Portraits
T.Rex, le Glam Rock à l'état pur

T.Rex, le Glam Rock à l’état pur

par Milner le 11 octobre 2005

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TYRANNOSAURUS REX, L’APPRENTISSAGE PRÉCAIRE

Par où commencer le portrait d’un homme mémorablement décrit comme nombriliste et narcissique ? Par le début, bien entendu. T.Rex représente, dans l’imaginaire populaire, un seul et unique homme : Marc Bolan. Mark Feld (né le 30 septembre 1947 à Londres) ne devint Marc Bolan qu’à dix-neuf ans, lorsqu’au retour d’un long séjour en France (où les rumeurs plus folles disent qu’il fut initié à l’ésotérisme et à la magie noire) il se piqua soudain d’ajouter la musique à sa première passion, la poésie. C’était en 1966, et le label Decca Records le signa pour un single, The Wizard, puis avec John’s Children, sans doute le tout premier groupe de glam-rock bien avant que le terme existe. Le combo obtenu deux petits hits avec Bolan (dont le splendide Desdemona), puis celui-ci s’en est allé. Dégoûté de l’électricité à la suite de déboires divers, Bolan forma un duo acoustique avec le percussionniste Steve Took, du nom bizarre de Tyrannosaurus Rex, en 67, lequel, malgré une existence terriblement précaire et grâce au soutien d’un noyau de fanatiques absolus, publia quatre superbes albums (My People Were Fair & Had Sky In Their Hair But Now They’re Content To Wear Stars On Their Brows qui atteint la 15ème place dans les charts anglais, Prophets, Seers And Sages, The Angels Of The Ages, Unicorn - classé à la 12ème position - et A Beard Of Stars, chez Regal Zonophone). À la suite de quoi, Steve Took laissa la place à Micky Finn pour mieux se consacrer à son engagement politique. Bolan, du coup, vint au rock mais doucement.

T.REX, LA RANÇON DE LA GLOIRE

Ce n’est qu’à la fin de l’année 1970 que les choses évoluèrent brusquement. Tyrannosaurus Rex se tassa en T.Rex, et la musique se ramassa en singles : un premier single, Ride A White Swan (2ème place en Angleterre) et un album, T.Rex, parurent simultanément, et à la grande surprise de Bolan et des siens firent aussitôt un malheur dans les hit-parades. Un vrai malheur. Alors le dandy Bolan, assisté de Micky Finn aux percussions, Steve Currie à la basse et Bill Legend à la batterie confortablement épaulés, éberlués, ravis, battirent le fer brûlant : Hot Love, puis Get It On en 1971, trustèrent le numéro 1 des mois durant, tandis que Electric Warrior faisait de même catégorie albums. Qu’y avait-il dans tout ça ?

Tout d’abord, il y a un son. Et ce son, maintes fois rêvé par Bolan lui-même, ne put devenir réalité qu’à la suite d’une rencontre qui changea le cours de l’Histoire. Tony Visconti, bassiste et producteur new-yorkais de surcroît, repère, en concert à l’UFO de Londres en septembre 1967, un drôle de duo folky, Tyrannosaurus Rex, dont le chanteur, un certain Marc Bolan ancien mannequin au look androgyne, fait très forte impression au public présent ce soir-là. Sous le charme à son tour, Visconti décide de collaborer avec le Britannique et va ainsi contribuer à la réussite de Bolan, en mettant un peu d’ordre dans ses comptines psychédéliques à la fois inspirées par les rockeurs des années 50 et Tolkien, puis en l’incitant à raccourcir le nom de son groupe et à électrifier sa musique pour la rendre plus populaire. La principale caractéristique de ce son réside dans la présence de chœurs féminins. Depuis le début de l’aventure T.Rex, ses membres étaient à la recherche de chanteuses noires, ce qui n’étaient pas évident à trouver en Angleterre au début des années 70. Lorsque Flo et Eddie (anciens chanteurs du groupe The Turtles qui participeront aux enregistrements de T.Rex par la suite, entre deux participations aux enregistrements de Frank Zappa) les ont rejoints, le groupe a insisté pour qu’ils imitent des chanteuses noires. Car des hommes qui chantent comme des femmes, voilà bien une des composantes du glam rock. Par la suite, Gloria Jones, futur-femme de Bolan, posera sa voix sur la plupart des compositions du groupe au moment où T.Rex se retrouvera dans l’impasse.

À l’époque, on ne pouvait pas l’ignorer, même si on n’avait soufflé ses seize bougies que la veille : tout le monde connaissait T.Rex, ce petit rock épileptique, chevrotant comme un Donovan en folie, sautillant, aguicheur et (surtout) sexy. Electric Warrior est un très bon disque, encore maintenant, le meilleur en tout cas de la T.Rexmania car, de 1971 à 1973 (jusqu’à Bowie), l’Angleterre ne vivait plus que pour les cris, les hanches et les frétillements de Marc Bolan. Pourtant, la sortie du single Jeepster sans le consentement de Bolan marque un clash irrémédiable entre la maison de disque et T.Rex. Le groupe créa son propre label (T.Rex Wax Co) en janvier 1972 et signe un contrat de distribution avec EMI. Pour preuve que le groupe T.Rex ravage alors l’Angleterre, Ringo Starr en personne réalise un documentaire hystérique sur l’orchestre de son ami Marc Bolan baptisé Born To Boogie. Les hits se succédaient (Telegram Sam, Metal Guru, 20th Century Boy, Children Of The Revolution ...) à un rythme effréné, les albums aussi (The Slider, Tanx), et c’est sans doute à cause de cette précipitation insensée que Bolan, ivre, usé, lassa petit à petit.

DÉCLIN ET CHUTE

La chaleur retomba, irrémédiablement, et l’impressionnant chapelet des singles publiés par T.Rex de 1974 à 1977 ne rencontrera plus qu’un accueil de moins en moins digne de la grande époque pour finir dans une quasi-indifférence, dérisoire et humiliante. Force est de reconnaître à posteriori que Bolan a fait des choix dès 1974 qui entraînèrent irrémédiablement sa chute. La sortie du cinquième album Zinc Alloy And The Hidden Riders Of Tomorrow en mars 1974, sonne la fin de la collaboration fructueuse de T.Rex et Visconti, remercié comme un panier de poissons pourris. La tête gonflée par son succès, Bolan se mit à boire, à grossir, à se gaver d’ersatz. « Quand je l’ai rencontré, assure Visconti, c’était un végétarien qui parlait doucement et à la fin, il était devenu un monstre égocentrique ». De plus, pour échapper à la pression fiscale en Angleterre, Marc Bolan s’installe à Monaco, puis en Californie. Vieille rengaine. Mais ses refrains, qui s’en ressentaient chaque jour d’avantage, ne lui servirent concrètement à rien pour conquérir l’Amérique. Il en réchappa déprimé, à moitié ruiné et malade. Et ceux qui la veille se prosternaient à ses pieds lui tournaient le dos dans les parties, si jamais il y était encore convié : il était devenu le has-been imprésentable. L’histoire, à peu de mois et de réflexes près, aurait pu ajouter une victime supplémentaire à l’éternelle routine des jeux de hasard du show-biz.

Après la sortie de ses deux derniers albums dans l’indifférence la plus complète, son groupe lassé finit par le lâcher. Bolan s’entoure alors de musiciens de sessions qui participeront également à la dernière tournée de T.Rex en juin 1976, avec le group punk The Damned en première partie. Les punks ont pour la plupart grandi avec la musique de T.Rex. Ils aiment les chansons simples et directes de Bolan. En se rapprochant de ce mouvement, celui que l’on présentait aux États-Unis comme le cosmic punk devient donc officiellement « le parrain du punk ». Seulement voilà, Marc Bolan, star ou non, n’était pas n’importe quel pantin, braillard ou desséché. Sa poésie, son énergie, son culot et sa drôle de voix, tout cela demeurait sinon intact, du moins bien vivant. Il suffisait de rassembler ses forces, de restructurer sa tête, d’accepter un brin de maturité, et de foncer. Il en était largement capable, ses amis le clamaient, parmi lesquels David Bowie, qui lui, ne l’a jamais boudé depuis leur première rencontre sur une désastreuse tournée américaine en octobre 1969, et quelques journalistes. Le dernier album du groupe Dandy In The Underworld était juste sorti en avril 1977 et Bolan commençait juste à le prouver lorsque ...

Finalement, c’est vrai, le sort a cruellement présenté l’addition au flamboyant Bolan. Il ne conduisait pas, il ne buvait plus, il s’était remarié avec la ravissante chanteuse noire Gloria Jones, il était de nouveau bourrés d’idées et d’allant lorsqu’une voiture traversa le périphérique de Londres pour heurter l’Austin Mini sur le siège arrière de laquelle il sommeillait, retour de dîner, 5 heures du mat’. Et les frémissements d’une guitare secouée de pulsions vitales se sont tus dans le fracas de la tôle écrasée. C’était le 17 septembre 1977. Deux jours plus tard, on put voir à la télé un Bolan régénéré offrir le contrepoint à Bowie pour une version rock de duellistes de Diamond Dogs : tout à fait normalement, et dans les délais, la chaîne Granada TV diffusait la dernière émission d’une série de six consacrées à Marc Bolan et ses amis, dont The Jam et The Damned. Lesquels n’ont pas manquer de saluer leur aîné comme il convient : en lui dédiant leurs concerts, en assistant à ses obsèques (The Damned) sous la pluie, aux côtés de Bowie. Et tout le monde sait bien que les punks ne font pas cela pour les vieilles croûtes.

Marc Bolan avait du cœur. Heureusement, car il aurait bien pu mourir une seconde fois, rien qu’en jetant un œil à la première page du Melody Maker, quelques jours après l’accident fatal « Adieu Marc », en petit et en bas, et en encore plus minuscules caractères : « Voir page 39 ». Page 39 ! Les rédacteurs ont-ils oublié toutes les couvertures sensationnelles lorsque T.Rex régnait ? On s’explique mal, dans le cas contraire, à quoi peuvent servir les trente-huit premières pages. Heureusement, n’importe qui pourra trouver des anecdotes dans les innombrables ouvrages qui lui ont été consacrés en Angleterre, où son culte demeure, fort heureusement, toujours vivace.

Ces derniers temps, tout le monde, de Placebo à Interpol, tente de refourguer l’esprit des seventies découpé en petites tranches pré-malaxées, superficielles et totalement hors contexte. Quiconque souhaite réellement revivre l’esprit du début des années 70 le trouvera au cœur de la discographie de T.Rex. Tout y est : les faux-pas, les élans maladroits mais surtout, les franches réussites. À n’en pas douter, T.Rex est bien un groupe mythique.

 [1]



[1Références bibliographiques :

  • Magazines : Q Magazine, Mojo, Rock & Folk, Uncut

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