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par Oh ! Deborah le 8 avril 2008
paru en 1979 (Step Forward)
Vingt-cinq Peel Sessions (un record), vingt-sept albums studios depuis 1979, soit quasiment un par an, voire parfois deux dans la même année, Mark E. Smith n’a pas chômé. Pire : il a viré un par un tous les musiciens qui auraient un jour croisé le chemin de The Fall, nom en référence au livre de Camus et entité mythique du chanteur pas commode, haïssant son mythe et méprisant la musique sympa. Réputé comme le plus antipathique de la terre entière.
L’album commence avec « Is there anybody there ? Yeeeaah » La fête pourrie peut commencer. Vous êtes tous invités dans ce Psykick Dancehall très particulier...
Dragnet est le deuxième album de The Fall mais aussi le plus absolu en matière de vacarme putrescent. L’album est enregistré en à peine trois jours avec la volonté ferme qu’il soit le plus pourrave possible. Ivresse d’un soir (espoir ?) est ici gravée définitivement dans une cacophonie répétitive et calamiteuse inspirée d’un Sister Ray dont on connaît l’autre débauche. Sauf qu’à la place du cuir et de l’héro, on a des vapeurs d’alcool et de la bière chaude à flots. Dragnet, c’est un peu comme des nuages de pollution poisseux et autres joyeusetés nauséabondes. Avec la sensation d’un environnement inextensiblement fermé.
« I don’t sing, I Just shout ». Mark E Smith détient donc une voix reconnaissable entre mille. Un chanté-parlé pugnace, pas complètement criard, juste totalement arrogant. A la fois prophétique et négligé, doublé d’un effet mégaphonique discret mais caverneux. Né d’une famille ouvrière, prenant des acides dès l’âge de seize ans, il n’a eu que faire de l’école mais s’est instruit seul, dévorant des livres psychédéliques ou philosophiques (Camus donc, et Burroughs ou encore Yeats entre autres) avec les premiers membres de The Fall (Una Baines, sa petite amie féministe et claviériste, et le guitariste Bramah, déjà partis au moment de Dragnet pour former Blue Orchids). Sa tête de lascar en 1979 comme en 2008 révèle un personnage aigri, acerbe, misanthrope et nihiliste. Dégouté d’être adulé par toute la scène alternative des années 80 à aujourd’hui. Décrivant et rejetant la société entière, sans distinction, et résistant à toute ressemblance avec autrui. Il serait heureux de dialoguer avec tel personnage.
D’autant que c’est peut être lui qui détient Manchester. A l’écoute de Dragnet, on l’imagine titubant à travers tous les taudis de la ville, en espèce d’hirsute urbain déjanté, à la recherche de rien. Ou si, des piliers de comptoirs qui pourraient servir les paroles de ses chansons. Dragnet est un album fruste, brutal, mais surtout, il donne une version très éloquente des paysages sévères et des sous-sols répugnants qui jonchent Manchester. Ses pylônes électriques charbonneux et ses rails de tramway huilés par la pluie. Dragnet fonctionne comme une locomotive toute rouillée et répond à l’appel d’un coup de poing. Il est génial en ce sens qu’il rend compte de multiples images plutôt exotiques pour qui connaît peu le nord de l’Angleterre. Même s’il n’en décrit qu’un des aspects.
1979 étant une de ces années pluvieuses d’albums aux multiples créativités, Dragnet n’a pas pour seul but d’être totalement underground, il comporte une originalité qui devient vite un grand défouloir après plusieurs écoutes à haut volume sonore. Sa production est tellement au-delà du garage qu’elle mue en une grosse machine déglinguée, mais efficace. Et surtout, compte tenu de l’époque, ce deuxième album de The Fall comporte des sons inhabituels - hormis quelques influences de Can décelables - sales, oxydés, pour ne pas dire assez hallucinants. Notamment une façon de jouer à la guitare (Before The Moon Falls) qui influencera, au hasard, Sonic Youth. Ce titre génial déambule dans un espèce de manoir souterrain où se croisent krautrock et ambiances païennes. Globalement, l’album baigne entre urbanisme déviant et festivités rurales, un monde solitaire où les gens ne se retrouvent que lorsqu’ils ne sont plus lucides. A mi-chemin entre beuveries et sectes chamaniques.
Dans ce genre d’expérience extrême, il y a toujours des tentatives discutables, forcément. Notre mancunien n’a que faire de l’auditeur. La rudimentaire et gothique Spectre Versus Rector et ses huit minutes enrouées, ennuyeuses répondent sûrement à un concept foireux sous substances imbuvables. Quant à la dernière plage, conjuguant guitare désaccordée et kazoo (!), elle n’est pas, malgré son solo casse-gueule bien vu, ce qu’il y a de mieux dans le genre. En dehors de ça, Dragnet est, comme son créateur assoiffé de musique décadente depuis presque trente ans, fascinant. De la pop mélodique et malade (Dice Man ou Your Heart Out) au rock bousillé de Muzorewi’s Daughter, Dragnet est un peu une sorte d’exaltation post-punk-garage-pop, ou plutôt, un rockabilly expérimental du plus inexplicable effet.
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