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par Milner le 22 mai 2007
paru le 17 juin 1997 (Mercury Records / Polygram)
Depuis les seuls, les éternels, les inoubliables, depuis The Beatles dont tant d’artistes se disputent aujourd’hui l’héritage, les années qui suivirent l’immédiate fin de vie des Scarabées attendaient avec impatience une autre manifestation du génie pop. Qui connaît 10cc par ici ? Sûrement pas les masses populaires. Déjà, les puristes font la fine bouche en entendant prononcer le nom de 10cc car, à ce qu’ils disent, cette pop est vraiment trop décadente. Really, my dear ? Et si on s’en foutait ? O.K., on s’en fout. Un nom de groupe dont l’origine benoîtement répandue voudrait qu’il représente la quantité moyenne de sperme contenue dans une éjaculation masculine. Voilà qui ferait en rire plus d’un. Mais la vérité est tout autre. C’est Jonathan King (le chanteur du fameux Everyone’s Gone To The Moon, devenu ensuite producteur, patron de label et présentateur télé) qui aurait rêvé de ce nom au moment de leur en fournir un en juillet 1972. Lors de son songe nocturne, il aurait tout simplement fantasmé être devant l’Hammersmith Odeon de Londres et que l’une des formations de son label décrochait un numéro un dans les charts albums et singles de chaque côté de l’Atlantique sous le nom de 10cc. Bien évidemment, le lendemain matin, le quatuor issu des environs de Manchester avait un nom.
Pour faire vite, 10cc est aux Beach Boys ce que ces derniers sont aux Beatles. La continuité pop idéale surgissant il n’y a pas si longtemps où bon nombre de personnes bavaient d’admiration devant The Doobie Brothers et Al Stewart entretenant alors une espèce de lutte des classes de la misère - qui déjà parfois était la marque du chef-d’œuvre - alors qu’à l’évidence même, il y a des titres qui s’imposent, à peine la lecture commencée, comme des grands titres. Impossible de se tromper, non vraiment : dès les premières mesures de I’m Not In Love, l’auditeur n’est plus devant sa platine de disques compacts : il est en studio avec le groupe. 10cc est d’abord une réunion de professionnels de studios des plus efficaces ayant connus leur heure de gloire dans les années 1960 avec les plus grands de la pop. Graham Gouldman, l’auteur des tubes Heart Full Of Soul, For Your Love, Evil Hearted You, Bus Stop, Look Through Any Window, No Milk Today et Pamela Pamela, sans doute la moins connue, offerte à Wayne Fontana. Justement, Fontana et ses Mindbenders comprenaient en leur sein le multi-instrumentiste Eric Stewart qui rejoindra Gouldman ainsi que Lol Creme et Kevin Godley pour former ce carré magique de la pop anglaise en devenir, réactivant une certaine forme de passéisme aux couleurs (parfois) modernes. Et qui possède surtout une habileté à produire, comme s’il en pleuvait, ce que les Anglais appellent des instant hits, des tubes. Mais de véritables tubes de qualité. King ne s’y était pas trompé en les signant chez UK Records où ils avaient pour collègues de bureau les redoutables Lobo, First Class et Kevin Johnson. Sérieuse émulation. Et Eric Stewart fut vite au diapason. Pour mémoire, The Wall Street Shuffle, Art For Art’s Sake, c’était lui.
Des « Best Of » de 10cc, on tape dans un chêne et il en tombe huit. Certes, mais un comme ça, ça n’existait pas. C’est plus ou moins l’occasion de regarder derrière soi. Dans le rétroviseur historique, on constate que ce groupe était une mine d’or, un large panorama des différents reflets de l’époque. Et ce groupe possède deux qualités rares : le dilettantisme professionnel et la production, sans bavure ou presque. Le groupe souqua ferme pour atteindre les charts. Ce fut chose faite suite à un passage chez Mercury Records avec The Original Soundtrack et son méga-tube I’m Not In Love (sorte de Bohemian Rhapsody avant l’heure comprenant pas moins de 624 voix !). Dans une mouvance musicale finalement semblable à celle que suivirent Queen, Supertramp voire Electric Light Orchestra au milieu des années 1970 (une espèce de rock pompier ultra léché idéal pour accompagner un congrès de banquiers et grand générateur en classiques de boums), 10cc fut pourtant le seul de la bande à voir la presse spécialisée se rallier à sa cause. Quelle idée d’utiliser le second degré (Life Is A Minestrone) ou la parodie (Donna, pure pastiche Beach Boys comprenant la voix haut perchée de Creme) au milieu d’un répertoire hétéroclite au possible ? De placer quelques réflexions politiques chantées à demi-mot (Rubber Bullets et l’univers carcéral ; Art For Art’s Sake et l’Angleterre pré-Thatcherienne) à côté d’un des titres les plus proches de ce que la bande à McCartney aurait pu enregistrer si la pauvre Pomme ne s’était pas pourrie de l’intérieur en 1970 (The Things We Do For Love).
Souvent aux commandes en studio, Eric Stewart était inévitable dans la production du succès du quatuor et au fil des années, les relations au sein des musiciens devinrent mouvementées et aboutirent à l’irrémédiable. Après le départ de Creme et de Godley en octobre 1976, grand chambardement, le noyau dur Gouldman-Stewart se resserre de plus belle et publie sa dernière moisson de tubes : The Things We Do For Love, donc, plus grosse vente des désormais 5cc avec 3 millions d’exemplaires vendus à travers le monde et le classique british reggae Dreadlock Holiday de 1978 (l’époque y était pour quelque chose avec Hit Me With Your Rhythm Stick de feu Ian Dury et ses Blockheads). Mais la new wave et le punk auront en fin de compte raison du duo créatif qui publiera encore quelques albums dans les années 1980 que l’on passera d’ailleurs sous silence tant le charme et l’originalité de leur musique semblait s’être envolés.
Sacré destin : si longtemps méprisé par les intellos, le combo mancunien savoure sa revanche en quatorze titres (notons l’incompréhensible ajout du tube de Godley & Creme sur cette compil’, un peu comme rajouter Got My Mind Set On You de Harrison sur 1 des Beatles !). Bien sûr, la grosse machinerie mise en place par la maison de disques pour la parution de cette compilation a adroitement détourné le mythe 10cc, comme on détourne les mineurs. Alors que les albums Sheet Music, The Original Soundtrack ou Deceptive Bends attendent encore une remasterisation décente pour le nouveau millénaire, personne ne peut contester l’importance du combo pour les années 1970. D’où de nouvelles questions : est-il possible que tant de monde se soit laissé abuser ? Comment ces gars-là ont-ils pu survivre au tremblement de terre des sixties et garder assez de tête pour demeurer l’une des formations créatrices les plus prolifiques de la huitième décennie du précédent siècle ? La pop music, c’est la clé.
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