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Nux Vomica

Nux Vomica

The Veils

par Béatrice le 17 octobre 2006

5

paru le 18 septembre 2006 (Rough Trade/PIAS)

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Nux Vomica, donc. Entre connotations homéopathiques et vagues consonances biologico-latines, ce n’est pas le type même du nom que l’on s’attend à voir attribué à un album. Quoique. Depuis sa prime jeunesse, le rock a toujours entretenu des relations houleuses avec les substances toxiques, et, en terme de substances toxiques, la noix vomique (puisque tel est son nom français) se défend plutôt bien. C’est en effet de cette plante des régions tropicales qu’est extraite la strychnine, un poison foudroyant qui, à partir d’une dose de 0,2 mg/kg, provoque la contracture puis la paralysie des muscles et entraîne la mort par asphyxie. À très faibles doses en revanche, la strychnine est un stimulant qui accroît la vue, l’ouïe, l’odorat et le toucher, augmente l’appétit et tonifie la circulation sanguine.

C’est donc cela qui hantait les pensées de Finn Andrews au printemps 2006, tout occupé qu’il était à méditer sur cette palette de vertus contrastées. Et il se trouve que, ne se contentant pas de méditer sur les bizarres inclinations de l’homme qui, tout à son ambition, finit par avaler une dose de strychnine de trop, Finn Andrews était, au printemps dernier, coincé dans un studio de la Cité des Anges où il fignolait une dizaine de ses chansons au lyrisme déviant sous l’égide du producteur Nick Launay. À des lieux de la grisaille londonienne où il avait accouché d’un premier joyaux, The Runaway Found, à des lieux aussi du patronage très britannique de Bernard Butler, à des lieux même du groupe avec lequel il avait fait ses premier pas et dont il prit soin de se débarrasser dès qu’il eut commencé à s’y sentir étouffé (en clair, quatre mois après la sortie de l’album), il s’est laissé aller à ses démons et s’est engouffré à corps perdu le long des pistes qu’il avait commencé à défricher dans son premier album, avec un objectif simple : “faire les choses les plus terrifiantes et les plus excitantes possibles”.

Car Finn Andrews est ambitieux ; et, ce qui est beaucoup plus rare, peut se le permettre. Après un séjour auprès du volcan néo-zélandais sur le flanc duquel il a grandi, il embarque ses nouvelles recrues (Sophia Brun, Liam Gerrard, Henning Dietz et Dan Raishbrook) dans sa caravelle maudite - direction Los Angeles, pour retrouver le producteur attitré de Nick Cave. Ses chansons ont eu le temps d’éclore et de fleurir, il ne reste plus qu’à les cueillir et à arranger le bouquet, en leur laissant suffisamment de place pour qu’elles ne suffoquent pas.
Elles sont sauvages et étranges, et dégagent des parfums entêtants qui ont tôt fait d’enivrer quiconque les respire d’un peu trop près. Et c’est dans un drôle de tourbillon que plonge l’écoute approfondie de cet animal, une sorte de rêverie à la lisière du cauchemar, dans laquelle s’incrustent des lambeaux de réalité, comme si Finn Andrews avait prit un instantané du monde qui l’entoure, l’avait déchiré en mille morceaux et mélangé aux images tourmentées qui peuplaient son esprit, avant de recoller le tout dans le désordre, créant ainsi des figures inconnues qui hésitent entre merveilleux et monstrueux.

Pourtant les premières notes de l’album sont d’une limpidité presque déconcertante ; mais ce serait sans compter sur la voix éraillée du chanteur, issue d’un mariage contre nature entre les timbres de Tom Waits, Jeff Buckley et Nick Cave, qu’il a fini par dompter et qu’il étire, lacère, malaxe à s’en écorcher la gorge dans une complainte paranoïaque et torturée (“It looks an ugly world out here/ Of girl-guides, diseases and wars/ I love my little velvet bed/ I never want to leave it anymore”), crachant le “Not Yet” du refrain comme un cri du coeur. Ce titre est sans doute le plus déconstruit et le plus difficile d’accès de tout l’album, il est placé en ouverture. Ironiquement, le suivent deux pépites pop, portée par le clavier rutilant de Liam Gerrard d’où ruissellent des mélodies lumineuses et tranquillement conquérantes - nous sommes dans la partie ensoleillée de l’album, l’ombre de Nick Cave (encore lui !) batifole avec les échos des Beach Boys sur Advice For Young Mothers To Be et des violons sautillants narguent le refrain de Calliope !.

Et au milieu de tout ça, surgit le riff métronomique et impérieux de Jesus For The Jugular, blues décharné et dévastateur. Monument de tension et de puissance évoquant plus ou moins un Jeff Buckley dans un état très avancé de possession par le diable, il s’abat sur l’auditeur, impitoyable, imperturbable, avec une violence mécanique - “Jesus for the jugular, one at a time/ Ain’t nobody ever gonna ever have to die”. Les chœurs féminins, aériens, sont toujours là, mais, subitement, ils prennent une tout autre dimension, et soufflent en bourrasque en ajoutant à la noirceur du paysage - et ils vont continuer sur le titre qui suit, Pan, second morceau de bravoure électrique, plus nerveux, plus sanguin, plus cruel et donc plus changeant et plus chaotique ; la voix atteint des sommets, se replie, agonise, sursaute, s’éteint, hurle, grince, supplie. “You ought to know you are nothing but a child/ And you can’t satsify my heart/ Of its so-called desire”, finit-il par cracher. Une de plus, et on se serait presque habitué à cette impétuosité ravageuse. Mais Finn Andrews manie suffisamment bien l’écriture pour se permettre de surprendre, et voilà que surgit de nulle part une autres de ces mélodies portées par quelques notes de clavier, indélébile et entêtante ; la simplicité est de retour, mais la naïveté s’est envolée, et c’est plutôt une désillusion apaisée qui ressort de A Birthday Present, suite de brefs constats sans autres liens entre eux que les “O li O” languissants qui ponctue la chansons.

Vient une accalmie dans ces eaux agitées, avec une ballade sèche et tristement résignée, où la voix se pose, poignante, et berce doucement, soutenue par un piano et quelques cordes graves - Under The Folding Branches nous rappelle que Finn Andrews est aussi doué pour les caresses acoustiques calmes et discrète que pour les morceaux épiques de transe furieuse - dont revoilà d’ailleurs un exemple, et pas des moindres, avec la chanson éponyme, aux accents de prière démoniaque, qui porte un regard aveuglé par des étincelles de folie sur le monde, et emporte dans une spirale infernale au son de guitares syncopées et lancinantes, avant de s’achever sur un “Honey, it ain’t hard to lose your grip in the midst of all this / But it ain’t far to fall” éructé.

Difficile d’enchaîner après cela, et pourtant, comme si de rien n’était, One Night On Earth vient se poser, paisible, et tisse sa poésie lunaire dans l’étoffe d’un rêve - la voix de Finn Andrews, éprouvée par tant d’efforts, arrête ses caprices et cite, sur un ton presque monocorde, le titre du plus fameux poème de Burns, Auld Lang Sine. La nuit est tombée, la tempête passée, et le disque a la sagesse de s’achever en douceur, sur un morceau de mélancolie sinueuse ; juste une guitare, un violon, et un craquement qui rappelle les vieux vinyles en fond, on se rapproche de ce que donnerait Conor Oberst en train de jouer dans le salon de Tom Waits...

Le groupe a, quand viennent les dernières secondes de l’album, passé en revue une impressionnante collection d’ambiances, d’émotions et d’angoisses, et n’en finit pas de révèler ses multiples facettes. Barry Andrews, l’ancien guitariste de XTC, peut en tout cas être fier de son fils ; son talent est à la mesure de sa superbe, et il n’a même pas eu la décence de caser une seule chanson médiocre sur son disque.



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Tracklisting :
 
01. Not Yet (4’54’’)
02. Calliope ! (3’35’’)
03. Advice For Young Mother To Be (3’25’’)
04. Jesus For The Jugular (4’46’’)
05. Pan (4’58’’)
06. A Birthday Present (3’43’’)
07. Under The Folding Branches (3’23’’)
08. Nux Vomica (5’30’’)
09. One Night On Earth (4’08’’)
10. House Where We All Live (5’06’’)
 
Durée totale : 43’23’’