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Death By Sexy

Death By Sexy

Eagles of Death Metal

par Emmanuel Chirache le 14 décembre 2010

Paru en avril 2006 (Downtown Records)

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Quand on n’aime pas l’indie rock branché et ses milliers de représentants sortis de la cuisse de myspace chaque année depuis dix ans ou presque, c’est peu de dire que les années 2000 ne sont pas les plus excitantes en matière de musique. Pour autant, je n’a rien contre les groupes des années 2000, j’ai même de très bon amis qui sont groupes des années 2000. Exemple : les Eagles of Death Metal. Débarqués dans la planète rock vers la mi-décennie, les EoDM (pour les intimes) ont réalisé une percée salvatrice dans un paysage alors étouffé entre le folk-rock indépendant de trentenaires journaleux/blogueurs et le "retour du rock" mené par des groupes en The qui ont disparu cinq ans plus tard (Libertines, Strokes, White Stripes et autres moins fameux, aujourd’hui quasi décédés). Il manquait alors au rock des années 2000 une chaleur, une spontanéité, un élan sexy que les Eagles of Death Metal viendront combler. Oui, le groupe de Jesse Hugues est venu remettre au centre du sujet la fraîcheur amatrice et les râles orgasmiques du rock’n’roll, ces tables de la loi, ce rock premier et originel que les Beatles ont hélas relégué à l’anonymat, exceptions faites d’Elvis Presley, Chuck Berry et un ou deux autres.

Le rock’n’roll, ou rockabilly (la différence est mince, tenant à la dose de country plus importante dans le rockabilly, mais aussi à la production : les Studios Sun étaient le haut lieu de ce genre), parent pauvre du rock, ressurgi le temps d’un petit revival à la fin des années 70 début des années 80, régulièrement oublié pourtant des influences majeures citées ici ou là. Les Eagles of Death Metal, eux, réhabilitent donc le riff cradingue, la voix de fausset et le déhanché sexy à se déboiter le pelvis. Car c’est bien dans cette partie du corps qu’est située l’âme du rock’n’roll, le bassin, qui valut à Presley son surnom ("Elvis the pelvis"). Mais ce n’est pas tout : loin d’être un simple revival rockab’, le groupe va puiser son inspiration du côté du glam (qui était déjà une forme de retour au rock des fifties), du blues rock dans la plus pure tradition stonienne (comme nous l’a confié Jesse Hugues lors d’une interview, il ne fait "que voler la même chanson des Stones encore et encore"), enfin de la rythmique boogie qui a fait les grandes heures d’Angus Young.

Pour certains, le cocktail se résume à une amusante parodie telle que Tenacious D l’a portée à son sommet, une relecture "pour de rire" des mythes du rock. La pochette du disque, référence explicite à celle de Sticky Fingers des Stones qui se présente même comme son envers hard rock à cornes de bouc [1], confirmerait cette dimension caricaturale cultivée par le groupe au point d’inventer un dérivé du logo des Stones en forme de langue surmontée d’une moustache. C’est oublier un peu vite que le rock s’est plu dès l’origine à rivaliser de clins d’œil à ses aînés ou contemporains, que ce soit Frank Zappa se moquant gentiment de la photo de Sgt. Peppers ou les Clash faisant allusion au premier 33 tours d’Elvis Presley chez RCA avec leur London Calling. En réalité, les EoDM représentent bien plus qu’une simple récréation parodique et peuvent s’appréhender comme du mythe rock en actes. La transfiguration de Jesse Hugues, ancien journaliste politique minable cocufié et abandonné par sa femme, puis devenu par la grâce du saint-esprit rock une star cool et sexy, prouve qu’il s’agit bien ici d’un rite magique et identitaire qui va au-delà de la farce.

Certes, la caisse de résonance qui vient entrer en sympathie avec la parole du diable rock s’est amoindrie, diminuant du même coup la portée symbolique d’un tel constat. Pourtant, la transformation de Jesse Hugues est bien réelle, elle a d’ailleurs tout balayé sur son passage puisqu’il est quasiment impossible de trouver une photo du bonhomme avant sa carrière de chanteur. Voici donc un groupe emmené par un certain Josh Homme ainsi que par un sosie de Wyatt Earp, moustache faite homme, Ray-Bans faites étendard, silhouettes désormais reconnaissables puisque l’illustrateur Michael Hacker en a tiré d’excellents posters ; D’un côté donc, un anonyme propulsé soudainement au devant de la scène, de l’autre un guitariste émérite et leader des Queens Of The Stone Age passé incognito derrière les fûts et la console de mixage pour son plus grand bonheur. Caché sous le pseudonyme de Baby Duck, Josh Homme peut alors laisser libre cours à son imagination et à un amour pour le rockabilly que sa ressemblance singulière avec Elvis Presley ne pouvait qu’encourager.

Derrière ce duo démentiel, une armée de petites mains façonnent un son et des chansons, Joey Castillo, Troy Van Leeuwen, et bien sûr Alain (Johannes) pour ne citer qu’eux. Et quelles chansons ! tout cela ne serait que du babillage si derrière les compositions n’avaient pas suivi. Si l’effet de surprise du génial Peace Love Death Metal s’est estompé, si le perfectionnisme du formidable Heart On n’est pas encore affirmé, force est de constater que Death By Sexy s’impose comme le parfait entre-deux, un savant dosage de fraîcheur et de professionnalisme qui n’abdique pas la déconne sur l’autel du travail. Le disque est ainsi rempli d’hymnes à la danse, au sexe et au diable, il pue la sueur, le rock et la bière. Dès I Want You So Hard, l’auditeur voit tous ses sens se mettre en alerte et il tape en rythme dans ses mains pour chanter "the boy’s bad news" à la manière d’un pasteur en transe récitant son gospel vespéral. Suit un I Gotta Feelin’ (Just Nineteen) plus binaire, avec ses "ouh ouh" délectables, son falsetto jouissif, sa partie de batterie à faire chavirer les donzelles par paquet de douze.

Plus classique, Cherry Cola n’en reste pas moins un excellent morceau, tandis que le déglingué Solid Gold ressemble à du hillbilly sous acide. Autre pépite, Don’t Speak (I Came To Make a BANG !) montre un art consommé des pauses et des reprises, s’arrêtant sur un coup de tête pour repartir ensuite de plus belle. Les requins de Nike en personne ont décidé d’utiliser le morceau pour accompagner le spot de pub "Take it to the next level" qui fit sensation en 2008 grâce à sa réalisation POV ("point of view", soit point de vue subjectif) :

J’avoue également une tendresse particulière pour The Ballad of Queen B and Baby Duck... qui mène directement à l’un des morceaux de bravoure du disque, ce Poor Doogie qui est en fait un boogie endiablé assez proche il est vrai d’AC/DC, surtout pour les "hahahaha hahahaha" qui font évidemment penser à l’intro de Thunderstruck. Petit à petit, la chanson s’emporte et les chœurs se déchaînent dans un feu d’artifices rock’n’roll que personne, à notre connaissance, n’a surclassé depuis (on parle de rock’n’roll, hein). D’ailleurs, histoire d’enfoncer le clou, Jesse Hugues et son band nous torchent un Chase The Devil monumental dans la lancée, une transe vaudou magistrale et bien plus excitante que ce que les Cramps ont pu réaliser dans le même domaine. S’ils avaient l’attitude et la volonté, ces derniers n’avaient hélas pas les chansons, ni le producteur pour aller avec, j’en veux pour preuve que leurs meilleurs morceaux sont des reprises : Surfin’ Bird et She Said. A l’inverse, les originaux signés Hugues et Homme resteront au-delà des années 2000, nous sommes prêts à prendre les paris. En concert, l’énergie et l’attitude sont là aussi, et le set donné au Trabendo en 2006 après la sortie du disque est inscrit dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu.



[1Les sinistres Mötley Crüe ont fait une pochette similaire, quoique bien plus ringarde, pour leur premier album Too Fast For Love.

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Tracklisting :
 
1. I Want You So Hard (Boy’s Bad News) – 2:21
2. I Gotta Feelin (Just Nineteen) – 3:30
3. Cherry Cola – 3:17
4. I Like to Move in the Night" – 3:59
5. Solid Gold – 4:20
6. Don’t Speak (I Came to Make a BANG !) – 2:47
7. Keep Your Head Up – 2:27
8. The Ballad of Queen Bee and Baby Duck – 1:59
9. Poor Doggie – 3:16
10. Chase the Devil – 3:02
11. Eagles Goth – 1:59
12. Shasta Beast – 2:26
13. Bag O’ Miracles – 2:19
 
Durée totale :38’48"