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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 4 septembre 2007
Le soleil sur le déclin, la foule. La fatigue, comme un brouillard pesant. Entrer dans les arènes, se faufiler dans les gradins, prendre sa place et attendre. Fumer quelques cigarettes, faire abstraction du crétin à casquette qui, devant, pousse du pied son voisin penché pour saisir un paquet de chips. Dans l’air presque frais, les Slits, Broadcast, Animal Collective, Delta 5 et même Gòrecki s’impriment, déjà liés à la pierre grise et imposante qui borde le ciel nuageux, les allées et venues de la fosse, l’attente. La première partie M.I.A. qui arrive sur scène. Avec juste une pote de danse et de chant, un DJ aux platines, elle commence, enchaîne des chorégraphies pourries, agite le bras vers le haut, gesticule dans son costume pailleté, r’n’b mais rétro, avec de grandes lunettes qui lui barrent le visage. Des énormes rythmes robotiques emplissent l’espace, sa voix criarde et crispante enchaîne les morceaux , les "hah" et "hoh". Friser la honte. Penser à une Peaches ayant largué sa panoplie porno pour une version ragga-dance, un peu cheap mais décalée. Et ayant pas mal flashé sur Dizzee Rascal. Certains dansent, tapent du pied, d’autres l’ignorent. Mais M.I.A. assume jusqu’au bout, rien que ça, même si sa musique - sans grande recherche - est complètement hors de propos. Hésiter sur le second degré de la chose. Puis, dès qu’elle s’éclipse, tout oublier sur les trois derniers quart d’heures. Maintenant la nuit, les spots qui éclairent la masse opulente, l’agitation, les pulsations. La scène qui s’installe, des drapeaux rouge et jaune vifs commencent à flotter sur le derrière, des écrans apparaissent, le batteur fait des essais.
En un instant, tout s’éteint, tout se prépare. La section de cuivres, largement présente sur Volta, fait son entrée, en procession, en fanfare, avec toges fluos sous les éclairages violemment bleus. Ils s’installent en rangée sur la droite, Damien Taylor (programmeur sur l’album) derrière ses consoles, un claviériste, il doit y avoir Mark Bell aussi. Tout de suite, Innocence rugit et Björk est là. Et c’est fantastique de la voir. Avec une robe d’arc-en-ciel flashy, des fichus bariolés, les cheveux déployés, elle parcourt la scène d’un pas agile, presque sautillante, comme une petite fée mutine. Le titre, produit par Timbaland, balance un son club, massif et bousculé ; elle s’amuse déjà dans son rôle de diva des dancefloors. Entrée en matière terriblement efficace. Puis Hunter, qui ouvrait Homogenic. Là, sa voix surgira des limbes petit à petit, d’abord recouverte par les rythmiques précises, envahissant les arènes. Elle jette alors d’immenses fils translucides dans la fosse, une toile d’araignée à laquelle elle reste accrochée et délivre la cadence ; vision surréaliste, appuyée par les cuivres reprenant les lignes mélodiques sur le final. Une réorchestration du morceau, comme un éclat de soleil nouveau, jouant sur les angles froids des rocs d’Islande. Avec Unravel, ce sera définitif. Sa voix s’élève, comme jamais, fend l’espace, déchiquette l’air, le renvoie en mille morceaux. L’émotion incontrôlable jaillit et traverse le public, une lave aiguë qui perce la foule à jour. C’est clair, sur album c’était impressionnant. Mais comment se préparer à ça ? Immergé dans le son, aucune distance n’est possible. Tout le monde doit être bouche bée ou au bord des larmes. Et ce qui est incroyable, c’est Unison, sans conteste le titre le plus bouleversant ce soir-là, même face à un Jòga. Une progression lumineuse et grandiose. À la fin, hors de tout, les cuivres embrasent les souffles, Björk lance ses vocalises déchirantes sur le côté gauche de la scène, puis à droite. Habitée, une tyrannie de l’émotion. Redescendre lentement, tandis que défilent d’autres morceaux de Vespertine, de Medúlla.
Arrivé à mi-parcours, distinguer le début de Earth Intruders, avant qu’une immense flamme rouge sang surgisse d’on ne sait où, sur scène, pour illuminer furieusement l’ensemble du public. Avec la rythmique tribale, puissante, implacable qui entame une transe et une frénésie rare. Entraînant sur album, le titre devient ravageur, tout le monde commence à se lever, c’est une machine de guerre. Vite rejoint par un Army Of Me presque méconnaissable de puissance. Le monde bascule, Björk passe de l’émotion la plus insoutenable à une énergie saccadée et incontrôlable, qui rafle les gradins en une vibration hédoniste folle. Elle s’agite à travers les débauches de couleurs, survoltée. Tempère brutalement l’atmosphère en entamant Vökuró. Tendre et recueillie, avec pour simple accompagnement un clavier au son précieux. Chaque mouvement suspendu, accroché à la mélancolie de cette chanson pour Noël triste. Et après Wanderlust, torrentielle, tragique, un crescendo boréal, c’est Hyperballad, suivie de Pluto. Mises bout à bout, il y a un déchaînement de rythmiques, brut. Les mélodies s’effacent, elles dérivent vers une séquence techno. Les questions ne se posent plus. C’est que les raves doivent avoir ce goût, cette folie-là : le bois des gradins tremble sous les secousses, les crachats de spots épileptiques fusillent le champ d’action. Damian Taylor est en extase sur scène. Il bondit sur place, trop heureux de l’effervescence. À un moment, Björk doit lancer "merci bien" ou "bonne nuit" et toute la troupe disparaît. Pas de place pour le silence, qui serait tout autant assourdissant de toute façon ; applaudissements, sifflets, fracas. Quelque chose dans l’air enserre les corps, quelque chose, une magie. Même si le voisin de devant avait l’air d’être un crétin définitif, impossible de ne pas vouloir la même chose que lui, de ne pas crier avec lui. Encore deux titres, juste ça. Est-ce que les lumières s’étaient rallumées, au fait ? Est-ce que, déjà, la fin retentissait, trop proche ?
Ils reviennent donc, enthousiastes. Deux titres seront chantés, ainsi que le suggérait la setlist de l’avant-veille. Mais avant, Björk, sur le devant de la scène, bredouille une faveur, en français, du mieux qu’elle peut. C’est l’anniversaire de quelqu’un ce soir, elle désigne une toge fluo dans la section des cuivres, une fille (en fait, ce sont toutes des filles). Est-ce que le public peut chanter pour elle ? Oui. Qui ne le ferait pas ? Drôle de moment, tout le monde s’exécute dans l’hilarité, personne ne connaît son nom. Après coup, penser à la tête des gens qui devaient flâner devant les arènes, à cet instant-là. Oceania, guillerette mais déjà teintée de nostalgie, enchante, avec cuivres scintillants et cascades de piano. Björk s’amuse. Après avoir poussé sa voix dans le ciel, elle exécute des révérences, sa robe tendue en ovale, incline la tête et le final suit ses mouvements. Pas le temps de s’attendrir, enchaîne Declare Independence, pour l’apothéose. Sur Volta, le titre est crissant et totalement anxiogène : Björk lâche la bride à sa voix, rarement aussi libérée, mais là... Son énorme beat à la Rollin’ & Scratchin’ va virer à l’euphorie sauvage. Sous des allures d’hymne techno-punk, il écrase son emprise sur la foule, les gradins, la pierre, le dôme noir de la nuit, tout, les jeux de fumée qui courent, s’élèvent, rasés de près par des jets pailletés quadrillant la fosse. Le monde entier est au comble de l’excitation. Même plus, pendant la montée en puissance, une perte absolue de contrôle. Björk exhorte le public à hurler, "higher higher", les toges fluo tressautent sous la charge électronique. La dernière minute doit être une boule de son, fureur inévitable. Enfin, de ce qui peut resurgir de ces dernières impressions, forcément brouillées. Tout a décidé de s’arrêter, soudain. Ils partent en un éclair. Maintenant, le jaune horrible des spots découpent les premiers mouvements d’évacuation. Et se lever, sortir, expirer, marcher, parler, fumer, attendre, rentrer, boire, dormir, partir. Oui, l’arrivée implacable du lendemain, face à un soleil aiguisé qui n’oublie pas d’assommer. Ça doit être ce moment-là, où il faut réaliser l’ampleur de l’évènement. Quitter les lieux, et commencer à trouver les mots.
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