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mercredi 15 avril 2015
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par Aurélien Noyer le 2 septembre 2009
paru le 26 septembre 2006 (Artists First Records)
The Killer is back. Jerry Lee Lewis a enregistré un album à plus de 70 ans et soyons clair, c’est une tuerie !
Je ne sais pas si ce projet a été initié suite au succès des American Recordings de Johnny Cash, mais qu’on ne s’y trompe pas : bien que le principe soit similaire (sortir un vétéran de la première époque de sa retraite et lui faire enregistrer un disque digne de lui), cette galette n’a rien à voir avec celles que Cash a enregistré à la fin de sa vie, de la même façon que Jerry Lee Lewis et Johnny Cash n’avait pas grand chose en commun. Là où Cash était plutôt partisan d’une certaine sobriété musicale (et vestimentaire), Jerry Lee Lewis était tout en exubérance, n’hésitant pas à rouer son piano de coups pour des descentes de claviers infernales et enflammés (il mettait parfois le feu à son piano). Cette différence se retrouve donc dans cet album : là où Cash, aidé par Rick Rubin, avait opté pour un son dépouillé et épuré, Jerry Lee invoque le brasier magique du rock’n’roll originel.
En fait, ce disque est d’une certaine façon un héritage, un legs que fait Jerry Lee Lewis aux générations futures. C’est l’œuvre d’un vétéran qui a vécu la naissance du rock’n’roll, y a participé, a connu les acteurs de cette histoire qui, cinquante ans plus, continue de s’écrire. Le titre fait d’ailleurs référence à cette époque, au fameux Million Dollar Quartet, jam-session impromptue qui avait vu Elvis Presley, Johnny Cash, Jerry Lee Lewis et Carl Perkins réunis par hasard aux studios Sun. Or, de ce quartet magique, Jerry Lee est le seul survivant, le Last Man Standing et lorsque j’écoute ce disque, j’ai l’impression que Jerry Lee a voulu montrer au monde ce que ces hommes ont apporté à la musique. D’où ce mélange de country, de blues, de rythm’n’blues, de tout ce qui a finalement donné le rock’n’roll. Alors forcément, quitte à vouloir ressuciter l’esprit du rock’n’roll originel, autant y aller direct et montrer que le rock’n’roll a toujours été synonyme d’énergie et de passion.
Et plutôt que de faire ça tout seul, le Killer s’est offert le plus gros casting jamais vu sur un disque de rock. Outre quelques vétérans (B.B. King et Little Richard), c’est tout le gratin du rock et de la country qui est venu rendre hommage au pionnier. Après tout, comment des gens comme Jimmy Page, Mick Jagger, Keith Richards, Eric Clapton ou Neil Young auraient-ils pu refuser de participer à cet album sans passer pour des ingrats ? Au vu de la dette qu’ils ont tous envers Jerry Lee Lewis et les pionners du rock’n’roll, c’était la moindre des choses. Mais malheureusement, les disques "collectifs" où un artiste invite ses amis à venir enregistrer avec lui sont rarement à la hauteur de leur potentiel, collections de chansons hétérogènes où les univers de chacun ne s’accordent pas toujours. Qu’on se rassure, ici il n’en est rien et malgré la différence de styles présents, l’album sonne de façon très cohérente. On sent que Jerry Lee Lewis et son producteur ont pris soin de bien diriger les invités et on peut donc entendre ce qui ressemble à une grande fête entre potes mais maîtrisée et enregistrée à la perfection. Les collaborations fonctionnent à merveille et on sent que Jerry Lee Lewis, toujours en forme vocalement et au piano, s’amuse et entraine tout le monde avec lui.
Je ne vais pas faire la description de toutes les chansons, ça serait très laborieux à la fois pour vous et pour moi. Mais je pense qu’il y a quand même quelques morceaux qui valent la peine qu’on s’y arrête, notamment la première piste. Ce fameux Rock’n’Roll, hymne de Led Zeppelin, transformé ici en brûlot rock’n’roll et qui donne le ton à l’album (la première phrase prononcée par Jerry Lee est tout simplement "Oh I Need To Rock’n’ Roll"), bénéficie de la guitare d’un Jimmy Page qui n’avait plus joué comme ça depuis les Yardbirds (et encore...). Oubliés les plans heavy blues à la Led Zeppelin, il déploie ici un jeu sec, presque rockabilly qui ferait presque regretter le fait qu’il se soit un jour acheté une Les Paul.
Juste derrière, on enchaine avec Before The Night Is Over avec B.B. King. Le bluesman montre là qu’il est sans doute un des guitaristes les plus inspirés au monde. Lui seul sait faire pleurer Lucille (le nom qu’il a donné à sa guitare) de cette façon. Tout en retenue, en feeling, il parvient à faire passer énormément avec peu de notes. Un modèle pour tous les guitaristes. J’ai ensuite été particulièrement surpris par la reprise de Honky Tonk Woman en duo avec Kid Rock. Je ne suis pas vraiment fan du mec mais je dois avouer que sur le coup, il m’a réellement bluffé. Pour être honnête, la première fois que je l’ai entendu, j’ai cru entendre Rod Steward période Every Picture Has A Story To Tell et le titre des Stones est envoyé avec toutes l’énergie et la hargne nécessaire, la voix éraillée de Kid Rock donnant justement un côté diablement honky tonk à l’enregistrement. Du coup, quelle ne fut pas ma déception en entendant, juste après ça, le morceau en duo avec le véritable Rod Steward. C’est presque triste de se rendre compte que le Rod s’est bousillé la voix et essaie toujours de chanter comme au temps de sa splendeur.
Mais le climax du disque est atteint avec l’arrivée de Kris Kristofferson venu reprendre The Pilgrim, son propre morceau dont les paroles semblent avoir été écrites à propos de Jerry Lee Lewis qui, très croyant, s’est souvent accusé lui-même de jouer la "musique du diable".
He’s a poet, he’s a pickerHe’s a prophet, he’s a pusherHe’s a pilgrim and a preacher, and a problem when he’s stonedHe’s a walkin’ contradiction, partly truth and partly fiction,Takin’ ev’ry wrong direction on his lonely way back home.
Les voix de ces deux southern men s’unissent pour célébrer le white trash, ce pauvre type du Sud perdu entre sa foi et ses instincts. C’est de lui qu’est né le rock’n’roll, du mélange de la musique religieuse (gospel) et des musiques de bar (country, blues, boogie) et l’hommage que ces deux outlaws lui rendent n’en est que plus émouvant, car derrière ce pélerin, se profilent les ombres de Johnny Cash, Carl Perkins, de tous ces petits blancs qui ont sans le vouloir créé quelque chose qui les dépassait, qui transcendait leur condition, leur souffrance, leur foi et leur rage.
Bien sûr, toutes les chansons de l’album sont excellentes et mis à part Rod Stewart, c’est impressionnant d’entendre comment Jerry Lee pousse ses invités à se surpasser. Jagger n’avait plus chanté ainsi depuis longtemps et offre un Evening Gown de toute beauté. Quant aux autres (Springsteen, Neil Young ou le chanteur de country George Jones), ils sonnent comme s’ils venaient de sortir d’un honty tonk pour s’enfermer dans le studio avec Jerry Lee. Même Ringo Starr est presque crédible pour reprendre le Sweet Little Sixteen de Chuck Berry sans que ça ne tourne trop à la farce façon Yellow Submarine ou Octopus’s Garden.
De façon assez ironique, l’album a vite été classé dans les charts américains, mais le seul classement dans lequel il a atteint la première place a été les charts indie rock. À croire qu’écouter du rock’n’roll à l’heure actuelle est toujours la marque d’une certaine forme d’indépendance et de rébellion vis-à-vis d’un establishment toujours plus replié sur lui-même et ignorant de la réalité (il n’y qu’à voir les nominations des Grammy Awards pour voir combien l’industrie musicale est basée sur l’auto-satisfaction et éloignée de la création artistique). Jerry Lee Lewis est, en dehors du mainstream et de la hype, toujours aussi enragé et prêt à défendre le rock’n’roll. Avec des disques comme celui-là, on se dirait bien que le rock’n’roll est reparti pour encore cinquante ans, facile...
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