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par Emmanuel Chirache le 13 avril 2011
Paru en 2002 (Empty Records)
La pochette infâme - mais qui a son charme - de ce Rat’s Brains & Microchips démontre à quel point nous avons ici affaire à un disque étrange et un brin extraterrestre, une série Z garage, punk et rock’n’roll. C’est micro-cheap qu’il aurait fallu écrire en guise de titre, et il faut croire que les caisses du label Empty Records étaient aussi vides que son nom veut bien le suggérer pour produire un tel artwork. D’un autre côté, tout cela rend l’album incroyablement attirant et culte, une aura renforcée par sa rareté exceptionnelle. A une époque où tout est facilement accessible très vite, il n’est pas si aisé de se procurer Rat’s Brains & Microchips. Après avoir galéré comme jamais pour le télécharger, j’ai fini par trouver un exemplaire du disque sur Priceminister, pas si cher, alors qu’un site comme Ebay s’obstine à me répondre "votre recherche n’a permis de trouver aucun objet" et que Discogs propose un LP du disque pour 69.99 £. Concernant les critiques, c’est le même désert. Aucun site ne s’attarde sur l’œuvre, et même le très encyclopédique allmusic.com ne daigne pas lui attribuer ne serait-ce qu’une note. Il ne s’agit pourtant pas d’un obscur groupe de quartier, mais bien de l’ancien groupe de Jay Reatard.
Inutile de dire que ce silence qui entoure le disque lui confère un halo de mystère séduisant. C’est d’ailleurs exactement ce que les chansons elles-mêmes font passer comme sentiment. L’évocation d’un monde aussi inconnu que l’album, un monde souterrain, cryptique, parallèle, extraterrestre, peu importe. Loin du punk garage un peu simplet qu’il fait tout seul, Jay Reatard invente avec Alicja Trout une musique plus complexe et outrancière, orchestrale mais sans orchestre, boursouflée de grandiloquence mais fascinante par cette façon permanente de faire dans l’hyperbole sonore. Les Lost Sounds créent ici une sorte de générique de dessin animé délirant en même temps qu’un romantisme de l’action, car les chansons charrient incessamment leur lot d’images de combats épiques ou de travellings virtuoses, entre désespoir et révolte.
La capacité à invoquer des images mentales est l’une des caractéristiques les plus intéressantes du groupe. Voilà que Total Destruction convie l’apocalypse par ses accents chaotiques, tandis que Energy Drink & The Long Walk Home correspondrait parfaitement à l’introduction de super héros dans un manga. Les excès d’un You Don’t Know Remote Control, d’un Peek-A-Boo You’re Doomed (à la limite du SOAD), montrent aussi un groupe à la puissance redoutable, qui ne s’impose aucune limite ni aucun tabou. Le kitsch 80’s des synthés Korg du troublant Frozen Time par exemple, fait preuve d’une audace formidable qui pour l’époque était impensable alors qu’aujourd’hui la pratique s’est banalisée. Le long final du morceau est juste hallucinant, tout droit sortie d’une BO des années 80 (Blade Runner, Terminator, fais ton choix), façon démentielle de clôturer un disque en laissant l’auditeur totalement désemparé.
Bien entendu, tout n’est pas parfait sur Rat’s Brains & Microchips. Cependant ses défauts semblent inhérents au projet du groupe de laisser aller ses émotions et ses idées sans trop les canaliser, du moins en gardant la liberté et la fraîcheur au cœur de la musique. Alicja et Jay auraient pu, notamment, hurler un peu moins histoire d’adoucir certains titres prometteurs (cf. surtout les trois premiers morceaux). Rien de bien grave au final, tant l’ensemble possède un charme irrésistible, qui gît un peu partout : à l’intérieur des petits breaks géniaux et mélancoliques de Breathing Machine, dans l’intro science-fictionnelle de Total Destruction, sur les ruptures de Radon Flows (putain ce chef-d’œuvre), au creux du riff atomique de Peek-A-Boo You’re Doomed, dans les replis des voix de Jay et Alicja tout au long du merveilleux Blackcoats/Whitefear. Ne soyons pas bégueules : un grand disque méconnu, point barre.
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