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par Emmanuel Chirache le 6 février 2007
Un album. Pas deux, pas trois. Un seul album a suffi à faire de Snot un groupe culte qui aurait pu devenir l’un des plus grands des années 2000. Seulement voilà : le 11 décembre 1998, sur la route qui mène de Los Angeles à Santa Barbara, une collision avec un pick-up a mis fin à la vie du chanteur Lynn Strait. Putain de camion.
Des palmiers, des plages de sable doré, l’océan, quelques stars, du soleil, des températures idéales préservées par un rempart de montagnes au nord, des vignobles, un mélange de vulgarité parvenue et de patrimoine historique : la ville de Santa Barbara, c’est un peu la côte d’Azur version dollars. Un paradis pour ses 92 325 habitants ? Pas si sûr... Parce que Santa Barbara, c’est aussi ce soap-opéra diaboliquement con des années 80, dont le générique débutait ainsi : « Santa Barbara, qui me dira pourquoi j’ai le mal de vivre ? » Au-delà des interrogations métaphysiques des petits bourgeois du patelin, la carte postale recouvre en effet une réalité plus sombre, faite de branleurs, de dealers, de toxicos et de caïds à deux sous. À cette engeance, il faut ajouter les punks et autres metalleux ; parfois, ils sont tout cela à la fois. Avec un peu de chance ou du talent, certains finissent même par s’en sortir.
Le chanteur de Snot en est le parfait exemple. Né à Manhasset, sur la côte Est, Lynn Strait débarque à Santa Barbara à l’adolescence. Au lycée, tout le monde le surnomme Bart, en référence à ses cheveux blonds dressés en piques et à sa passion pour le dessin animé. Comme le fils Simpsons, Lynn fait des conneries. Quand les flics réprimandent ses copains, il les insulte, complètement saoul. Résultat, au trou pour état d’ivresse sur la voie publique. Peu à peu, il devient donc un petit voyou accro aux drogues, piercé de partout et tatoué comme Wentworth Miller dans la série télé Prison Break, qui goûte davantage à l’ombre des cellules du coin qu’au soleil californien. Au début des années 90, il passera même une année entière en prison pour vol, cambriolage et détention illégale d’armes à feu. « Il y a une couche de crasse qui se cache derrière chaque petite ville, commente Strait. Santa Barbara ne fait pas exception. »
Heureusement pour lui et pour nous, la musique va le réinsérer. D’abord bassiste, un héritage de son père qui joua de la basse pour le label Motown et Johnny Mathis, Strait passe au chant lorsqu’il quitte Lethal Dose pour fonder Snot avec le guitariste Mike Doling pendant l’été 1994. Un changement qui va s’avérer une riche idée. « Partir de zéro a été un avantage, analyse le chanteur. Il n’y a personne à imiter. Je ne dirai pas que ce que je fais est particulièrement novateur, mais c’est parfois original. Il y a des motifs étranges dans ma voix, parce que j’ai dû créer mon propre style au fur et à mesure. » Pendant ce temps, sur la côte Est, le batteur Shannon Larkin, le bassiste John Fahnestock et le guitariste Sonny Mayo créent le groupe MF Pitbulls. Quand Shannon est recruté par Ugly Kid Joe pour remplacer leur batteur, les Pitbulls rongent leur frein sans pouvoir rien y faire. Au printemps 95, Mayo, qui a d’abord joué du violon et du saxophone avant d’être converti au heavy par Kill’Em All de Metallica, reçoit un appel de Lynn Strait. « Je veux du métal », lui aurait dit le chanteur, ce à quoi Mayo répondit : « Tu appelles au bon endroit ». Au mois de mai, le guitariste traverse le pays avec Fahnestock dans ses bagages et atterrit à Santa Barbara à deux heures du mat’. Une heure parfaite pour taper le bœuf, se dit Doling, qui propose un jam à tout le monde. Mayo prend ses aises et la mayonnaise prend.
Grâce à une énergie hors du commun, Snot conquiert rapidement la scène de Santa Barbara avant de partir à l’assaut de celle de Los Angeles. En juin 1996, Jamie Miller, l’excellent batteur de Souls At Zero, vient renforcer la bande. « Je savais que le groupe était unique, raconte-t-il. C’était du hard et du punk, mais il y avait aussi un aspect lumineux. Trop de groupes se la jouent sombres et mystérieux. » Il est clair que Snot n’est pas Slipknot. Le groupe ne se prend pas du tout au sérieux et revendique une absence de message dans sa musique, à quelques exceptions près. Il se vit comme une expérience collective de la déconne. Les membres de Snot habitent ensemble, composent ensemble (chacun sait jouer de presque tous les instruments. Ils se les échangèrent d’ailleurs le temps d’un ou deux concerts), et se font tailler des turlutes par les mêmes stripteaseuses. À tel point qu’ils se font bannir du strip club de Santa Barbara. Porno, punk et plages, le californian way of life, en quelque sorte. « On ne pensait pas que ça nous mènerait aussi loin, se rappelle Doling. On se disait "qui peut signer un groupe dont le nom est Snot [morve en français, ndlr] ?" » Réponse : Geffen, qui signe le groupe en juillet 96. Pendant que ses petits copains paraphent le contrat, Lynn Strait finit de croupir dans la prison du comté. La routine, quoi.
Un peu moins d’un an plus tard sort Get Some, produit par T-Ray (House Of Pain). Un chef-d’œuvre de punk et de metal aux touches délicieusement funky. Du "lounge-core", d’après le groupe, qui définit sa musique comme une alternance de passages cools et de dévastations hardcores. « Nous n’avons ni un style West Coast ni un style East Coast, juge Strait. Nous n’avons aucune idée préconçue sur comment Snot doit sonner. Nous écrivons juste les chansons que nous avons envie d’écrire. » C’est pourquoi il n’est nul besoin d’être un spécialiste de hardcore ou de trash metal pour apprécier ce disque trop méconnu. Mais si vous aimez les riffs ingénieux et lourds entrecoupés de ce funk libidineux qui agrémentait les pornos des 70’s, alors vous êtes au bon endroit.
Une voix : « Say something for the record, tell the people what you feel. » Réponse : « Fuck the record and fuck the people ! » On vous avait prévenu, Snot se fout bien de tout ce barnum et ils vous l’annoncent d’entrée de jeu. Le premier morceau, intitulé Snot met les points sur les i. Les paroles ressemblent à celles des rappeurs qui passent leur temps à s’envoyer des fleurs du type "c’est moi le plus fort, bande de gros nazes" : « We’re fittin’ to take your town / You know we wear the crown / Just got to mess around » Sauf que la musique traduit en écho les mots du groupe. Snot est une chanson d’anthologie, la preuve scientifique que personne n’arrive à leur cheville en matière d’explosivité. Tout de suite, l’incroyable voix de Strait prend aux tripes. Capable de moduler son organe pour hurler, groover, rapper ou remuer l’auditeur, ce type-là possédait bien l’un des chants les plus géniaux de notre époque. Entre autres perles, citons Stoopid, The Box, Snooze Button aux paroles gentiment engagées (« Soon you’ll know that little things in life can make a difference / You don’t got to be some politician / Take back those given rights / Stand up & join the fight ») ou encore l’excellent Deadfall. Ultra-speedé, le morceau contient un fantastique petit pont country et un cri qui nous est forcément sympathique : "Vive la fuckin’ France, man !" Plus fort encore, Mr. Brett est un hymne punk hallucinant de puissance brute, doublé d’une diatribe envers Brett Gurewitz. Au sein de la scène punk de Californie, l’homme est fameux. Leader de Bad Religion, il a fondé le label Epitaph et produit des groupes comme L7, NOFX ou Rancid, avant de s’embourgeoiser un peu trop au goût de Snot : « Mr. Brett, we won’t pay that fee to keep you / Livin’ in luxury / Some say genius, some say mistake / But you’ve become what you used to hate » Pan, dans les dents.
Après la sortie de Get Some, le groupe commence à tourner dans toute l’Amérique. Le succès n’est pas aussi chaleureux que prévu par le label, qui met peu à peu ses distances avec Snot. Pour ne rien arranger, pendant l’Ozzfest show de Boston, une stripteaseuse pratique une fellation à Lynn Strait sur la scène. Évidemment, le chanteur est arrêté, l’habitude est une seconde nature. Symbole du trouble qui règne, le line-up commence à bouger, Mayo part pour rejoindre Amen, et Jamie Miller s’en va fonder Hero. À l’automne, le groupe travaille cependant sur un second album qui ne verra jamais le jour.
Le 11 décembre 1998, Lynn Strait emprunte avec sa Ford Tempo l’autoroute 101 reliant Los Angeles à Santa Barbara. Vers midi, un pick-up conduit par un étudiant de 20 ans percute la voiture de Strait, qui meurt sur le coup.Dans l’accident, Dobbs, le chien du chanteur, décède également. Il était la mascotte de Snot, vedette de la pochette de Get Some et des clips du groupe. D’après l’officier de la police de l’autoroute, Strait avait pourtant mis sa ceinture de sécurité. Il avait 30 ans.
À l’annonce du décès, les autres membres décident immédiatement de tout arrêter. Épisodiquement, ils se reformeront toutefois pour rendre hommage à leur leader. D’abord en 2000 avec Strait Up, un album composé d’inédits chantés par des amis et des admirateurs de Lynn. La plupart appartiennent à la scène dite new metal. On retrouve ainsi Serj Tankian (System Of A Down), Jonathan Davis (Korn), M.C.U.D ((Hed)pe), Dez (Coal Chamber), Corey Taylor (Slipknot), Brandon Boyd (Incubus), Fred Durst (Limp Bizkit), Mark McGrath (Sugar Ray), et Max Cavalera (Soulfly). Du beau monde, certes, mais pas de quoi rivaliser avec Get Some ; trop décousu, cet album de new metal par ailleurs honnête ne parvient à recréer ni l’ambiance Snot ni la qualité des formations dont sont issus ces chanteurs. Suivra un Snot Alive en 2002, témoignage vibrant de la magnificence de Lynn Strait et de la puissance de musiciens aujourd’hui orphelins.
Ces derniers rendirent une belle oraison à leur chanteur en déclarant : « Lynn semblait avoir cette énergie spéciale, qui faisait que dans une pièce il éclipsait n’importe qui d’autre, même toutes les légendes avec lesquelles nous tournions. Nous aurions aimé que plus de gens le connaissent. C’est difficile d’exprimer cette qualité qu’il avait avec des mots. Nous garderons pour toujours dans nos cœurs les souvenirs que nous avons en commun avec lui. »
DISCOGRAPHIE :
Singles
Albums
[1]
[1] Sources :
Wikipedia
et le site "SnotRules"
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