Films, DVD
Seul Contre Tous

Seul Contre Tous

Gaspar Noé

par Yuri-G le 2 janvier 2007

4

sorti le 17 février 1999 (Rézo Films)

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Reçu comme un coup de poing dans l’estomac, perçu comme une agression mentale et sensorielle ; mieux vaut être solide et avoir l’esprit clair pour approcher, analyser, tenter d’apprécier cette secousse visuelle et narrative. Le film se veut dans la continuité du moyen-métrage le précédant, Carne ; l’histoire d’un boucher qui essaie de s’extirper de sa misère aux bouffées paranoïaques, de construire une vie simple et honnête dans une France aux vastes rues fantomatiques, aux décors industriels, sales, une France étroite d’esprit, figée dans des postures idéologiques douteuses, où grouillent la frustration et la violence.

Gaspar Noé établit un dispositif formel qui déstabilise le spectateur, ceci dès le début. Leitmotiv sonore accompagnant la fin des plans, écriteaux rappelant le muet où se détachent les lettres "MORALE" ou "JUSTICE", un homme dans un bar qui prône un discours marxiste, qui sort son flingue incarnant la "JUSTICE", brutal travelling accéléré avec une forte détonation de pistolet pour renforcer le mouvement. Puis, des plans fixes, lumières jaunâtres, visages fermés (parfois cadrés à partir du nez), voix-off qui sert de narration pendant tout le film (les dialogues étant relativement peu nombreux), qui débite une pensée vulgaire, choquante, nihiliste, désillusionnée, celle du boucher.

Pour peu, on pourrait croire que Gaspar Noé a renouvelé une certaine grammaire cinématographique, avec son équilibre assez subtil entre effets chocs et visée naturaliste, le tout n’étant pas dénué de second degré (écriteau : "Vous avez trente secondes pour quitter la projection de ce film"). Subtil ? On ne peut pas affirmer que Seul Contre Tous est un film subtil. Noé a eu cette volonté de choquer, de mettre mal à l’aise, de déranger le spectateur (ainsi est pensée la scène finale). Ce qui en résulta à sa sortie : scandale, injures, critiques déchaînées, public rebuté. Pourtant, à l’opposé de son Irréversible futur (ou même de Baise Moi), à aucun moment cet aspect ne sombre dans la gratuité totale et ne nuit au propos. Il y a un véritable fondement narratif et, à défaut d’idéologique comme on a voulu le faire croire, psychologique. Un homme qui est sûr de son honnêteté, qui veut réussir, gagner sa vie comme un brave homme, sans histoires, mais qui est dépassé par son amertume, et par tous ces gens qui ne lui tendent pas la main. C’est autant le portrait d’un homme qui sombre que d’une France au repli identitaire.

Et puis, avouons-le, Noé a un talent bluffant de la mise en scène, qui sait distiller le malaise même quand celui-ci n’est pas forcément concentré dans l’image. Il y a certains échos qui se font en nous, à l’écoute de cette pensée du Boucher, corrosive et pourtant avec des facettes de vérité, qui nous font nous pencher sur nous-mêmes. Résonnance humaniste ? En tout cas, oeuvre viscérale, punk et sale qui secoue ; il faut du courage et du culot pour avoir ébranlé à ce point le paysage cinématographique français, parfois mou et trop prudent. Dommage qu’Irréversible soit dénué de cette véracité physique et psychique, au profit d’une violence graphique et gratuite. Il faudra pourtant saluer une nouvelle fois le talent de la mise en scène, mouvements de caméra hallucinants, qui font vivre une expérience physique rare.



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