ! Je trouvais pas mal l’idée d’amener un morceau bien écrit en entier, de le tenir. Du coup j’ai fait un skeud, grâce aux gens que j’ai rencontré comme le sax Gilles Wolf, Brice "ouniversal" Moscardini ou le guitariste Gabriel. Le truc était de faire l’enregistrement un peu comme ci, dans ma chambre chez mes parents. Ma chambre, Mabreuch, ma breu-cham... Ensuite aller jusqu’au bout du projet, c’était pas évident de faire un truc sur ton ordinateur puis te dire je le sors mais finalement avec le home studio qui s’est bien démocratisé tout le monde peut faire du son, des cds, faut arrêter de penser avec les maisons de disques. L’autoprod’ ça marche très bien.

Pour la date du 5 novembre on a monté le groupe, au départ il y avait Antoine Arroyo à la basse, Thomas Milteau à la batterie, Alban à la trompette, Julien au trombone. Puis on a changé la rythmique en rencontrant Julien et Yann par l’intermédiaire de Gab’. On a Olivier au trombone et on a encore changé de bassiste parce que Yann est devenu ambulancier. Maintenant l’équipe c’est Julien Serié à la batterie, Tristan Bresse à la basse, Gabriel Druot à la guitare, Gilles Wolf au sax ténor, Vinczdef et Brice Moscardini à la trompette, Olivier Lejeune trombone et Conik au sax baryton.

La première chose qui frappe en vous voyant en concert, c’est la très bonne maitrise de chacun des musiciens, aucun n’est en dessous des autres, vous semblez très à l’aise. Vous avez profité des expériences avec d’autres groupes et de formations particulières ?

Julien : Il y a beaucoup de mélanges et de pratique. Et on a tous plus ou moins fait des écoles de jazz. Gab’ et moi on a fait l’American School.

Conik : Gilles vient de Suisse, il y a fait des écoles de jazz puis il a fait l’IACP où je l’ai rencontré, c’était mon prof pendant un an.

Julien : On a tous beaucoup bossé la musique et les instruments mais quand on se retrouve là dedans, c’est un outil. Avec Gab’ on a un projet qui s’appelle Africacoustic, une association qui fait des voyages, des docus, un peu musique du monde, jazz, ethno... Avec l’ancien bassiste on a joué pour Birdy Nam Nam pendant la tournée 2006-2008, avec le DVD Live à la Cigale, tous les gros festivals, les Zéniths et Bercy ! Sur scène, il y a quatre musiciens en plus des scratcheurs, ça a super bien marché.

Comment composez vous ? Est-ce que chacun amène ses idées, est-ce qu’il faut parfois trancher pour réussir à harmoniser neuf musiciens ?

Conik : Tout le monde est libre d’amener son morceau. Ça se fait à la discussion, tout le monde fait des maquettes, sinon on kiffe on le joue. Pour le deuxième album, on a fait une résidence de dix jours pour l’enregistrement, j’ai dit à chacun de ramener et d’écrire des morceaux. Sur le premier j’avais tout écrit mais c’était lié au contexte. Du coup le second est plus éclectique, il y a plus de styles qui donnent des couleurs différentes, c’est très bien. Là on est en train d’en enregistrer un autre, on le finit demain. Il a été fait en quatre jours, ce sera un cinq titres en vinyle avec les mp3 téléchargeables. Il y a un code mp3 pour ceux qui n’ont pas de lecteur vinyle mais qui veulent quand même l’objet. C’est dans l’idée de re-démocratiser le vinyle, le son est plus chaud, il y a un truc qui passe. Parce que finalement le cd est un objet tout petit, pas super intéressant et le son est pas forcément beaucoup moins bon en mp3...

Après ça dépend de l’approche qu’on a du cd, certains musiciens tentent de faire des choses uniquement sur ce support.

Julien : Oui, et d’ailleurs parfois tu n’as plus du tout de vinyle en nouveautés.

Ça revient plutôt bien, ils sont vendus beaucoup trop chers mais tu trouves beaucoup plus de vinyles aujourd’hui qu’il y a cinq ans.

Conik : C’est pour ça qu’on essaie de vendre des vinyles à des prix peu élevés lors des concerts. Tu as la qualité du son, l’objet. Si tout le monde se met à faire ça, petit à petit le vinyle reviendra vraiment. Plus personne n’a de lecteur cd en fait, les gens ont des ordinateurs.

Et quitte à investir dans du son, ils achèteront plutôt des platines vinyles.

Conik : On fera toujours des cds mais ce ne sera pas pour la vente, plutôt pour la promotion. Mais c’est pas sur, peut être qu’on ne fera que du mp3.

Comment est-ce que vous choisissez vos titres de morceaux ? Ça a l’air un peu folklo !

Conik : Sur le moment ! On était en salle de répet’, on jouait un morceau, il fallait trouver un nom, un carton « Méga Promo » trainait, voilà, le morceau s’appelle Megapromo.

Vous communiquez beaucoup sur scène. Comment est-ce que vous gérez l’impro ? Est-ce que vous vous dîtes que le chorus c’est de telle mesure à telle mesure et ça ne bouge pas [ici Julien crie un "Ah non, surtout pas !!!" plutôt éloquent] ou est-ce que vous prenez beaucoup plus de libertés ?

Conik : Il y a les espaces écrits et les espaces libres, qui peuvent être infinis selon l’énergie. On se connait, un petit clin d’œil, un signe et on part. Parfois on écrit carrément les parties sur place. Un mec joue un motif au début de son solo, quelqu’un le retient, on repart dessus.

Le public est assez réactif, est-ce qu’il y a des moments où vous cherchez tel effet pour le faire repartir ? Comment faites vous la set-list ?

Conik : Dans les faits, non mais on essaie de le faire. On essaie d’avoir des set-lists logiques, nous qui faisons des morceaux énergiques, quand tu mets tes deux titres calmes à la suite, c’est raté. L’autre soir on s’est vachement gouré dans la playlist !

C’est vrai que la fin tombait à plat.

Conik : Ouais, c’était le morceau en trop, il y en a toujours un en trop. Normalement on n’aurait pas du le jouer. Mais même à la fin du premier set, tu avais deux morceaux avec des rythmes à influence un peu reggae à la suite. Du coup je me suis un peu chié, comme les deux solos de basse d’affilée, des choses à ne pas faire. Il n’y a pas de formule magique mais il y a des formules. A force de jouer, tu sais que tu peux amener les gens à faire certaines choses, si tu t’y prends bien il y a des montées d’accords, certains rythmes qui font réagir tout de suite. En général, quand tu mets de la grosse caisse sur tous les temps, les gens bougent la tête ! Les parties non écrites, tu es directement en contact avec les gens, dans l’instant, tu es dans la recherche par rapport à toi même, la manière dont tu te sens, et les réactions des gens. Le concert ne sera jamais le même.


Globalement vous avez l’impression que les concerts se passent bien. Ce sont surtout des personnes qui vous connaissent qui viennent vous voir ou non ?

Conik : Du tout !

Julien : De toute façon, on ne joue presque plus sur Paris.

Conik : On aime plus du tout. Les limonadiers de merde qui tiennent des salles, c’est infernal !

Julien : Les petits clubs c’est pas la même chose que tenir deux mille personnes avec du son énorme. Les gens ne réagissent pas du tout de la même façon.

Conik : Deux mille, je trouve ça trop. Je pense qu’il y a une taille pour réussir à communiquer avec tout le monde, pour fusionner avec le public. La musique parle d’elle même jusqu’à une certaine limite. L’échange n’est pas le même. Je trouve que quatre cents personnes, c’est le maximum. Peut être qu’à force de jouer devant deux mille personnes, on va passer un cap et changer un peu notre musique pour toucher autrement le public. Pour ça je compte sur les phases d’impros, plus lâchées. Faut les tenir !

C’est clair, surtout qu’il ne faut pas se berner à cause des quatre premiers rangs qui bougent, derrière ça papillonne totalement.

Conik : Ah bah ça... Avant je jouais dans un groupe qui s’appelle Les Chevals, on avait fait la première partie de Lenny Kravitz, des stades de treize mille personnes ! Ouh... Et puis les gens viennent pas pour toi, même si tu es un peu connu ils en ont rien à foutre. J’avais vu les Rolling Stones au Stade de France, première partie Jean-Louis Aubert, ça décollait pas.

Dans votre description sur MySpace ou Facebook, vous mettez en avant Zappa, Schifrin, Mingus. C’est un moyen de dire voilà ce qu’on va faire, on joue, on se fait plaisir ? Vous arrivez à accrocher les gens comme ça ?

Conik : Accrocher, je sais pas. C’est pas évident de réussir à décrire sa musique sur Internet. On essaie de donner la couleur, on a des influences jazz-funk 70’s, assez libres. Zappa pour dire qu’il y a une ouverture, Mingus pour les cuivres, la formation big band assez musclée et Schifrin pour l’écriture un peu musique de films, avec des thèmes. Je suis super fan de Schiffrin.

D’ailleurs il y a un album de lui qui s’appelle Black Widow, avec une reprise des Dents de la Mer à sa sauce, c’est mortel !

Conik : Ah ouais ? Black Widow ? Je ne connaissais pas mais faut carrément que je choppe ça. Moi je l’avais découvert sur un album de Dizzy Gillespie, une chanson qui s’appelle Unicorn, il y joue du clavier. Ça fait un peu musique de film érotique des années 80, avec des synthés, bien funky kitsch et jazzy, c’est vachement bien.

Où est-ce que vous placez les ambitions du groupe ? Est-ce que tu penses à la conquête du monde tous les matins ou juste à enchainer encore quelques dates ?

Conik : Conquérir le monde, non. Ça ne veut rien dire, on ne vit pas comme ça. L’idée globale c’est de faire de la bonne musique, en avoir rien à foutre des standards. Y’a plein de gens qui viennent me voir en disant « ouais c’est super, mais vous voulez pas mettre un chanteur ? » Peut être qu’un jour on mettra une voix mais pour l’instant ce n’est pas le sujet. On ne veut pas s’adapter à un format commercial, même si ça peut nous influencer d’une certaine manière, ce que tu entends à la radio reste quelque part dans ton cerveau. En fait on aimerait bien jouer plus. Être davantage connu revient juste à jouer plus, en fait. Tu touches plus de gens. On a pas de tourneur, on est auto-tout, on a notre matos. On a trente piges, je pense que sur la longueur, sans forcer, Mabreuch peut être encore là dans dix ou vingt piges. En gardant cet esprit d’artisan, ça va marcher.

Julien : On n’est pas dans le compromis. Si un tourneur vient nous dire qu’il adore ce qu’on fait, on sera super content...

Conik : Mais qu’il vienne pas nous dire « fais ceci, fais cela, mets de la voix, coiffes toi comme ça, ce sera mieux »...

De toute façon avec une musique instrumentale vous êtes condamnés à Radio Campus sur le coup de deux heures du matin.

Conik : Oui mais bon... On créé des rapports beaucoup plus sains, toi tu as aimé le concert, tu viens nous interviewer.

Oui, et avec internet ce rapport prend vraiment son sens, il y d’autres possibilités. Avec un pote graphiste vous pouvez faire un clip, le lancer, faire des animations flash.

Conik : Tu peux t’autoproduire, t’autodistribuer, montrer ce que tu fais. Les gens se connectent, c’est facile d’accès.

Vous avez eu des retours sur vos premiers disques ? Des retombées médiatiques ?

Conik : Oui, certaines personnes appellent pour nous programmer. Bon, quand tu n’es pas connu tu ne ramènes personne, du coup il y a une mise en route un peu compliquée. En général les gens kiffent et veulent nous faire venir, mais parfois tu as des problèmes de thunes ou de placement. Nous, on peut faire des concessions jusqu’à un certain niveau, c’est quand même notre boulot. Mais chaque fois qu’on joue ça se passe super bien, on a jamais eu une date pourrie.

Vous avez tenté d’envoyer vos cds à des radios, des journaux ?

Conik : C’est sensé être mon boulot mais je ne l’ai pas trop fait. Je m’occupe aussi de musique dans le groupe, je n’y arrive pas très bien. C’est un gros taf, tu les appelles, les rappelles. Moi je m’occupe déjà de gérer les plans, les gens nous appellent et on avise. Il faudrait démarcher des salles, des gens, mais c’est hyper lourd.

Il n’y a pas des labels ou des structures qui correspondent à votre état d’esprit et qui vous soulagerait de tout ça en faisant corps avec d’autres groupes ?

Julien : C’est très difficile de pousser les gens à s’investir, encore pire que la promo.

Conik : Pour bouger les gens il faut compter sur facile six mois ou un an. Tu envois un cd et six mois après le mec se bouge. Tu passes ton temps à planter des petites graines... J’ai du mal avec le copinage, le démarchage ce n’est pas mon truc. Mais ça devrait aller. Au dernier concert tu avais des gens qui travaillent dans la musique, ils ont vu le truc, ils peuvent appeler. C’est pas tout d’être distribué par un label à la FNAC, si tu n’es pas connu, ton cd sera dans un bac au fond du magasin et personne ne l’achètera. Est-ce qu’il ne vaut mieux pas vendre du mp3 sur internet à prix ridicules ? Après tu peux espérer que dix mille personnes l’achètent, et plus encore qu’il y a dix milles personnes qui l’ont acheté, tu sais qu’il y a au moins dix personnes et leurs potes qui aiment ton son, ça prend tout de suite un autre sens.

Comment se présente le nouvel album ?

Conik : Les mêmes gens que le deuxième, la même intention. Par contre on enregistre tous ensembles. Le deuxième on avait fait la rythmique puis les cuivres, pas une expérience que j’ai envie de refaire. On a pris quatre jours en même temps, pas un par un, c’est pas possible.

Julien : On a écrit et testé les morceaux en tournée.

Conik : Oui, on fait l’inverse. On écrit les morceaux, on les joue et on les vit avant de les enregistrer. Ça me semble plus logique d’écouter ce que tu as vraiment envie d’y mettre, de sentir la vibe des concerts et les réactions pour en être satisfait lorsque tu appuies sur REC.

Julien : Il y a un gros travail de fond. On est tous ensembles, on met plein de petits détails, chacun a un rôle, on écrit des arrangements qui s’imbriquent directement.

Conik : T’enlèves des calques, ça devient de moins en moins flou. Tu te rends compte qu’à tel endroit telle chose apparait.

Sur le disque il y a indiqué « Nicolas Ghunter Production ». Je n’ai rien trouvé sur lui sur Internet, vous pouvez nous en parler ?

Conik : C’est notre producteur. Il est allemand, il veut rester absolument inconnu. C’est dans la même logique, c’est un artisan, il est dans la montagne, il nous file des ronds. En fait je le connais depuis super longtemps, il nous fait confiance, c’est un peu un mécène, il peut nous allonger des thunes pour le pressage ou l’enregistrement.

Vous savez quand sortira le prochain album ? Vous avez déjà des idées de pochette, un nom ?

Conik : Assez vite, mais je sais pas encore... Je dis rien, on a des idées mais rien n’est encore totalement fixé. Pour la pochette précédente on avait fait une anamorphose. C’est une photo d’une vraie construction, un point de vue qui vaut une seule fois. Quand tu ouvres la pochette tu as une autre photo, c’est un autre point de vue du même objet que j’ai fabriqué et peint. Pas mal d’artistes ont fait ça...

Dernière question, l’instant copinage. Vous voulez défendre un groupe qui vous tient à cœur, faire la promo de quelqu’un ?

Conik : Je sais pas, il y en a plein... Après pourquoi parler d’untel et pas d’untel. Bah, tiens, il y a Mabreuch, super groupe, à découvrir !

Mabreuch from Céline Eudier on Vimeo.

Mabreuch sur MySpace.



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