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mercredi 15 avril 2015
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par Emmanuel Chirache le 18 novembre 2008
Paru le 28 octobre 2008 (Downtown Recordings)
Une grosse blague. Voici comment la plupart des médias conçoivent les Eagles Of Death Metal, groupe le plus sous-estimé de la planète rock. En substance : ils ne sont pas très malins, pas très subtils, mais qu’est-ce qu’ils sont drôles ! Même le dernier Kills - pourtant pas vraiment intello - a provoqué des tourbillons d’émerveillement et des pâmoisons émues au sein de la critique, alors que le projet de Jesse Hugues et Josh Homme ne récolte au mieux qu’un sourire amusé chez les journalistes. Humour trop premier degré, sans doute. C’est d’ailleurs ce qui fait tout le sel des Eagles Of Death Metal, l’absence totale de cette ironie distante que n’importe quel groupe anglais de seconde zone manie si bien. Ici, aucune distance entre le public et l’artiste. La musique des Eagles s’adresse au corps et non à l’esprit des auditeurs, elle doit pouvoir se fondre dans la foule hédoniste. Du rock de beauf, enfin ! Car à force d’écouter de la pop, du folk, de l’indie ou du metal, on en avait presque oublié l’essentiel : le rock’n’roll pur et dur, c’est-à-dire du sexe avec des guitares (faut-il rappeler ce que signifie "rock’n’roll" en argot afro-américain ?). Les EoDM remontent ainsi aux sources boogie-woogie, garage et glam pour nous concocter la bande originale la plus sexy et dansante de notre vie.
Jesse Hugues ne dit pas autre chose quand il définit la musique qu’il joue : « C’est un peu comme si Little Richard avait violé les Rolling Stones en prison et qu’ils avaient eu un enfant, lequel se serait fait violer à son tour par les Sonics et T.Rex vingt ans plus tard. » Pour ce nouvel opus, la recette reste sensiblement la même : riff effréné pour un single qui tue (Wannabe In LA), une pointe de glam décadent (on entend des réminiscences de Marilyn Manson sur l’excellent High Voltage), power chords à la Keith Richards (écouter à cet égard Heart On, la meilleure "reprise" de Jumping Jack Flash jamais réalisée), chant en falsetto (voir le jouissif Prissy Prancin’) et hymne lubrique pour faire remuer les filles sur le dancefloor (Cheap Thrills, un régal). Il y a même une ballade plutôt réussie et intitulée Now I’m A Fool. Là où beaucoup d’autres auraient bégayé leur rock’n’roll, les Eagles of Death Metal se sont réinventés à chaque album sans pour autant renier leurs principes essentiels, composant sans forcer des chansons qui sont autant de petits miracles. On aurait pu croire la source d’inspiration tarie en deux disques, mais non ! Voici que Hugues et Homme nous pondent encore un Secret Plans à faire se trémousser un fan de Massive Attack, un How Can A Man With So Many Friends Feel So Alone ? hargneux, un Solo Flights apocalyptique, ou encore un I’m Your Torpedo délicieusement hypnotique qui fait penser à du Devo. Mais où vont-ils chercher tout ça ? Et pourquoi nos concitoyens préfèrent-ils écouter Coldplay, MGMT ou les 30 Seconds To Mars ?
La faible notoriété du groupe en France, même auprès de la presse musicale, peut s’expliquer par l’absence de culture rock’n’roll dans notre pays. A l’inverse des Anglo-Saxons, nos pratiques culturelles sont fondées sur une conception très intellectuelle et politique de l’art, avec un goût prononcé pour le jazz, la pop orchestrale, la chanson à texte, le rock progressif, indépendant et/ou engagé. Difficile dans ses conditions de porter aux nues un groupe si américain dans ses codes et ses traditions musicales. Aux Etats-Unis, et presque partout dans le monde anglophone, les EoDM sont pourtant énormes. Ils représentent la face dionysiaque du rock, le jaillissement des forces élémentaires aspirant à fusionner tout ensemble. Un concept que Nietzsche décrit ainsi : « Le mot ’dionysiaque’ exprime un besoin d’unité, un dépassement de la personne, de la banalité quotidienne, de la société, de la réalité, franchissant l’abîme de l’éphémère ; l’épanchement d’une âme passionnée et douloureusement débordante en des états de conscience plus indistincts, plus pleins et plus légers ; un acquiescement extasié à la propriété générale qu’a la Vie d’être la même sous tous les changements, également puissante, également enivrante. » Nul doute que ce cher Friedrich aurait adoré les Eagles of Death Metal.
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