Extrait d’une note de service interne du secteur stratégie d’une importante multinationale du disque : « En ces temps où le trip-hop a perdu les suffrages des masses, il serait aisé pour n’importe quel groupe de passer à la caisse en retournant à la veine de Dummy ou Mezzanine. Mais une telle démarche correspondrait à un reniement de l’éthique de ce mouvement originaire de Bristol qui avait plutôt l’habitude de diffuser des éléments novateurs et en rien rétrograde. Néanmoins, pour garantir une présence satisfaisante de ce type de musique pour la période du 10/12 au 31/12, je préconise la parution imminente du disque à bande jaune que je vous ai remis il y a de cela quelques jours. Non sans attirer une fois de plus votre attention sur les conséquences que cette grave négligence aurait sur notre entreprise, veuillez agréer, cher ami, l’expression de mes salutations sincères. »

Jour et nuit et jour et nuit, ce mauvais rêve se repète : et si cette note était vraiment tombé sur le coin du bureau de ce fonctionnaire du cinquième étage ? Qui sait ce qu’il adviendrait des fêtes de fin d’années pour certains irréductibles, bravant la tempête de neige éphémère pour se procurer ce disque à bande jaune ? Un seul mot pour résumer la situation : grotesque. Car, autant le dire tout de suite, ce disque primordial, celui que l’on réclame comme des morts de faim vient de sortir et certains d’entre-vous sont encore là, scotchés au comptoir du Café des Halles avec ses albums calibrés, pré-digérés, reconnus. Guère besoin d’en dire plus. Le résultat saute aux oreilles : douze titres qui revitalisent le côté sombre du trip-hop, résume et synthétise à merveille les années 00. On a le droit à tout : rock (Mothers Of Pearl), ambient façon Low de Bowie (Acalmy), industrielle (Brainwashing), gothique (Insanity), guitares saturées, cassures, voix enchanteresses au profit des ambiances souterraines (Unemotional).

Misstrip est tout simplement ce groupe fulgurant qui place la barre plus haut que ses concurrents avec ce premier album. Une formation venue, issue, surgit du cœur d’Angers. Sibylline est le meilleur album sorti d’Angers depuis Still Hungry (1989) des Thugs. C’est le produit d’une effervescence entre tous les musiciens pas cyniques pour un sou mais qui ont pris pour principe d’exprimer avec force ce mal-être qui les ronge. Juste quatre intellos terrorisés mais branchés sur les meilleurs technocrates musicaux actuels. Mais ça, les pisse-froid du mouvement rock n’en sauront rien. Les Tartuffes de l’authenticité peuvent bien s’en offusquer : Sibylline sera considéré comme l’un des albums les moins roots de l’année 2006. Et Dieu sait que cette note de service me travaille de nouveau...