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par Emmanuel Chirache le 14 avril 2008
« Everybody be cool, this is a robbery ! »
« Any of you fucking pricks move, and I’ll execute every motherfucking last one of ya ! »
Vous pensez que le surf rock doit tout à Surfin’ USA des Beach Boys, vous croyez que le heavy metal est né de l’accouplement de papa Black Sabbath et maman Motorhead, vous vous imaginez le folklore grec sous les traits de Nana Mouskouri ? Vous êtes à côté de la plaque. Oubliez tout cela et ressortez votre bande originale poussiéreuse de Pulp Fiction, plage une, la chanson s’appelle Misirlou. Tout est là. Car lorsque Dick Dale livre sa version très personnelle de cette chanson pourtant ancienne, il offre au surf rock son hymne définitif, il invente les sonorités d’où sortira le thrash metal, il modernise le folklore grec avec génie. L’anecdote veut que celui qu’on surnommait déjà le "King Of Surf Guitar" l’ait interprété pour la première fois en 1960, en réponse à la requête d’un jeune fan lui demandant s’il était capable de jouer un morceau sur une seule corde. « Pas de problème, gamin, répondit-il, reviens demain ». Le guitariste rentra donc chez lui pour se creuser les méninges toute la nuit à la recherche d’un titre qui ferait l’affaire. Par chance, Dick Dale se remémora le temps où il s’appelait encore Richard Monsour. Du fond de son enfance de petit garçon libano-américain élevé par une famille de musiciens surgit alors une chanson orientale, ce Misirlou que l’oncle Monsour jouait sur la double corde de son oud [1] à l’occasion de mariages ou de grandes fêtes.
A cette date, Misirlou s’est en effet imposée comme un standard pour tous les immigrés du Proche et Moyen-Orient, qu’ils soient musulmans, juifs ou chrétiens. A tel point qu’aujourd’hui beaucoup ignorent que la chanson originale provient de Grèce. Les premières traces d’un enregistrement de Misirlou (prononcé "mousourlou", qui signifie "fille égyptienne") remontent à l’année 1930, quand Michalis Patrinos et son groupe la gravent sur la cire. D’après wikipedia, le morceau aurait même été composé par Patrinos et ses musiciens, une affirmation très douteuse et apocryphe, puisqu’il s’agit plus probablement de l’adaptation d’un air issu du lointain folklore grec. Toujours est-il que la chanson finit par aborder Ellis Island et rejoindre New York. Dix ans après la version de Patrinos, un autre Grec, Nick Roubanis, va l’enregistrer dans une veine jazzy et se créditer comme compositeur. A partir de là, Misirlou, parfois orthographié Miserlou, fait le bonheur des orchestres de swing avant de devenir la proie d’un exotisme de bazar à la Korla Pandit dans les années 50. Parallèlement, les communautés orientales du pays vont s’approprier la chanson en l’intégrant aux spectacles de danse du ventre qui animent les restaurants ou les boîtes de nuit. Et derrière la jolie fille qui remue ses bourrelets, l’oncle Monsour se tripote l’oud. Un futur modèle pour le neveu.
Mais revenons à notre défi. Dick Dale a enfin trouvé son morceau à jouer sur une corde, sauf qu’il en accélère le tempo dans le but de lui donner un aspect plus percutant. En augmentant la vitesse de son alternate picking (ou double picking), une technique vieille comme le monde qui consiste à frotter de haut en bas une même corde et qui permet de jouer rapidement des passages délicats, Dick Dale s’invente une signature musicale tout en posant les jalons non seulement du surf rock, mais aussi du thrash metal. Oui, Kill’em All de Metallica doit bien davantage à Dick Dale qu’à Tony Iommi. Pas tant d’ailleurs pour leur utilisation commune de l’alternate picking - depuis longtemps maîtrisé par des guitaristes de jazz ou de country - que pour ce rythme syncopé associé à un son lourd basé sur les deux cordes les plus graves [2]. Ce son, le roi de la guitare surf l’a obtenu grâce à son mentor et ami Leo Fender, qui lui fabriqua du matériel sur mesure. Une Stratocaster pour gauchers évidemment, et puis surtout cet ampli surpuissant qui atteint les 180 watts, un véritable monstre passé à la postérité sous le nom de "Dual Showman Amp" et qui sera renforcé par la création d’enceintes JBL dernier cri, conçues spécialement pour absorber les ruades de Dick l’étalon. A l’arrivée, cela donne le morceau de surf rock ultime, une tornade de décibels qui semble voguer sur l’écume de la guitare, une danse du ventre effrénée et sexy, presque indécente.
Contrairement à ce que certains croient, le Misirlou qu’on peut entendre sur Surfer’s Choice en 1962 ne bénéficie même pas, s’il vous plaît, de la réverbération Fender qui fera ensuite partie de la panoplie du jeu de guitare de Dick Dale. Brute de décoffrage, la chanson va connaître une telle réussite commerciale que le guitariste répétera le schéma dans de nombreux morceaux, comme sur les excellents Surf Beat, The Victor, The Wedge ou encore le monumental Night Rider. Dans la foulée de ce succès, tout le monde voudra sortir son Misirlou, les Beach Boys bien sûr, les Trashmen ou encore les Surfaris. Pourtant, la surprise viendra de France avec une reprise signée des Chaussettes Noires ! Sans Eddy Mitchell, cet instrumental de 1964 s’avère en définitive tout à fait honorable. Autre curiosité, au milieu des années soixante le guitariste folk britannique Davey Graham en livrera une version live réjouissante. Malheureusement, l’invasion des groupes anglais aux Etats-Unis vouera soudain aux gémonies le surf rock, qui gagnera le statut tant redouté de has-been. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Dick Dale contractera en 1966 un cancer rectal qui l’éloignera plusieurs années du monde de la musique. De constitution robuste, il finira par vaincre la maladie, mais ce n’est qu’en 1993 qu’il publiera un nouvel album, Tribal Thunder, sur lequel figure une version acoustique de Misirlou. Seulement voilà, tout le monde s’en fout. Excepté un certain Quentin Tarantino.
Fanatique de surf rock devant l’éternel, le réalisateur rêve d’ouvrir le générique de Pulp Fiction avec le chef d’œuvre du genre. Il contacte donc Dick Dale et lui demande l’autorisation d’utiliser le morceau. On connaît la suite : « everybody be cool, this is a robbery », badabadabadabadabada, Miramax présente, « big mac’s big mac but they call it LE big mac », palme d’or, film culte, série navrante des Taxi, sample des Black Eyed Peas pour leur Pump It, musique de jeux pour Playstation. On attend encore la reprise lounge de Julien Doré. Bref, c’est le moment idéal de retourner au charbon pour Dick Dale, qui part en tournée dans tous les Etats-Unis, la plupart du temps accompagné d’un adolescent ombrageux, son fils Jimmy Dale. Comme papa, Jimmy joue super bien de la guitare et de la batterie. Résultat, les tournées virent au cirque ambulant, où fiston défie papa pour un duel à la Stratocaster pendant Misirlou, après quoi il se fait copieusement engueuler parce que finalement, il ne joue pas si bien que ça. Sur youtube, une vidéo savoureuse permet de voir Jimmy Dale qui tente de mettre un coup de pied au cul de son père après que celui-ci lui a publiquement fait la leçon. Pas content, le Jimmy. En voilà un qui doit détester Misirlou...
[1] instrument à cordes typique de la musique arabe.
[2] Il est noter que les cordes de Dick Dale sont exceptionnellement épaisses.
Vos commentaires
# Le 18 février 2013 à 06:02, par TOTO 93 En réponse à : Misirlou
# Le 18 février 2013 à 06:03, par TOTO 93 En réponse à : Misirlou
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