Pochettes
So Good

So Good

Don & The Good Times

par Emmanuel Chirache le 2 septembre 2009

paru en 1967 (Rev-Ola/BMI)

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Ne vous méprenez pas à la vue de cette pochette : les Don & The Good Times ont beau ressembler à des benêts et agir comme des benêts, ce sont réellement des benêts ! En effet, dans la photothèque des couvertures d’albums, celle-ci est à ranger au rayon “ridicule”, juste à côté du Pet Sounds des Beach Boys, où l’on peut admirer la fratrie Wilson nourrir des chèvres. Cela dit, les Don & The Good Times n’en sont pas moins un sacré bon groupe, et les Beach Boys n’en parlons pas, ils sont drôlement chouettes. D’ailleurs, les deux groupes n’ont pas seulement en commun un goût de chiottes en photo (ou de mauvais directeurs artistiques), mais aussi un art consommé pour les mélodies chorales et flamboyantes. Car Don & The Good Times, c’est avant tout le mélange réussi de la pop californienne marquée du double sceau de Brian Wilson et des Byrds, et du son garage de Seattle (The Sonics). Un croisement qui n’est pas le fait du hasard, puisque c’est de cette dernière ville que proviennent les membres du groupe, tandis que leur producteur, le fameux Jack Nitzsche, fut l’un des plus brillants artisans du rock made in L.A.

À l’arrivée, cela donne ce disque inégal mais savoureux, symptomatique d’un savoir-faire disparu, exemple d’une architecture musicale baroque hélas désuète mais toujours aussi pertinente à l’écoute. Comment ne pas se laisser emporter par le flot harmonique de ce I Could Be So Good To You et sa ligne de basse sautillante, comment ne pas fondre devant la ballade Music Box et ses arrangements à la précision d’orfèvre ? Comment résister au très Zombies I Could Never Be, dans lequel la voix de Ron Overman chatouille celle de Colin Blunstone et déploie des trésors de beauté ? N’oublions pas non plus les délicieux With A Girl Like You, My Color Song, et surtout le génial Gimme Some Lovin’, un truc renversant dont on se demande comment il a fait pour passer à travers les mailles de la célébrité, une petite bombe qui tuerait tout le monde sur une piste de danse, un concentré d’énergie à la Small Faces ou la perfection rock en moins de trois minutes servie par des musiciens de session hors pairs comme Hal Blaine, Glen Campbell et Ry Cooder.

Mais revenons à cette pochette rigolote et à son écriture psychédélique charmante, bien que totalement illisible. Avec un peu d’application, on peut y lire So Good, le titre de l’album, tout un programme. Pour une raison que l’histoire ne dit pas, les Don & The Good Times s’amusent avec une glacière ambulante qui devait traîner dans le coin le jour où il fut décidé de prendre le cliché immortalisant le groupe. Sur cette photo, tout le monde sourit benoîtement, illustration parfaite du sobriquet “Good Times” dont on a affublé les musiciens, avant de l’accoler au patronyme Don, qui est celui de Don Galluci, ancien claviériste des Kingsmen et leader de cette nouvelle formation. Les Good Times sont de joyeux lurons qui prennent du « bon temps », contrairement aux Anglais, notamment les Rolling Stones, qui tirent la tronche sur leurs pochettes depuis déjà plusieurs années. En Californie, c’est le Summer Of Love et il y a de la déconne dans l’air. Du coup, en bas à gauche, le batteur Bobby Holden tente subtilement de piquer une roue du tricycle, pendant que ses copains foutent la tête du roadie dans les eskimos. Oui, le roadie, qui remplace au pied levé le guitariste Charlie Coe qui a déserté les rangs. Bientôt, Joey Newman prendra sa succession. Il est à noter que le premier chanteur du groupe, Don McKinney, n’apparaît pas non plus sur la pochette (portant ainsi l’absentéisme au taux record de 40 %), étant donné qu’il avait quitté ses camarades de jeu peu avant la sortie du premier LP. « Je voulais juste rentrer chez moi, se justifiera-t-il. J’avais une famille et je ne l’avais pas vue depuis longtemps. J’ai eu le déclic quand j’ai appelé ma femme et que ma fille de trois ans a pris le combiné et dit “Papa, quand est-ce que tu rentres ?” Alors elle s’est mise à pleurer. Ça m’a fendu le cœur. » Rockstar ou père de famille, il faut choisir. Aujourd’hui encore, les spécialistes ne savent pas s’il s’agit de la décision la plus noble ou la plus stupide qu’un musicien ait prise...

Bref, tout ça pour dire qu’à l’époque, le principal souci esthétique d’une couverture consiste à montrer le groupe, éventuellement dans un décor quelconque (les Beatles n’ont-ils pas posé du haut d’un balcon, ce qui produisit un effet de contre-plongée des plus saisissants, une petite révolution ?). C’est la période figurative de la pochette, les Beatles n’ont pas encore sorti leur carré blanc sur fond blanc, du pur Malevitch, et le Floyd n’a pas encore commis son Dark Side Of The Moon agrémenté de moches dessins ésotériques. Rien de semblable ici, juste un portrait dans une composition pyramidale qui dénote une certaine sensibilité pour le quattrocento florentin. De gauche à droite on reconnaîtra Bobby Holden, le bassiste Ron Overman, le nouveau chanteur Jeff Hawks, le roadie Phil Jenson et enfin Don Galluci. Excentricité poussée à son comble, tous portent un costume à rayures bleues et blanches. Une provocation insensée.

Malgré tout ces détails prosaïques et banals, il y a quelque chose d’irrésistiblement attirant dans cette pochette simpliste, comme l’envie de remonter le temps et d’engloutir un cornet de glaces avec ces gentils gaillards aujourd’hui oubliés, et qui pourtant ont gravé eux aussi un sillon de la légende des sixties.

JPEG - 288.9 ko
Cliquez pour agrandir


Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom