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par Emmanuel Chirache le 13 novembre 2007
Paru le 30 octobre 2007 (Columbia)
Ne cherchez plus le meilleur album de l’année 2007. Car vous en lisez la chronique. Sous le nom de Puscifer se cache d’ailleurs une vieille connaissance, l’un des plus grands artistes de la dernière décennie, un révolutionnaire patenté du petit monde du rock. J’ai nommé Maynard James Keenan, leader de Tool et A Perfect Circle, deux groupes qui suffiraient à faire entrer le chanteur dans le panthéon de la musique américaine. Mais malgré ses récentes déclarations de pré-retraité qui rêve de vignobles californiens, l’homme ne compte pas s’endormir sur ses lauriers. La dernière invention de Maynard James s’intitule donc V Is For Vagina, un projet solo qui compte dans ses rangs autant de guests prestigieux qu’un film de Soderbergh. On y trouve aussi bien Tim Alexander, batteur de Primus, que l’actrice Milla Jovovich, Brad Wilk de Rage Against The Machine ou encore Danny Lohner, un habituel collaborateur de Trent Reznor. La prise de risque s’est avérée payante : en une semaine, le disque s’est vendu aux Etats-Unis à 27 000 exemplaires.
Cependant, les aficionados de Tool et de A Perfect Circle risquent tout d’abord d’être désarçonnés par ce disque étrange, qui combine certains aspects hypnotiques du premier groupe et les bidouillages électroniques du second. En d’autres termes, Puscifer est l’une des expériences musicales les plus mystiques que le rock ait connue depuis bien longtemps. L’album nécessite des conditions d’écoute très particulières, une sérénité intérieure, un calme absolu, un relâchement des sens qui seuls permettent d’appréhender toute sa force. En effet V Is For Vagina s’apparente à un voyage mental, à la recherche d’une paix avec soi-même. Ce n’est pas un hasard si les influences qui se font le plus ressentir sont celles de la musique tribale, dont les vocations sont la transe, l’atteinte du nirvana, l’élévation de l’esprit ou du corps à un niveau supérieur. Maynard James Keenan définit lui-même Puscifer comme une « tentative de faire de la musique qui inspire les gens. Le rock heavy est en train de couler, continue-t-il, l’industrie se meurt. Puscifer n’est pas une musique réfléchie, c’est une musique agréable qui vous donne un sentiment de bien-être. »
Si je parle de nirvana, ce n’est pas une licence poétique gratuite ou abusive. Dès Queen B., le morceau d’ouverture, les réminiscences de la culture tibétaine se font entendre, puisque la voix du chanteur fait alors résonner en nous le fameux Om (ou aum), ce mantra psalmodié en chœur par les moines bouddhistes, hindouistes ou brahmanistes. Surnommée la "vibration vitale", cette syllabe sanskrite provient de la fusion du A, qui signifie le commencement, la naissance, le dieu Brahma, puis du U qui symbolise la vie, la continuation et le dieu Vishnu, et enfin le M qui représente la fin, la mort et le dieu Shiva. Ce son guttural, que l’on retrouve aussi dans la chanson Vagina Mine, doit se faire d’une manière bien définie, puisque le A émerge du fond de la gorge vers le palais, le U roule sur la langue et le M termine sur les lèvres. En quelque sorte, le Om englobe la totalité des mots qui peuvent être prononcés par l’homme, il s’agit du son fondamental. L’univers dans un seul mot. Tous ceux qui se sont déjà amusés à entonner un Om collectif savent à quel point ce simple exercice peut procurer une sensation de plénitude, bien plus efficacement que n’importe quelle substance illicite.
Sur Dozo, un titre qui fait référence au dojo japonais, la voix grave et profonde de Maynard fait merveille, tandis qu’avec le génial Vagina Mine, c’est le chant qui rythme le morceau avec la même monotonie lancinante des moines bonzes récitant leurs mantras ou des harmonies vocales decrescendo des aborigènes australiens. Au gré de sons électroniques, Puscifer réussit avec ce morceau à reconstituer l’incroyable frisson de la vibration originelle que j’ai décrit plus haut. La guitare acoustique fait ensuite une remarquable apparition sur le très bon Momma Sed, avant que le fabuleux Drunk With Power ne fasse resurgir les chuchotements angoissants du leader de Tool, sussurés par-dessus un tempo d’éléphant saoul qui chavire et balance d’un côté à un autre du chemin. Passons sous silence le mauvais Undertaker pour évoquer Trekka, une progression fascinante qui rappelle les transes chamaniques et les fracas martiaux d’une chanson comme Counting Bodies Like Sheep To The Rhythm Of The War Drums, point d’orgue du dernier A Perfect Circle. A cet égard, il faut noter à quel point les sonorités de eMOTIVE s’approchent de celles de V Is For Vagina. Des titres comme Annihilation, Peace, Love And Understanding, ou Let’s Have A War, bien qu’étant des reprises, annoncent fortement les climats dans lesquels évolue la dernière livraison de Maynard James Keenan.
Toujours dans la même veine, l’hallucinant The Indigo Children répète à l’infini ces quelques mots agrémentés d’un maigre refrain, et emporte l’auditeur vers les contrées inconnues de son inconscient primitif. Plus calmes, les splendides Sour Grapes et Rev. 22:20 terminent l’inititation sur quelques sobres notes de piano et un chant dénué de tout artifice électronique. Avec la répétition vocale, la prédominance du rythme et des ambiances planantes, Puscifer nous pousse à retrouver l’essence spirituelle de la musique. Des voix hypnotisantes, un tempo, un climat. Voilà qui suffit à placer ce disque à la fois dans la modernité technique la plus récente et dans la musique la plus ancestrale et rituelle qui soit, c’est-à-dire la méditation tribale. Un procédé qui rapproche l’homme de Dieu, du moins de son expression rationnelle et humaine : l’âme. Alors laissez-vous tenter et partez pour un voyage éminément singulier, une destination qui se cache dans les replis de votre conscience et conserve le secret le mieux gardé du monde.
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