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par Psymanu le 27 mars 2007
Autant l’admettre immédiatement, Nosfell, je ne connaissais pas. Ou pratiquement pas. Parce qu’on m’en avait dit du bien, j’avais jetté une oreille vaguement distraite sur les deux albums, et, sans être totalement séduit, j’avais bien aimé ce que j’avais entendu. Puis, comme j’avais faim de concerts et qu’eux passaient pas là, je me suis dit que c’était l’occasion. Dont acte. On a beau dire, c’est quand même reposant, d’aller au live sans connaître l’artiste. Aucune pression, aucune appréhension, et surtout pas celle du fan qui craint la déception, ni même l’angoisse du mec qui sait qu’il va s’ennuyer sévère. Et la détente, ça ouvre les oreilles, me voilà donc paré.
Aucune hystérie dans le public, d’abord clairsemé, puis de plus en plus dense jusqu’à l’arrivée de Nosfell, sans jamais qu’il fut possible de manquer d’air. C’est l’avantage des groupes qui proposent un univers bien à eux, ils n’ont aucune chance d’attirer les masses hurlantes. Enfin, à l’exception du boulet de la soirée, car il en faut toujours au moins un, probablement saoul ou défoncé, ou juste fou(teur de zone), un qui se prétendait poète, et qui finira, assez tard, par se faire éjecter par la sécu, malgré Nosfell qui sut chaque fois retourner l’évènement au profit de l’ambiance, par un trait d’humour, un bon mot. Ceci pour l’anecdote.
La première partie, c’est un jeune mec du coin, équipé d’un looper (une machine à faire des boucles), et dont j’avoue avoir oublié le nom. Il se fait les instrus tout seul à la bouche, et chante par dessus des textes trop naïfs mais l’ensemble est joli. Notamment, il termine par un funk bien puissant et totalement self-made. On me glisse à l’oreille que finalement, il fait à la bouche ce qui nécessite tout un studio à l’ami Sinclair. Je joue les outrés (c’est vrai, quoi, je l’aime bien, Sinclair, au fond) mais la vanne est pertinente et bien envoyée. Le public, tout d’abord peu concerné, se voit peu à peu charmé par la spontanéité du bonhomme et la fraîcheur de son oeuvre.
Puis c’est au tour de Nosfell de faire son apparition. Je les découvre donc. Nosfell, c’est d’abord une silhouette fine et ondulante qui se dessine en ombre chinoise derrière un paravent blanc. Et qui danse, remarquablement, étrangement, superbement. Il paye de mine, impressionne, par un charisme immédiatement palpable. L’étrangeté vient de ses poses, de ses attitudes, maniérées, aux gestes excessivement marqués, inattendus. Lorsqu’il chante ou raconte des histoires. Ce sont des mouvements de mains, des doigts levés, la stature sur un pied (bel équilibre, parce qu’il le fait en jouant de la guitare). Il rappelle les façons de l’Expressionisme allemand, le surjeu, ces corps qui se courbent sous le poids des douleurs, cette extériorisation exagérée des sentiments intérieurs. Nosfell, avec son crane rasé, c’est un peu Max Schreck, ou son imitation par Klaus Kinski, mais avec en plus cette beauté svelte et tatouée qui empêche toute répulsion. Il y a cet accent qu’il se donne, également, et qui rajoute à l’outrance du personnage, mais c’en est un, justement. Un concert de Nosfell, c’est autant du théatre que de la chanson, ce sont des contes un peu cyniques, un peu farfelus, on rit souvent lorsqu’il les introduit. Il lui faut bien les introduire, d’ailleurs, en français, parce qu’il faut savoir que Nosfell chante tantôt en anglais, parfois en langue de chez nous, mais aussi en Klokobetz, cette langue inventée et comprise par lui seul.
Ceci pour les atours. Mais pour qu’un tel édifice tienne le coup en concert (où les possibilités d’artifices sont évidemment plus restreintes pour masquer les éventuelles faiblesses) sans jamais sombrer dans le ridicule mais plutôt viser la magie, il faut du talent musical pour le soutenir. Et Nosfell, le chanteur-bassiste-guitariste et son looper (oui, lui aussi, c’est très à la mode, mais quand c’est bien utilisé il n’y a rien à dire, et c’est le cas ici), bien épaulé par Pierre Lebourgeois, le barbus au violoncelle, plus discret mais bien barré également, n’en manque pas. Une voix démente, au sens propre comme au figuré. Capable d’explorer des profondeurs de gravités comme de tutoyer des cîmes généralement réservées aux organes féminins, de le faire avec douceur, ou bien en hurlant comme un possédé, des cordes vocales d’une souplesse vertigineuse. Et une belle endurance. une aisance guitaristique qui force le respect, également. Le duo est passé maître dans l’art de la variation de climat, fait preuve d’un véritable talent pour suspendre les mélodies, pour ensuite les abattre, cinglants, par décharges électriques successives. Peut-être relèvera-t-on, par-ci, par-là, une petite longueur, une flottaison, mais qui ne dure jamais assez pour nous permettre de décrocher. L’ensemble est si dense et si cohérent, si structuré, comme un conte musical, que l’issue n’intervient ni trop tôt ni tard, mais naturellement, comme une histoire possède un début, un développement, puis une fin. Impossible de se croire à un concert, pratiquement. Une pièce de théatre, dis-je, on ne comprend pas grand chose à ce qu’il se passe, mais on sent, et on veut savoir la suite, vibrants, les yeux rivés, transportés.
Un concert de Nosfell est une "expérience". Il est dommage que le terme soit si galvaudé parce qu’ici il trouve sa juste place. Bien sûr qu’il est possible de refuser en bloc d’entrer dans ce monde-là, parce qu’il est tel quel, sans compromis, sans tentatives faciles de séduction. Mais lorsque l’on consent à laisser passer le courant, la décharge est électrique, et longtemps après, on reste partagé entre l’envie de revivre cet instant lors d’un passage ultérieur, ou bien de laisser tout ça au rayon des souvenirs pour ne surtout pas risquer d’en briser la magie.
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