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par Emmanuel Chirache le 22 octobre 2010
EP paru en novembre 2009 (Puscifer Entertainment)
Hormis les fans hardcore de Maynard James Keenan, tout le monde se cogne de l’existence de Puscifer. C’est presque comme si le groupe évoluait dans une sphère parallèle du champ musical, réservé aux initiés via Tool, A Perfect Circle, Nine Inch Nails et quelques autres. Une entité auto-gérée, qui produit ses disques elle-même, fait sa promo elle-même, et semble n’avoir d’existence que dans l’esprit des gens qui y croient. Un peu comme le personnage de Devo H. Keenan, le fils de Maynard né en 1995 et cité plusieurs fois dans les crédits des disques de papa, mais dont personne n’a jamais aperçu la moindre photo officielle [1]. Bizarre, hein ? Il est vrai que Maynard est un "control freak" en ce qui concerne sa vie privée (et professionnelle !) et qu’il ne laisse filtrer quasiment rien de sa sphère intime. Pas demain qu’on le verra dans Gala ou Public poser à côté de fiston, qui demande "papa, ça parle de quoi Stinkfist ?".
En fait, Puscifer ressemble à une secte, avec ses codes, ses secrets, ses croyances, ses adeptes. C’est la personnalité de Maynard qui pousse la formation à ressembler à ce type de société opaque et mystérieuse, ce qui dans le cadre d’un groupe ne manque pas de charme et d’attraction. Le concept de "side-project" évoque d’ailleurs bien l’idée d’un monde parallèle qui co-existe à celui antérieur. Comme ses petits camarades Josh Homme et Jack White, le chanteur de Tool a aussi fait de sa carrière un véritable poulpe, une créature tentaculaire aux bras multiples. Chez ces artistes, le groupe est devenu une personne chimique, constitué d’éléments instables et volatiles, qui se dispersent soudain ici pour mieux se reconstituer plus loin et donner forme à une nouvelle molécule musicale, parfois très différente. Inutile de faire ici une cartographie laborieuse des différents parcours des musiciens de Puscifer, il suffit de savoir qu’ils viennent de groupes du même giron.
Ce qui paraissait au départ un simple one-shot destiné à s’évanouir aussitôt né, a fini par prendre racine dans l’esprit de Maynard. Le gars s’est pris au jeu et a donc décidé de donner une suite au fabuleux V is for Vagina, en sortant "C" Is for (Please Insert Sophomoric Genitalia Reference HERE). Derrière le titre potache à rallonge et la pochette horrible (on ne remplace pas comme ça Adam Jones...), le disque contemple encore une fois les années 2000 du haut de sa supériorité. Dès le départ, Polar Bear - et ses premières notes qui rappellent un peu le thème final de la série Dexter - montre une nouvelle orientation plus douce, quoique toujours aussi intense et méditative que dans le précédent opus. Vers deux minutes, la batterie entre dans la danse et porte le morceau vers son acmé avant que celui-ci ne retombe délicatement sur le synthé seul et la voix de Maynard, coupée en plein élan dans son "polar bear" amputé du second mot.
Puis c’est l’enchaînement sur le parfait The Mission [M is for Milla mix], chantée par Milla Jovovich (c’est elle, la Milla du titre) avec, il faut l’avouer, pas mal de talent. Comme souvent avec Puscifer, c’est la voix qui rythme la chanson, scandée par les "what do you know ?" rageurs de Maynard, sorte d’aphorisme philosophique qui répond en miroir au "Que sais-je ?" de Michel de Montaigne. Quant à la voix de chipie de l’actrice, elle se fond génialement dans la musique. En matière d’ambient et de trip hop, voici le chanteur de Tool et l’arrangeur Danny Lohner en train d’administrer une bonne leçon au récent Massive Attack en prouvant qu’on peut faire de la musique contemplative sans être lénifiant.
Quel plaisir aussi d’entendre les versions live de Vagina Mine et Momma Sed, bien plus rock que les originales. Seul Potions sonne un peu déjà-vu, juste milieu entre A Perfect Circle (pour les intonations du chanteur) et Nine Inch Nails pour la mélodie signée Trent Reznor. Enfin, Puscifer termine son récital par l’autre moment lumineux du disque avec The Humbling River, une parabole magnifique et magnifiée sur le destin de l’humanité :
Pay no mind to the battles you’ve wonIt’ll take a lot more than rage and muscleOpen your heart and hands my sonOr you’ll never make it over the riverIt’ll take a lot more that words and gunsA whole lot more than riches and muscleThe hands of the many must join as oneAnd together we’ll cross the river
Une fois n’est pas coutume, une véritable poésie se dégage du texte, dont les mots entrent en sympathie avec les arpèges de la guitare et les sens de l’auditeur. Peu à peu, la voix de la chanteuse Juliette Commagere harmonise avec celles de Maynard et enferme notre oreille dans un bien-être fœtal, une rêverie baladeuse dont il est pénible et douloureux de sortir. Une fois la chanson terminée, l’auditeur retrouve littéralement ses sens, dans la mesure où il ne ressentait plus rien jusqu’alors, ne faisant qu’un seul être avec la musique de la même façon que le fœtus ne fait qu’un avec sa mère. Je ne sais pas ce que j’ai fumé, mais c’était de la bonne.
Que le grand public ignore en masse l’existence de Puscifer est troublant, difficile de savoir s’il s’agit d’une conséquence de la communication ésotérique de Maynard James Keenan ou bien d’un manque de curiosité affligeant de la part du public. Car le talent du groupe, qui va au-delà d’une simple marotte ambient sympa pour s’endormir, mériterait qu’il figure en bonne place dans le paysage rock des années à venir.
[1] Sur un forum Internet, j’ai trouvé après des heures de recherche l’unique photo connue de Devo, qui prouve surtout que Maynard aime les poupées gonflables.
Vos commentaires
# Le 16 juillet 2012 à 09:01 En réponse à : "C" Is for (Please Insert Sophomoric Genitalia Reference HERE)
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