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le 28 mars 2006
Soixantaine, je t’aime et je te hais. Voilà un peu l’état d’esprit qui court tout au long des dernières prestations, studio et live, de notre nouveau sexagénaire. La soixantaine, une décennie qui commence un 6 mars, jour de la sortie de l’album.
Dave Gilmour se fait ainsi un cadeau à lui-même, se force à regarder ses 60 ans dans les yeux, et à leur crier tout ce qu’il ressent à leur égard.
Tristesse et joie. Tristesse, car la soixantaine, c’est comme une île, une décennie placée entre l’immense océan de la vie déjà vécue, et la petite mer de la vie qu’il reste à vivre.
Joie parce que pour Dave, la soixantaine c’est aussi la paix et l’amour... un havre, une île paradisiaque, dont il veut profiter jusqu’à la dernière seconde. À l’image de la vie elle-même, qu’on peut voir comme une île d’instants éphémères dans un océan de froide éternité.
Les secondes sont devenues précieuses pour Dave, plus précieuses qu’elles n’ont jamais été. Il n’a plus beaucoup de temps, et celui qu’il lui reste, il veut le consacrer à sa femme et ses douze enfants (me souviens jamais du chiffre exact). Mes amis à l’optimisme inébranlable, j’ai bien peur qu’une nouvelle tournée de Pink Floyd ne soit pas au programme de cette décennie... un an ou deux de tournée, c’est trop cher payé. Les promoteurs américains qui lui ont proposé des millions pour tourner avec Pink Floyd suite au succès du Live 8 se sont trompés de devise : ce n’est pas de Money dont Dave est pauvre, mais de Time. D’ailleurs ce soir il jouera l’une, mais pas l’autre. Hélas, aucun promoteur au monde ne dispose de cette devise là...
Ce soir, ça fait déjà dix jours que cette décennie honnie a commencé. Dix jours que le nouvel album tourne dans nos lecteurs, et surtout dans nos oreilles. Je suis au Grand Rex, puis à l’Olympia. Excusez-moi d’avance, je parlerai des deux soirs comme s’il s’agissait d’un seul... après tout, quand le temps s’accélère, les secondes comme les journées se confondent.
Dave parle de cette île, ce temps de réalité éphémère qui contre toute raison peine à s’affirmer hors de l’océan où tout prend fin. Derrière cette île, le bonheur enfui, les êtres perdus, l’hécatombe qu’a connue Dave au cours des dernières années, qui l’ont peut-être conduit à se sentir naufragé. Devant, peut-être d’autres souffrances à venir, et une seule certitude, celle de la mort. Dans cet entre-deux, Dave veut vivre, veut vivre aussi fort qu’il le peut, et crie sa peur de voir son île engloutie finalement par les eaux. Les anciens avaient nommé cet état d’esprit Carpe Diem. À 60 ans, Dave le crie à s’en faire éclater les cordes. Toutes les cordes.
Pour moi, ce soir, ces îles, ce seront des instants de pure vérité, parsemés de-ci de-là le long du concert, des îles de secondes qui se démarqueront de la mer du concert... des instants où quelque chose d’unique se passera, le genre de clarté, de communion qui fait que ce n’est pas seulement un concert auquel on assiste.
Les lumières s’éteignent, le public s’allume. Majestueusement, pompeusement je dirais presque, Castellorizon envahit la salle. Le morceau qui introduit l’album est dans la plus pure tradition des ouvertures d’albums floydiennes. Une corne de brume, des bruitages, une ambiance, un sommaire des sons qui parsèmeront l’album. Pompeux, oui, ça l’est un peu... À l’image de l’origine de ce morceau ? La wikipedia m’a appris que Kastellórizo est une île grecque où Dave a passé une nuit. Elle m’apprend aussi que le nom officiel de cette île, Meyísti, signifie « la plus grande » alors qu’elle est en réalité la plus petite des îles du Dodécanèse. Dave veut-il ainsi nous donner, ou même se donner à lui-même, une leçon de modestie ? Aussi loin que tu puisses te porter, aussi haut que tu croies être allé, n’oublie jamais ce que tu es réellement, n’oublie jamais à quel point tu es fragile... C’est peut-être ça que signifie la métaphore de l’île qui se croit plus grande qu’elle n’est. D’ailleurs la grandiloquence des bruitages est rapidement démentie par une fine (oui, fine... il a bien maigri depuis 2002 !) silhouette qui s’avance sereinement vers le milieu de la scène, prend une guitare et attend tranquillement que le moment vienne de jouer. La modestie rattrape enfin le morceau : la pompe des effets sonores laisse la place à la pure émotion de la guitare. Dave joue, le concert commence vraiment.
Et il joue bien le bougre. 60 ans, c’est aussi la décennie pour le guitariste où l’expérience est à son apogée, et où la fatigue n’a pas encore engourdi ses doigts. Bref, il joue mieux que jamais.
Et il chante, aussi. À peine Castellorizon terminée, le morceau éponyme de On An Island commence. Accompagné par ses cinq musiciens qui l’ont rejoint discrètement (tiens, l’un d’eux me rappelle quelqu’un...) Dave nous montre qu’il chante aussi bien qu’il joue. Sa voix est redevenue celle d’un jeune homme, bien plus proche du timbre des premiers albums que de ceux des années 1980 et 1990. Bon, elle déraillera un peu parfois, mais même dans ces cas là elle restera émouvante. Chanson sublime, que beaucoup d’internautes avaient pu découvrir en avant première... chanson à la fois joyeuse et triste, comme le dira Dave ensuite. Il aura même la gentillesse de traduire aux non anglophones absolus la signification de « on an island ». Une chanson qui plus que jamais dit à la soixantaine : je t’aime et je te hais. Car la soixantaine a rapproché Dave à la fois de la mort et du bonheur. Ses deux égéries, la faucheuse et Polly, n’ont jamais été aussi proches... Laquelle est la plus proche ? ça dépend : comme le dit Dave, il est a mi-chemin des étoiles. Mais comme le verre est à moitié vide ou à moitié plein, être à mi-chemin des étoiles est à double tranchant. Ainsi tout l’album se verra ponctué de moments de peur de la mort, et d’autres de bonheur de vivre, de quête d’îles d’éternité. Ces derniers remportant finalement la mise.
Mais pas dans le morceau suivant. The Blue est clairement la peur de ce qui risque à tout moment d’engloutir son île. Les occidentaux la voient noire, les orientaux blanche, Dave la voit bleue. Pourquoi pas ? ça la rend moins effrayante. Toute vie est issue de la mer, il semble donc logique que toute vie y finisse. Le solo qui clôt le morceau est sublime, et nouveau dans l’œuvre floydienne. Jamais on n’avait entendu une guitare s’évader comme ça, c’est à dire s’évader sans jamais aller trop loin... alors qu’à chacune de ses envolées, on est persuadé qu’elle va dérailler. Mais Dave tient ses sons bien en laisse, il ne leur laisse que la liberté qu’il décide de leur laisser... à l’image de la mort ? Tiens, le musicien qui me rappelait quelqu’un l’accompagne au chant... mais il me rappelle qui déjà ? Oui, il me rappelle ce claviériste qui aimait bien les îles grecques lui aussi, et qui lui aussi avait composé un morceau sur la peur de la mort...
Ben tiens, justement c’est ce morceau qu’on nous joue maintenant ! Les notes de The Great Gig In The Sky résonnent dans l’Olympia (les spectateurs du Grand Rex n’auront pas eu cette chance), et une choriste s’avance sur le devant de la scène.
Elle a beau s’être encore camouflée capillairement, sa voix la trahit : c’est bien Sam Brown ! Impossible de ne pas reconnaître la première partie qu’elle avait chantée en 1994. Mais cette fois c’est l’intégralité de cette histoire en trois actes qu’elle nous chante, s’inspirant grandement pour les deuxième et troisième parties de ce qu’avaient fait ses consœurs de l’époque, Durga Mc Broom et Claudia Fontaine. Même si Sam n’est pas très en cannes ce soir, elle a quand même réussi à donner une belle et émouvante couleur à ces cris de peur de la mort. C’était en tout cas un bel enchaînement thématique... même si jouer The Great Gig... à ce moment là obéissait en fait à des raisons plus prosaïques : Sam chantait ce soir à Paris avec Jools Holland, et avait été débauchée par Dave pour venir pousser la chansonnette... elle a donc dû repartir rapidement pour retrouver Jools.
À l’Olympia, les spectateurs enfoncent un peu le clou de la soixantaine : on se met à lui chanter "Happy birthday..." Dave semble ému. Il nous dit qu’il a un cadeau pour nous... et empoigne son saxo. Le Red Sky At Night se lève, bien illustré par le light show. Depuis la sortie de l’album, c’est devenu presque un cliché de dire que Dave joue du saxo comme il joue de la guitare. Mais si c’est un cliché, c’est peut-être parce que c’est vrai... Aucune démonstration dans son jeu, aucun esprit m’as-tu vu, juste de la beauté, qui prend son temps pour s’installer... oui, Dave est vraiment lui-même avec son saxo : maîtrise et modestie. L’ambiance lancinante est soudain agitée par une ambiance bluesy. La musique de This Heaven est aussi simple que ses paroles. Le seul paradis dont Dave a besoin, c’est ses enfants. Une musique qu’on pourrait entendre dans un piano-bar, sans prétention, juste le plaisir de jouer, de revenir aux racines d’une certaine musique... une musique d’une évidence qui rappelle celle de Dominoes, ou de Biding My Time.
Arrive un nouvel instrumental, qui vient en contraste total avec cette rafraîchissante évidence de This Heaven. Then I Close My Eyes... une étrange envolée vers des territoires qui n’avaient plus été explorés, ni même approchés, depuis des décennies... ambiance qui rappelle un peu la période Atom Heart Mother. Il faut croire que quand Dave ferme les yeux, et oublie tout le mal que lui et ses comparses du Floyd ont dit (ou cru de bon ton de devoir dire ?) de cette période expérimentale, c’est à ces premières amours là qu’il revient. Le thème lancinant répété tout au long du morceau par la guitare de Guy Pratt (Manzanera jouant du clavier à ce moment là) rappelle ainsi la respiration mécanique de Mind Your Throats Please, et la slide de Dave a des réminiscences de Alan’s Psychedelic Breakfast. Dick Parry fait son entrée, très applaudi. L’ex maréchal-ferrant respire la bonhomie et la modestie... et la sincérité. S’il ne se sent pas à l’aise dans un solo, il ne le joue pas. Cela nous rappelle que c’est bien de vrais êtres humains devant nous. C’est ainsi qu’au Grand Rex, il a soufflé quelques notes, puis s’est envolé. Le lendemain il aura plus d’assurance, et jouera un bel équivalent de la trompette de Robert Wyatt sur l’album.
Mais c’était juste une île d’expérimentation, entre deux lacs de beauté simple... ainsi la guitare de Smile vient revigorer les rétifs aux sons de Then I Close My Eyes. Smile est épurée au possible, aucun chœur féminin ne venant chanter la partie que chante Polly sur l’album. Ainsi Dave est presque seul à chanter son plaisir de rentrer vers son seul vrai foyer, sa source de réconfort, le sourire de son épouse. Seul Guy Pratt s’avance tranquillou pour assurer un petit chœur, avant de revenir vers sa position, toujours mains dans les poches.
La chanson s’envole comme la fumée d’un feu de camp. Et alors que les musiciens électrisent leur équipement, Dave nous demande malicieusement si on serait partant pour quelque chose de plus rock... Et comment, qu’on l’est...
Take A Breath explose. Le light show aussi. Et la salle aussi, bien sûr. Car il ne faut pas seulement attendre la mort passivement : lui résister, aimer la vie quoi qu’il arrive, apprendre à survivre... le geste de survie le plus adapté étant l’amour de ses proches. Le gimmick vocal est très efficace (après une seule écoute, je soulais déjà ma moitié avec les « Take a breath, take a deep breath now ! » à tout bout de champ). Et en live, le morceau prend indéniablement une ampleur décuplée. Le dernier solo est précédé d’étranges bruitages qui rappellent un peu la partie équivalente de Jugband Blues. La chanson finit sur une ultime explosion de « Take a breath ! » d’un kitsch assumé.
On calme un peu le jeu avec la très belle A Pocketful Of Stones. Dave nous chante ici sa propre histoire semble-t-il, celle d’un homme qui constate le non sens de la vie, et qui se contente de vivre aussi fort qu’il peut, jusqu’à la fin, se débarrassant peu à peu des pierres qu’il garde dans sa poche, qu’il ne pourra pas emmener avec lui... mais qui font quand même des ronds dans l’eau. Il se prépare donc sereinement à profiter de la vie, et à accepter, celle-ci terminée, de n’être plus qu’une onde, un souvenir dans l’eau de ceux qui restent. La musique est d’une limpidité théâtrale, avec des passages instrumentaux qu’on utiliserait bien pour la BO d’un film.
Puis vient la chanson peut-être la plus simple de l’album, tellement simple qu’on pourrait la croire caricaturale. J’allume un feu de camp, un pic-vert rit, nous valsons au clair de lune... mais elle est tout à fait sérieuse. Where We Start is where we end : le quotidien si agréablement répétitif, voilà l’île dans laquelle se sont réfugiés Dave et Polly. Les joies simples et bucoliques d’une balade en amoureux. Une ballade sur une balade, on n’avait pas fait aussi simple depuis Grantchester Meadows... Un superbe cadeau d’anniversaire de Dave à Polly... Polly doit être une femme heureuse. Et déjà on peut faire ce constat : pour la première fois dans l’œuvre floydienne, un album entier est consacré à l’amour et au bonheur. Il aura fallu attendre 60 ans pour en arriver là...
La mélodie de Where We Start est aussi simple que belle et efficace. Pour preuve, les lumières rallumées, les musiciens partis en pause, le refrain est encore siffloté ou fredonné partout dans la salle, dans le hall, au pipi room. Une pause était de toute façon nécessaire. Pour digérer tout ça, pour se calmer. On vient de se prendre l’intégralité d’un album dans les oreilles. Certains l’ont découvert, d’autres redécouvert... certains n’ont pas aimé les chansons. Peut-être cherchaient-ils trop Pink Floyd là où il n’y a que Dave ? Mais dans tous les cas, la guitare et la voix n’ont pas laissé indifférent. Et il faut bien se préparer un peu à ce que beaucoup qualifient de « choses sérieuses »... D’autant plus qu’on sentait que Dave n’était pas aussi à l’aise qu’il pouvait être : sur la première partie, il a un album à présenter, il doit convaincre, séduire... alors que sur la deuxième partie, on attend de lui qu’il se promène en terrain conquis...
Les lumières se réteignent, c’est reparti. Dave arrive seul, prend sa guitare, actionne son pédalier... et Shine On... est murmurée. Cette version ressemble beaucoup à celle de 2002, si ce n’est qu’elle est jouée à la guitare électrique. Mais si le début est très similaire à la version 2002, la suite se différencie très rapidement, pour adopter la version album. Dès lors, l’impression qu’avait donnée Then I Close My Eyes d’assumer le passé revient de plus en plus. Comme si Dave se sentait l’obligation de réhabiliter certains morceaux du répertoire floydien, d’opérer un retour aux sources... de ramener des trésors sur son île. Ainsi Shine On... à partir de la part 2 nous ramène des sons qu’on n’avait pas entendu en live depuis des décennies. Le Syd’s theme retentit, la batterie et la basse se joignent au ballet, l’hommage à Syd explose. La guitare plus que jamais inspirée de Dave s’aventure dans de nouveaux territoires, tout en nous racontant la même histoire qu’elle raconte dans ce morceau depuis 1974. « Wish you were here Syd »... La part 3 est zappée, pour nous conduire directement à la part 4, celle du chant... et là, une claque. Une claque à coup de silence. Tous les instruments s’arrêtent, seul Dave et sa guitare nous livrent les mots de la chanson. Dave l’a affirmé, il ne chante jamais, jamais, cette chanson sans penser très fort à Syd. Il s’en fait presque un devoir. À mes oreilles, il n’a jamais pensé aussi fort à lui. Interprétation bouleversante... si elle ne vous donne pas des frissons sur les bras, c’est que vous n’avez pas de bras. Sur les deuxièmes couplets, un piano mélancolique vient accompagner Dave... pour moi ce sera l’une des îles de secondes de bonheur et de vérité qui émergent du concert. Et quand retentit le dernier "Well you wore out your welcome, with random precision..." tous les instruments rattrapent le morceau, puis Dick vient interpréter la part 5 avec ses deux saxos, comme il le faisait en 1994. Shine On..., avec ses 9 parts plus ou moins amovibles, est un des morceaux qui a connu le plus de version différentes... je crois que le montage qui nous en a été livré ce soir est, sinon le plus réussi, le plus émouvant qu’il m’ait été donné d’entendre. Commencer le « set Pink Floyd » comme ça nous achève d’avance.
Les spectateurs de l’Olympia auront eu un double bonheur : pendant qu’il chante le premier couplet, un larsen gâche tout... Dave s’arrête tout simplement, et demande qu’on répare le problème. Pas question que l’hommage à Syd soit entaché. Le public approuve... et encore plus quand il commence à comprendre ce que ça signifie : une fois le problème réglé, Dave va la rejouer depuis le début ! À la surprise des autres musiciens qui semblaient penser que Dave allait simplement reprendre là où il s’était arrêté. Dave accélère un peu l’intro de la deuxième version, en réinterprétant, en improvisant... une version encore plus surprenante, suivie d’une part 2 encore plus inspirée... le couac aurait-il boosté son jeu ?
Il faut se rafraîchir après ça, on ne peut pas survivre sinon. Rafraîchi on l’est, mais assommés par la surprise, on l’est encore plus... Dave annonce un vieux morceau tiré du film La Vallée (Barbet Schroeder aurait sûrement apprécié d’entendre le public ovationner le nom de son film) et des guitares sèches nous livrent le thème beau et tranquille de Wot’s... Uh The Deal.
Dave règle-t-il encore son ardoise auprès du répertoire négligé du Floyd ? Cette chanson n’avait jamais été jouée en live. Et on se demande pourquoi, tant la moulinette de la scène lui donne une belle forme. Du coup on s’aperçoit que le thème de cette chanson se marrie bien à celui de On An Island : la joie d’un homme perdu qui trouve le réconfort auprès de l’amour, ce bout d’Eden qui lui est accordé sur Terre, et grâce auquel il peut vieillir sereinement. La chanson est magnifiquement chantée, la voix de Dave étant aussi claire que sur l’album Obscured By Clouds, et légèrement simplifiée, avec un instrumental unique (le pianiste qui me rappelle quelqu’un, puis la slide de Dave) en fin de morceau. Une autre île de secondes, le sourire rageur de Dave qui motive ses troupes avant d’attaquer son solo de slide...
Puis Guy Pratt crée rapidement un climat intrigant avec sa basse, et Dick Parry façonne la mélodie du morceau suivant. Et c’est là que je reconnais enfin le pianiste ! Eh oui, depuis le début on avait bien la moitié de Pink Floyd sur scène... mais Rick est toujours si discret qu’on le voyait et l’entendait à peine. Caché (physiquement comme musicalement) derrière Jon Carin, c’était vraiment difficile de le remarquer... Il n’y a qu’à partir de ce deuxième set que Rick sera ramené - un peu - au premier plan... à son grand dam visiblement. Une autre ardoise est ainsi réglée : la tournée de 1994 avait laissé deux morceaux de Division Bell de côté. Pour l’un d’eux, la mal est réparé. Wearing The Inside Out est plutôt bien amenée, ponctuée de beaux solos à rallonge de la part de Dave, mais la voix de Rick manque d’assurance. Peut-être est-ce dû à un problème technique de retour, comme les gestes paniqués de Rick le laissent penser. Peut-être est-ce tout simplement sa légendaire timidité. D’ailleurs, un îlot de vérité a ravi mes petits yeux de fan de Rick : le sourire rassurant et encourageant de Dave à Rick, juste avant qu’il ne commence à chanter.
Après ce morceau, une petite différence intervient encore entre les deux concerts. Au Grand Rex, on enchaîne directement sur les extraits de Dark Side.... À l’Olympia après une légère explication entre Dave et Rick (remontrances ? excuses ? dégonflade de Rick parce qu’un autre de ses morceaux était prévu dans la foulée ? Summer’ 68 ? Faut que j’arrête avec Summer ’68 ?) Dave dessine une mélodie inattendue sur sa guitare sèche : Fat Old Sun ! Très belle version, vite livrée, et dont la fin, contrairement aux versions 2002, enchaîne sur... le légendaire solo ! On voit donc que déjà à 24 ans, l’écriture de Dave était empreinte de nostalgie des jeunes années de Cambridge. À 60 ans, la chanson garde tout son sens... Et puis il y a cette transition entre les « sing to me » et le moment où Dave prend sa guitare électrique, qui est une belle île, un archipel même, de pur bonheur : à ce moment, on sent Dave vraiment enthousiaste. D’abord parce qu’il esquisse un pas de danse (j’ai vu Dave danser, je peux mourir) ensuite parce qu’il prend un air en attaquant le solo, qui veut clairement dire « tu le voulais depuis 2002 ? le voilà ! » et enfin parce que ce solo valait vraiment le coup qu’on l’attende depuis 2002. Le morceau terminé, Dave sur un petit nuage demande « qu’est-ce qu’on va jouer maintenant ? » Quelqu’un crie « tout ! » Dave répond « ok, on y va ! » en faisant mine d’attaquer un accord. Et le pire c’est qu’à ce moment là, on le sent vraiment capable de le faire, de tout jouer...
Mais la machine Pink Floyd, toujours bien huilée, le rattrape au vol et assène lourdement son Speak To Me... qui est bienvenu, bien évidemment, mais qui met trop rapidement fin à ce petit moment éphémère où Dave a l’air libre, animé par cet autre esprit floydien, celui qui régnait avant le tournant de Dark Side....
Breathe retentit donc, dans ce qui est peut-être la version la moins surprenante de tout le concert, puisque très proche de la récente version Live 8. Très belle, comme toujours... A l’Olympia, Dave breathe tellement fort qu’il manque avaler le médiator qu’il avait mis dans sa bouche. Le morceau laisse brutalement la place à des sonneries de réveil... J’adore quand un bruit vient couper la chique des spectateurs qui applaudissent parfois trop tôt... Encore une belle version de Time, le batteur, loin des démonstrations spectaculaires d’un Graham Broad, livre un solo de percus très proche de celui qu’aurait pu faire Nick, tout en finesse, qui est d’ailleurs plus une illustration musicale qu’un vrai solo. Et quand le chant arrive, on retrouve enfin un Rick assuré avec sa voix ! Curieusement, il était moins à l’aise sur « sa » chanson que sur celle-ci... bon, il faut dire que le nombre de fois où il a chanté l’une et l’autre frise le rapport mille contre un... Puis on a un solo de Dave conforme à ce qu’on pouvait en attendre, et le morceau se conclut en douceur par la reprise de Breathe.
A l’Olympia, Dave présente ses musiciens à peu près à ce moment là (au Grand Rex, il l’a fait pendant la première partie). Phil Manzanera (dont la guitare est de l’avis unanime trop forte sur certains morceaux), « El Magnifico » Guy Pratt, le remplaçant de Nick, Steve Distanislao, Jon Carin dont il dit « qu’il joue tout ce qu’on lui demande, et même plus » (allusion à sa collaboration avec Roger ?) et... inutile de présenter le dernier avec qui je suis si mauvaise langue. Que ce soit au Grand Rex ou à l’Olympia, la salle explose et crie sa reconnaissance (dans tous les sens du terme) à Rick. À l’Olympia, Dave fait en outre comme s’il avait oublié quand quelqu’un lui demande comment il s’appelle, lui. Notons le respect de Dave à l’égard de ses musiciens (non francophones), puisque s’il parle pendant tout le concert en français, il présente toujours ses musiciens en anglais.
Au Grand Rex où Fat Old Sun n’avait pas été jouée, on a maintenant droit à Dominoes. Version qui ne vaut pas celle de 2002, où l’émotion de Dave était plus palpable. Phil Manzanera la conclut d’un solo bordé d’étranges sons qui peuvent décontenancer, mais qui renvoient en fait à la version studio de l’album Barrett, où le solo était enregistré à l’envers. Ces échos se veulent donc une tentative de rendre l’ambiance déroutante de cet enregistrement surnaturel. Tentative plus ou moins réussie, selon les sensibilités...
Puis, the tolling of the iron bell... une cloche sonne. Les High Hopes de la jeunesse de Dave viennent une fois de plus le rattraper. Où est-ce lui, perdu sur son île, qui est nostalgique du port ? Là encore cette version est moins belle que celle de 2002 (avouez qu’il avait quand même fait très fort, en 2002) mais le chant est toujours aussi sublime, et le solo de slide illustre toujours aussi bien les secondes et les années qui s’écoulent vite, si vite... Mais quelques unes de ces secondes sont pour moi à présent de nouvelles îles de bonheur : après le solo de slide, alors que les spectateurs s’apprêtent une fois encore à applaudir trop tôt, Dave veut leur rappeler ces concerts des années 60-70 où, selon ses mots, on pouvait entre deux mesures entendre une aiguille tomber sur scène. Dave veut nous réapprendre la patience et l’écoute. Il reprend la guitare sèche qu’il avait remisée dans son dos, et conclut le solo... sublimement, lentement, patiemment... et les spectateurs apprennent cette leçon là : leurs mains se referment, leurs oreilles se rouvrent. Cette fois, car c’est forever and ever que la rivière coule, l’écoute est intacte jusqu’à la dernière vibration de la dernière note... Moment magique, moment pédagogique... moment logique : il nous fallait cette préparation là pour entendre la note suivante. Et là se trouve la conclusion de toutes ces îles de secondes qui ont émergé de ce concert, toute cette vérité, toute cette communion, tout ce bonheur est à présent résumé dans une île unique, une seconde unique... une seconde qui fait... ping...
Je suis désolé, je ne vais pas pouvoir décrire tout ce que j’ai ressenti. Mais toi qui me lis, tu le comprends certainement. Toi aussi tu as écouté ce morceau des milliers de fois, tu as pleuré, volé, plané, tu es monté, descendu, tu as eu peur de ces corbeaux, tu as douté que cette guitare de la résurrection revienne, elle mettait tant de temps... et chaque fois elle est revenue... tu a toujours été reconnaissant à ce morceau de s’installer si paisiblement en toi, instrument par instrument, et d’en ressortir tout aussi paisiblement, en laissant tes oreilles intactes mais étrangement imprégnées, comme ce son ultime qui peine à en ressortir alors même que le silence est revenu... Echoes ne t’a jamais trahi. Mais tu as forcément ressenti que Pink Floyd, lui, t’a trahi en le reléguant aux oubliettes... ou en ne le ressortant que pour le massacrer, en 1987. Alors le voir ressuscité, toujours intact, toujours aussi beau, toujours chanté avec autant de douceur, toujours joué avec autant de justesse, toujours mis en scène avec autant de savoir-faire, avec une partie funky qui swingue plus que jamais, une partie centrale aux sons absolument fidèles à la version studio et dignes des meilleures versions roio... Ces vingt minutes racontent la plus belle histoire qui soit, celle d’une naissance, d’une mort et d’une résurrection. Et le morceau lui-même vit sa résurrection. C’était la plus belle façon de finir un concert dont l’un des thème centraux est la peur de la mort. Le plus beau pied de nez. La plus belle réconciliation.
J’ai eu la chance d’avoir deux points de vue différents les deux soirs. Au Grand Rex, de ma mezzanine, je dominais la scène et avais une vue d’ensemble. Là, j’ai vraiment vu Pink Floyd jouer Echoes. Aucune importance que seule la moitié du groupe était sur scène. Les effets de lumière, la classe de Dave, le son... c’était Pink Floyd.
Du quatrième rang de l’Olympia j’étais beaucoup plus proche, j’avais dans mon champ de vision Dave, et juste derrière Rick... Si j’avais voulu les filmer, je ne me serais pas placé autrement. C’était comme à Pompéi. Et là aussi, j’ai vu Pink Floyd. Avec un détail en plus : le visage de Dave pendant la partie chants de baleine et corbeaux. Ben ça fait peur. Yeux exorbités et visage plus grimaçant que jamais, alors que sa guitare fait retentir ses bruits d’outre-océan. J’ignorais d’ailleurs qu’il ne touchait même pas ses cordes pour produire ces sons.
Le seul bémol vient du public, qui a oublié très vite la leçon donnée par la fin de High Hopes, et qui a applaudi trop souvent, et assez mal à propos. D’ailleurs Rick et Jon s’en sont amusés quand le premier ping a provoqué une explosion : ils ont eu un petit échange qui voulait dire « incroyable, ça fait pareil à chaque fois ! » Et j’en soupçonne plus d’un, quand Dave a repris la partie qui annonçait la renaissance, d’avoir cru que c’était le début de Another Brick...
Notons aussi que, faisant mentir sa réputation, Dave ne s’est pas planté dans les paroles... mais il s’est bien rattrapé sur d’autres morceaux (la reprise de Breathe par exemple)
Le groupe part sans un au revoir. La traditionnelle préparation aux vrais adieux. Formalité vite remplie, le groupe revient très vite pour attaquer Wish You Were Here. Guy Pratt donne le top à Phil Manzanera pour attaquer le thème après les stations de radio. Je vais jouer mon rabat joie, mais ce rappel pour moi n’aura que la saveur d’un... rappel. Juste un petit bonus après le vrai concert. Echoes m’a véritablement assommé... Mais un petit Wish... fait toujours plaisir, ainsi que sa suite attendue... Comfortably Numb présentera une seule surprise, très agréable : c’est Rick qui chante seul (enfin, presque, Jon assurant toujours le contrechant, discrètement) la partie normalement dévolue à Roger... qu’il chante là encore bien mieux que Wearing The Inside Out !
Un très beau solo conclut ce concert...
Merci Dave et Rick pour cette île floydienne que vous nous avez fait visiter... le retour à terre est difficile... mais nos yeux restent rivés à l’horizon, dans l’espoir de vous revoir. Et encore un bon anniversaire à Dave, en espérant que sa décennie à venir sera comme il le souhaite une île de bonheur, dans laquelle, peut-être, il y aura encore une petite, une toute petite place pour nous...
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