Le coup du disque de Noël ! Non content de revisiter l’histoire de l’Amérique Etat par Etat dans ses précédents albums, Sufjan Stevens s’immerge totalement dans la tradition nationale et livre ici 42 morceaux et deux heures de musiques, célébrant le célèbre « Esprit de Noël ». Mais loin du déluge de miel du tout-venant de la Hit Pop américaine, il nous convie à un réveillon qui serait à la fois joyeux et triste, drôle et mélancolique, cynique et profond, religieux et irrévérencieux (eh oui, tout ça à la fois).

Le disque de Noël, depuis Tino Rossi, nous Français, ça fait longtemps qu’on a laissé tomber (et heureusement, me diriez-vous). Mais chez nos amis américains, cette tradition se perpétue depuis plus de 50 ans et emplit tous les ans les bacs avec plus ou moins de bonheur. De Bing Crosby à Elvis, de Franck Sinatra à Perry Como et même des Beach Boys à Jethro Tull. [1]
Cette fête colle parfaitement à l’esprit du pays : c’est le jour où les rêves se réalisent, où les plus malchanceux peuvent être heureux, avec ce mélange d’ « American Dream » et d’esprit religieux. Vous imaginez bien ce que ça peut donner dégoulinant dans la bouche d’une Barbra Streisand.

Pas dupe du côté mielleux de l’affaire, c’est avec une pointe de second degré que Santa Sufjan (sic) se lance en 2001 dans l’enregistrement de quelques chansons de Noël chez lui à Brooklyn avec des amis musiciens ou non. Cela donnera un 1er EP très lo-fi, pas encore destiné à être commercialisé. Se prenant au jeu de cet exercice à la fois stimulant pour cet insatiable compositeur et reposant entre l’enregistrement de deux albums, le premier disque sera suivi de quatre autres EP enregistrés entre 2002 et 2006. Cette compilation est donc l’occasion de contenter ses fans en rassemblant ces morceaux récréatifs de plus en plus élaborés et d’éviter ainsi la diffusion plus ou moins légale sur Internet. [2]

Tonton Sufjan a donc puisé son inspiration dans divers classiques de la chanson de Noël, tout en les agrémentant de compositions personnelles. Lui-même étant croyant, le tout donne à l’album une connotation très religieuse, pleine de petits Jésus et de « Holy Nights ». Les classiques sont tous là : Little Dummer Boy et son « Pa Rum Pum Pum Pum » ou un Silent Night alias Douce Nuit chez nous. Mais son incroyable talent mélodique et surtout celui d’arrangeur permet de sublimer certaines versions, tel O Holy Night avec ses magnifiques choeurs et son xylophone touchant de pureté. Ce que Stevens réussi à merveille c’est revenir à l’authenticité de sons simples, sans artifices de production, qui rappelle l’origine de ces chansons, composées au coin du feu et jouées en petit comité. Et parvient même à rendre moderne une mélodie française du XVème siècle. L’instrumentation du premier EP est souvent limitée à un banjo et une guitare, augmenté de la voix pure et douce de Stevens ou de celle d’amis pas forcement chanteur de formation. Ce qui nous donne une des chorales la plus fausse du monde sur It’s Christmas ! Let’s Be Glad ! et qui rend son écoute un peu difficile mais tellement sympathique.

Puis, au fur et à mesure des EPs, les arrangements se font plus sophistiqués (clarinettes, cuivres), les compositions se complexifient, à l’image de sa discographie. Christmas In July sur le 5ème CD jongle par exemple entre des mesures à 5 temps et à 3 temps et entremêle les mélodies avec brio comme sur le meilleur d’Illinois. Ce 5ème EP est d’ailleurs le plus abouti, en témoignent les magnifiques Sister Winter ou Jupiter Song, un morceau ou apparaît un rythme electro qui ne ferait pas honte sur un album de Mùm ou dans la discographie de Björk. C’est bien sur ses propres compositions que Sufjan Stevens s’amuse le plus et révèle sa propre vision de Noël. Il passe de chansons profondes et émouvantes à des pochades aux titres hilarants (Get Behind Me, Santa !) où les chœurs scandent des « C-H-R-I-S-T-M-A-S, CHRISTMAS TIIIIMMMME ».

Car Stevens a une approche particulière de Noël. En témoignent les notes de pochettes où il nous raconte qu’il a toujours détesté cette fête, suite à un événement sûrement inventé. En tout cas, il n’oublie pas ce qu’elle a de commerciale et d’hypocrite. Sur les rudimentaires dessins du livret, dessinés par Tom Eaton, Sufjan fait systématiquement la moue. Il raconte pourtant que c’est la beauté simple de la musique qui lui en a fait reprendre goût et notamment la possibilité d’enregistrer des morceaux avec ses amis, sans contraintes de contrat. Et pour rester dans la thématique, le Papa Noël qu’il est nous amène dans sa hotte un packaging des plus enthousiasmant, comprenant un livret avec les paroles et les accords, ainsi que des autocollants, une courte BD, une histoire et même une photo grand format de lui avec femme et enfants.

Ce disque, avec ses mélodies simples mais si touchantes, est bien un remède au cynisme qui nous habite toute l’année, où le temps d’une journée on oublie que le monde va si mal, que les gens sont si cons. Bien sûr, il ne convertira pas les adeptes de death metal ou les aigris chroniques, mais l’écoute de ce coffret donne envie de se blottir près de la cheminée, avec les gens qu’on aime, à rêver qu’il puisse neiger toute l’année (tout en se gardant le droit de maudire son patron ou son voisin).