Comment dire ? Il y a dans la vie des axiomes dont la réalité doit être acceptée sans forcément pouvoir la démontrer. Exemple, deux plus deux font quatre, c’est comme ça. Hé bien quand Elvis chante du gospel, le même genre d’évidence vous frappe. La beauté de ce qui sort des enceintes pénètre directement la chair et l’esprit, comme si le doigt d’un Dieu qui n’existe pas venait vous caresser l’âme. Avec la musique sacrée, le King se transcende et porte sa voix vers des cimes de splendeur rarement atteintes. La raison en est simple : plus que le rock’n’roll, Elvis adore le gospel. En fait, il y a du complexe freudien dans tout cela. Car si le jeune homme fait tout pour enregistrer de la musique religieuse dès ses débuts, c’est pour plaire à sa mère, la dévote Gladys. Jusqu’à sa mort, Elvis aura donc chanté du gospel, tout le temps, partout, toujours, au point qu’il prétendait connaître toutes les chansons du répertoire. C’est cette obsession que ce coffret se propose de retracer en compilant toutes les infidélités que le King aura faites au rock, mais avec la bénédiction du Très-Haut. Quatre CD pour plusieurs heures de plaisir total, orgasme assuré.

Complexe d’Œdipe donc. Elvis veut coucher avec maman, alors il lui chante des sermons d’église. Même pour baragouiner du rock, il engage rapidement les Jordanaires, un fabuleux groupe vocal qui l’accompagnera de 1956 à 1968. Premier ténor de la formation, Gordon Stoker témoigne : « Elvis voulait faire des disques que sa mère puisse aimer. Gladys n’aimait pas vraiment ses trucs rock’n’roll. Il a fallu négocier un peu avec le label, mais Elvis a fini par avoir l’autorisation d’enregistrer un album de gospel. » Ce sera chose faite avec l’EP Peace In The Valley de 1957, puis avec le 33 tours His Hand In Mine sorti en 1960, soit juste après son service militaire. En Allemagne, Elvis a rencontré Charlie Hodge, un chanteur qui l’initie davantage au genre et lui fait découvrir le Golden Gate Quartet. La palette du jeune Presley s’élargit, puisqu’il peut désormais passer d’une tonalité de baryton à celle d’un ténor. Le premier volet du coffret est donc dédié à ces deux disques rigoureusement splendides, mêlant alternativement des mélodies adorablement délicates ou mélancoliques (I Believe, Peace In The Valley, Crying In The Chapel, His Hand In Mine) et des airs plus enjoués faits pour frapper dans ses mains comme un damné qui veut sa rédemption (Milky White Way, Joshua Fit The Battle, Swing Down Sweet Chariot, Working On The Building). Deux filons qui alimenteront perpétuellement la veine gospel du King.

C’est le cas par exemple du deuxième volume, consacré surtout à How Great Thou Art, chef-d’œuvre incandescent que nous avons déjà chroniqué dans les pages d’Inside Rock. Si vous cherchez Dieu, écoutez How Great Thou Art, vous le trouverez. Si vous cherchez autre chose, vos clés, un job, un restau pas cher, la rue de Poliveau, le même pull rayé en taille 38, vous ne le trouverez pas ici, mais vous vous en moquerez éperdument. Car vous aurez la bave aux lèvres, interdit face à tant de magie. Sans transition, passons directement à la troisième pièce de cette quadrilogie, qui collecte les chansons de Elvis Now et He Touched Me (1972). A priori, Elvis passé 1969, c’est de la merde. C’est ce que vous pensez non ? Si c’est le cas vous avez tout faux, bande d’impies ! Certes, les titres de Elvis Now ne s’inscriront pas en lettres d’or sur le frontispice du panthéon gospel. En revanche, ceux de He Touched Me restent d’une qualité tout simplement hallucinante, que ce soit Lead Me, Guide Me, Put Your Hand In The Hand, An Evening Prayer, Bosom Of Abraham, ou encore I, John (pure merveille !). Et paf, un second Grammy Award dans la poche d’Elvis (le premier ayant couronné How Great Thou Art, déjà de la musique sacrée).

Le dernier disque, lui, est un joyeux bordel. A l’intérieur s’entrechoquent des extraits de films (l’excellent Down By The Riverside/When The Saints), passages du NBC Comeback de 1968 (dont un medley renversant), morceaux live (quel How Great Thou Art mes aïeux ! pif, troisième Grammy), prises alternatives avec poilades et ratés (You Better Run, à ne pas manquer), et enfin une poignée d’enregistrements faits maison. Au final, pas grand chose à jeter sur ces quatre albums.

S’il fallait émettre un reproche à ce coffret, ce serait le suivant : pourquoi rassembler des choses qui existent déjà séparément et que n’importe qui peut se procurer facilement à l’exception de quelques chansons ? Oui, pourquoi mon dieu, pourquoi ? Oooooh, why dear Lord, why ? Show me thy way, lead me, guide me, take my hand precious Lord ! Please help me ! (vous êtes priés de taper dans vos mains pendant que je parle).