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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 5 mai 2009
paru le 26 juillet 1974 (Thirsty Ear)
Lors de sa réédition en compact disc, Rock Bottom se vit doté d’une nouvelle pochette, toujours dessinée par Alfreda Benge, la compagne de Wyatt. La comparaison qui s’opéra inévitablement entre les deux versions aboutit à un sentiment de cassure, tranchant. À l’époque de sa sortie, en 1974, le disque donnait à contempler une plage, une plage tirée d’un songe hivernal, aux contours imprécis et comme mangés par une brume irréelle, un voile à la blancheur fantômatique. Des enfants jouaient dans la mer, agitaient des ballons, de vrais simulacres de vie, nimbés d’une pureté inquiétante. Tout au bord une faune sous-marine, d’un autre monde, se dévoilait au regard, mise à nue. Des algues aux traits noircis et flottants, des fleurs imaginaires offrant des globes oculaires à la cueillette. Pas l’ombre d’un cauchemar dans ces esquisses, non, mais une mélancolie sourde, contrainte à la résignation. Ces images dépeignant un bonheur timide, néanmoins entier, ne pouvaient qu’être hors de portée. D’ailleurs, cette blancheur envahissante était là pour le rappeler.
On sait la genèse de Rock Bottom : Robert Wyatt, accoucha de cet album de manière douloureuse, sur son lit d’hôpital, devenu paraplégique à la suite d’un accident survenu sous le coup de l’alcool. Et tout était là, dans la pochette. Par le regard, une confession déchirante posée comme condition au disque, un filtre pictural d’appréhension de l’œuvre. D’emblée, intuitivement, cette musique était sombre et dépressive. Mais aussi chaleureuse et terriblement humaine.
Par l’écoute, les sensations vacillaient, comme une immersion dans un cocon transparent, immatériel, refoulant toutes les vibrations néfastes. La musique était un miel chaud, déversé dans le fond de la gorge, laissant son hôte apaisé. Rock Bottom était une ondée libératrice.
La nouvelle pochette, via la réédition, rendit ce sentiment incontestable. Pourtant, on ne pouvait imaginer une relecture plus brutale. À l’atmosphère immaculée, presque glacée de l’original, succédaient des couleurs vives, pastelles, des traits doux et crayonnés, comme dans les livres d’enfants. Une eau verte profonde, dont on pouvait sentir les remous chauds dans les synthés liquifiés de l’album, accueillait des corps élancés, d’un rouge terreux. Des poissons chatoyants diffusaient une innocente tendresse, à travers leurs regards fixes et ébahis. En un bloc, un bien-être fulgurant s’échappait de ces images apaisantes. Il y avait un goût d’écume, une ampleur tranquille ; Rock Bottom devenait d’un seul coup béat, et pourtant toujours trouble (la musique, ce son brumeux à la fièvre tranquille, était toujours intacte).
Pourtant, il y avait une évidence. Les années passées, Wyatt avait franchi le pas. L’amertume s’était érodé, la souffrance éloigné. L’accident avait été vaincu. La nouvelle pochette en était la symbolique la plus limpide. Ce rêve-là n’était pas sépulcral, ni-même résigné. Il était apaisé, porteur, libérateur. Oui, Rock Bottom se libérait de sa condition d’œuvre cathartique pour toucher définitivement à l’absolu. Il se déployait pour de bon. C’était cette lumière sanguine qui passe au travers des paupières, ces odeurs, ces teintes ocres, ce souffle percussif sur Alifib, gonflé de non-dits. Rock Bottom était cette œuvre d’automne au bord de la cassure, de la vérité.
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