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par Frédéric Rieunier le 27 octobre 2008
Ah, Summertime... probablement la plus belle chanson de Janis Joplin. De Janis Joplin ? Pas vraiment en réalité, puisqu’il s’agit d’abord d’un titre de l’opéra Porgy and Bess, composé en 1935 par Jacob Gershovitz, mieux connu sous le pseudonyme de George Gershwin. Sa meilleure reprise alors ? Disons plutôt l’une de ses plus remarquables interprétations : l’idée d’adapter ce morceau vient de Sam Andrew, guitariste de Big Brother and The Holding Company - groupe grâce auquel la chanteuse atteignit le rang de "reine blanche du blues" [1].
L’histoire de cette chanson est, on le voit, aussi sinueuse que les phrasés guitaristiques qu’elle contient. Mais ces mélodieux méandres font partie des plus beaux joyaux que comptent blues et rock psychédélique, ce qui, on en conviendra, n’est pas peu dire. A la fois complexes et spontanées, brutes et épiques les lignes mélodiques entrecroisées de Sam Andrew et James Gurley (l’autre gratteux de Big Brother) sont à la hauteur de l’envolée lyrique livrée par Janis Joplin sur ce titre. Autant d’ingrédients que ne contient pourtant pas le morceau original.
Non pas que l’œuvre de Gershwin soit dépourvue d’attraits, sa morgue cuivrée et son chant badin en font à coup sûr un titre d’envergure [2]. Mais elle ne cherche à aucun moment à atteindre la tension dramatique qu’exhalent habilement Big Brother and The Holding Company. Les points communs entre leur interprétation et les différentes versions du compositeur ne sautent d’ailleurs pas aux oreilles, si l’on excepte bien sûr les paroles. Là où Gershwin, sous les doigts du pianiste Wayne Marshall, offre une mélodie feutrée évoquant une démarche féline, Sam Andrew fait carrément miauler son instrument - tout comme Jimi Hendrix fait parler le sien sur Rainy Day, Dream Away et Still Raining, Still Dreaming - dans un style fauve qui épouse à merveille les feulements de la chanteuse.
Cette distance qui sépare le Summertime de Big Brother de celui de Gershwin n’a en fait rien d’étonnant puisque, pour mettre en place son adaptation, Sam Andrew s’est inspiré de... Bach ! Plus précisément, du Prélude n°2 en do mineur, issu du Clavier bien tempéré, que le guitariste a exécuté sur tempo plus lent. « J’ai joué l’air du prélude à demi-mesure et cela a donné un point de départ parfait pour le thème central de Summertime. Janis en a rendu la mélodie de manière merveilleuse. Sa voix contenait une telle charge émotionnelle qu’elle s’est scindée en deux lignes en raison de toute la passion qu’elle y mettait. » [3]
Cette exaltation ressort en effet de chacune des versions enregistrées par le groupe, à commencer par celle présente sur Cheap Thrills, où le titre est gravé pour la première fois. Mais cela n’est pas moins vrai en ce qui concerne l’interprétation livrée sur la scène du Winterland à San Francisco [4]. Celle que contient la réédition de I Got Dem Ol’ Kozmic Blues Again Mama !, enregistrée à Woodstock a elle aussi un certain charme, quoiqu’un peu enflée parfois par les cuivres du Kozmic Blues Band, recruté par la chanteuse après son départ de Big Brother.
Quand on sait que Janis avait pour habitude, lorsqu’elle a commencé à s’adonner aux dangereux plaisirs de l’héroïne en compagnie de Nancy Gurley (l’épouse de son guitariste), d’enfiler des perles pour en faire des colliers, on comprend un peu mieux d’où lui vient son aptitude à confectionner de tels bijoux. Mais il est difficile d’imaginer que ses chapelets aient pu rivaliser avec la splendeur de Summertime...
[1] Janis Joplin - La reine blanche du blues, Arturo Blay, Editions La Máscara.
[2] Le titre a d’ailleurs connu une impressionnante postérité. Stefan Gehrke, à l’origine d’un site consacré aux différentes reprises de Summertime, en dénombre 2700. Il est possible qu’il s’agisse là d’une sous-évaluation, puisque Jean-Yves Reuzeau, auteur d’une biographie de Janis Joplin (Janis Joplin, Folio), évoque l’existence de « plus de 5700 versions discographiques ».
[3] Janis Joplin - La reine blanche du blues, op. cit.
[4] Live at Winterland, 1998, Columbia/Legacy.
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