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par Béatrice le 7 novembre 2006
paru le 22 août 2006 (Sub Pop/PIAS)
Chad VanGaalen habite à Calgary, dans l’Alberta ; là-bas, les hivers sont longs et rigoureux, mais ce n’est pas vraiment un problème, parce que Chad VanGaalen aime par dessus tout rester chez lui et passer des heures à écrire des chansons, dessiner, et animer ses dessins au rythme de ses chansons. Cette occupation pour le moins solitaire, loin de le confiner dans le désordre d’une pièce peuplée de crayons, de bouts de papier, d’instruments de musique et de machines enregistreuses, a fini par ouvrir les portes de sa cave sur un chemin tortueux qui, en passant par des créneaux aussi divers que son éclectisme touche-à-tout le laisse imaginer, le mène discrètement vers une reconnaissance de plus en plus étendue. Depuis un an ou deux, Chad VanGaalen sévit donc dans le petit monde des bidouilleurs déglingués, et s’est décidé à sortir le bout de son nez de sa cave pour partager la scène avec, par exemple, les Pixies, Wolf Parade ou les Constantines, mettre ses talents d’animateur au service de ses collègues musiciens en besoin de clips, ou s’amuser à dessiner en pédalant sur un vélo devant les caméras d’une télévision canadienne.
On ne sait pas à quoi peut bien avoir ressemblé le résultat d’une session de grapho-pédalage, mais au vu de la patte de l’artiste en question, on se dit qu’il pourrait être assez intéressant, tant ses créations picturales semblent être en perpétuel mouvement. Dans ses clips bricolés avec trois bouts de ficelle et une sacrée dose d’imagination distillée à partir d’un cerveau en ébullition, les dessins de Chad VanGaalen éclosent et bourgeonnent constamment. Hésitant entre bande dessinée, jeu vidéo et délires fantasmagoriques, son crayon malaxe les créatures auxquelles il vient de donner naissance, leur fait pousser trois yeux et douze tentacules avant de les offrir en pâture à plus gros qu’elles puis de faire exploser le tout pour laisser la place à un transistor qui décide brusquement de se déplier comme une boîte en carton. Dès qu’on croit tomber sur quelque chose d’à peu près reconnaissable, ce quelque chose en question est pris d’une furieuse envie de se métamorphoser en autre chose (plus ou moins identifiable et de toute façon voué lui aussi à la déformation), ce qui après tout est parfaitement justifié : puisque tout est permis, autant en profiter.
Non content d’animer ses rêves les plus rétifs à tout cadre, Chad VanGaalen prend un malin plaisir à les faire évoluer au son de ses chansons. Ses dessins animés sont insaisissables et changeants, tant au niveau des formes que du style ; sa musique est pareille (ben tiens ! c’est bizarre !) : bricolée, hétéroclite, mouvante, délirante, avec une forte tendance à traîner aux confins de l’absurde (mais plutôt du côté surréel de la barrière). Il bidouille et malmène ses instruments (dont certains, paraît-il, sont de facture originale et n’existent que chez lui) avec la même insouciance qu’il traite ses crayons ; du coup, ses chansons subissent le même sort que ses dessins, et se font pétrir, malaxer, déformer et triturer sans répit. Des machines crachotantes et tintantes accompagnent des percussions et des guitares plus ou moins électrisées et plus ou moins syncopées, et par dessus ce bazar fantasque de sons artisanaux, Chad pose sa voix évoquant tantôt un Neil Young fatigué, tantôt un Thom Yorke enroué, pour chanter des phrases gentiment énigmatiques qui parlent de cerveaux solitaires, de tas d’ordures dans sa tête, de coeurs brisés vivant un million d’années, de fantômes s’échappant des tombes et de pellicules - résultat, cet album a beau évoquer une jolie pelletée d’influences, c’est surtout au doux-dingue Daniel Johnston qu’on pense en l’écoutant.
Véritable caméléon, Chad jongle sans scrupules superflus entre rock ébouriffé, ballades chaleureuses et dézinguées où on entend le frottement des doigts le long du manche de la guitare et intermèdes instrumentaux informatisés et tressautants, allant même jusqu’à se lancer dans des choeurs lyriques évoquant Arcade Fire. Mais à aucun moment il ne semble se prendre au sérieux ou considérer ses fragments de folie douce comme autre chose qu’une mosaïque délirante, sorte d’alternative musicale à la BD surréaliste, ne laissant aucun doute planer sur la sincérité de sa démarche.
Il paraît que les quinze chansons, aux titres pour le moins déconcertants (Gubbish, Viking Rainbow, Wing Finger ou Dandruff, pour n’en citer que quatre...) ont été sévèrement sélectionnées parmi les centaines qu’il avait en poche pour aboutir à ces quelques 40 minutes de musique protéiformes - ce qu’on ne pourra probablement jamais vérifier, mais qui laisse augurer que ce touche-à-tout siphonné est loin d’avoir dit son dernier mot, qu’on n’est d’ailleurs pas pressé d’entendre.
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