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par Giom le 12 juin 2007
publié le 23 septembre 2005 (Naïve)
Joseph Heath et Andrew Potter semblent être des hommes de gauche. Comme ils l’affirment en conclusion de leur ouvrage, seul l’état peut régler les problèmes économiques, seul l’état peut permettre la justice sociale, le progrès environnemental, apporter le bien être commun... Beau programme auquel on ne peut qu’adhérer à moins d’être d’un autre bord.
Seulement, les auteurs se désolent, une chose empêche cela et a infesté les réseaux de la gauche progressiste occidentale, la contre-culture, et le mythe de son fondement.
La contre-culture, c’est quoi ? En gros, le mouvement altermondialiste et ses divers avatars. Quels sont ses principes ? Une éthique extrémiste qui se mord la queue sur bien des points, comme sur l’écologie notamment, car à être trop radical, à prôner le « penser globalement, agir localement », plus aucune action constructive collective n’est possible (sic). Sur l’économie, car à trop pointer le pouvoir des multinationales, les citoyens en perdent toute confiance dans le pouvoir des états et ont tendance à passer outre alors que, les auteurs le rappellent à plusieurs reprises, seuls les gouvernements peuvent faire avancer le monde, si les citoyens les y poussent. En bref, ils prônent une réhabilitation du politique institutionnel qui semble en crise.
Quelles sont les valeurs de cette contre-culture ? Rien de très nouveau nous disent les auteurs, un appel aux autres cultures qui n’est qu’un "revival" de l’orientalisme du XIXème siècle - un exotisme finalement ethnocentrique -, un pseudo-anarchisme qui empêche toute construction commune, une critique de la consommation finalement économiquement désastreuse car il ne peut en résulter qu’une baisse du pouvoir d’achat pour tous et surtout les plus pauvres. Les auteurs nous l’affirment, si la grande majorité de la population mondiale se satisfait de la consommation mondialisée, c’est qu’elle représente une économie importante pour le consommateur de base. Et le portefeuille, quoi qu’on en dise, c’est important. Un produit moins cher sera toujours préféré à un semblable plus cher, même si le second possède une belle étiquette « bio » ou « label untel ».
Quels sont les symboles de cette contre-culture ? Les auteurs en citent plusieurs. Le rock et notamment Kurt Cobain qui préfère « brûler plutôt que de mourir à petit feu ». Certains films comme American Beauty et sa critique de la banlieue nord-américaine standardisée, Matrix et ses systèmes parallèles qui en contrôlent d’autres... C’est bien gentil tout ça, nous disent les auteurs, mais ces symboles d’un anti-système ou d’une critique du système actuel ont finalement été récupérés par le système même. Ceux qui luttaient contre la marchandisation du monde sont devenus des profonds vecteurs de marchandisation. Combien de T-Shirts Cobain vendus aux ados ? Combien de millions de dollars engrangés par les producteurs de Matrix ? L’exemple actuel du punk en est le plus affligeant exemple, « la révolte est bien consommée ». Vive les T-shirts Ramones chez H & M !
L’objectif de Joseph Heath et Andrew Potter est de faire réfléchir, notamment les accros à une déconstruction du système capitalisme. En bon sociaux-démocrates, les auteurs croient en une régulation du système par le système en lui-même. Ils montrent bien que toute philosophie alternative a toujours été vaine dans son application, de Kant à Bourdieu, en passant par Foucault et Baudrillard. L’ironie est mordante dans cet ouvrage mais passe aussi souvent par des raccourcis assez simplificateurs. Affirmer par exemple que tous les altermondialistes refusent de passer par les institutions est mensongé. Les ouvrages de Susan George affirment par exemple le contraire [1] et montre qu’une critique du capitalisme peut être progressiste dans le sens prôné par les auteurs. Et puis la contre-culture n’est pas foncièrement anti-consommation, elle est avant tout pour une autre consommation, plus juste, plus respectueuse du consommateur et même souvent du producteur, et surtout pour que les conditions d’égalité sociale soient telles, qu’elle soit offerte à tous.
Alors oui, les auteurs semblent avoir raison sur plusieurs points. Tout symbole contestataire finit par être récupérer par le système dominant, c’est évident mais est-ce si important ? L’important est qu’une pensée vivante perdure au delà des posters et des T-shirts.
Oui, la solution est politique et elle le sera toujours car, dans le sens fort du terme, tout est politique. La contre-culture, ou les altermondialistes, pour les appeler par leur nom, en appellent justement à un retour de la primauté du politique sur l’économique, à la fin des lobbies financiers et des paradis fiscaux hors de tout contrôle, voir même à une régulation au niveau mondiale de l’économie par un pouvoir politique fort. Régulation, voilà un mot qui plait pourtant à Heath et Potter. Et puis, on croyait qu’il n’était plus la peine de le répéter, huit ans après Seattle, les altermondialistes ne sont pas contre la mondialisation mais pour une autre mondialisation. Alter, pas anti... Peut-être n’est-ce qu’une erreur des traducteurs français mais quand même...
Sinon, il est facile de descendre la pensée de Baudrillard quand elle n’a jamais été appliquée concrètement. C’est vrai que Marx n’est plus vraiment une cible très in maintenant.
Enfin, Naomi Klein, n’est pas la seule référence concernant une critique de la société constructive comme semblent le croire Heath et Potter. D’accord, elle vit au Canada comme les auteurs, mais il doit y avoir de bonnes bibliothèques en Ontario.
En résumé, la révolte est toujours consommée d’accord, mais la pensée jamais. Ouf ! Et vive le politique !
[1] Voir l’ouvrage Un Autre Monde Est Possible Si... publié chez Fayard en 2004 où l’ancienne vice-présidente de l’organisation Attac défend l’idée d’un soutien constant aux partis de gouvernement les plus progressistes et relativement proches sur certains points des convictions altermondialistes.
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