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par Aurélien Noyer le 7 novembre 2012
Comme dirait les Inrocks, "on y était". Et il fallait y être, tant ce Retinal Circus n’était rien d’autre qu’une incroyable célébration de la musique et de l’imaginaire d’un des musiciens les plus singuliers du metal. Au vu de sa discographie pléthorique (presque 30 albums, répartis entre différents projets, en à peu près 20 ans), il semble difficile de synthétiser l’univers musical, mais au risque de m’attirer l’ire des spécialistes, je tenterais bien l’hypothèse suivante : dédaignant les frontières entre les genres et les styles, Townsend a orienté sa carrière autour d’une caractéristique "heavy". Peu importe le genre musical qu’il aborde (et ce peut être du death metal, de l’ambient, de la pop, du gospel, de la country, du rock ou des hybridations expérimentales), il ne néglige jamais cet aspect "heavy" qui vous fait presque spontanément remuer la tête, même si cela peut s’avérer assez difficile... essayez de headbanger sur le titre Deconstruction pour voir !
Et si Devin Townsend exprimait déjà il y a plus d’un an son envie d’agencer un show visuel autour de sa musique, il est évident qu’une année de préparatifs n’a pas été de trop. Alors que le public de la Roundhouse de Londres attend patiemment sur fond d’ambient music, un nain déguisé en gnome monte sur la scène et, d’un geste, intime au public de se taire. Sur les deux écrans latéraux, Steve Vai apparaît. Même si le musicien n’est pas physiquement présent, les fans applaudissent celui qui fut le premier à donner sa chance à Townsend, en l’engageant comme chanteur sur son album Sex & Religion. Alors que Steve Vai commence à expliquer que le show raconte l’histoire d’Harold, jeune homme comme beaucoup d’autres, avec les inévitables questions existentielles sur la vie, les filles, la famille, la planète, sujet aux angoisses et aux peurs assénés par les médias, un acteur apparaît sur le haut de la scène et commence à miner l’histoire. Fatigué par toutes ses interrogations, il s’endort, espérant trouver des réponses dans ses rêves.
Et le show commence à se déployer... Devin Townsend et son groupe arrivent sur scène pour jouer Effervescent, appuyés par un faux choeur gospel et quelques effets pyrotechniques, l’enchaînement avec True North ne pose aucun problème. Mais sur Lucky Animals, les choristes féminines reviennent, déguisées en félins, et dansent sur la scène en imitant les animaux. Au fil des chansons et des courts intermèdes narratifs de Steve Vai, on assiste à l’histoire de l’univers, avec l’évolution des animaux vers les primates (la chanson Planet of the Apes est l’occasion d’une invasion de la scène par des gorilles), puis vers l’homme (Truth et son "premier homme" fanfaron) et ses problèmes : la religion, la guerre, la paternité (celle-ci étant vu au travers de l’extra-terrestre Ziltoid l’Omniscient, on obtient une version particulièrement comique), les addictions, le sexe, etc.
Certes, la narration est plus que lâche, mais chaque chanson est un prétexte pour déployer des tableaux visuellement incroyables, inspirés par le théatre, la pantomime, le cirque et alimentés par une imagination débordante. Si on n’est pas surpris (encore que...) de voir des soldats se battre à coup de fumée d’extincteur, on l’est plus lorsqu’un comédien arborant un énorme phallus fait une courte apparition durant Planet Smasher. Etant donné l’enchaînement avec Babysong, j’y vois une allusion à la conception du petit Ziltoid Jr, dont le titre accompagne la gestation pendant que des acrobates suspendus à des rubans multiplient les figures... et qu’un vagin géant trône sur la scène, jusqu’à ce qu’à la fin de la chanson, en émerge le bébé Ziltoid.
Il est difficile de retranscrire l’atmosphère de folie furieuse qui accompagne le spectacle : à l’inventivité visuelle se joint la musique débordante de créativité de Townsend, pour un résultat inimaginable. Heureusement, le spectacle marque une pose à la fin de The Greys et laisse quinze minutes au public pour reprendre son souffle et assouvir quelques besoins naturels (à la reprise, Steve Vai complimentera le public sur ses capacités urinatoires).
Si la deuxième partie du spectacle est un peu moins visuellement inventive, c’est qu’elle contient deux morceaux de Strapping Young Lad, avec l’ancien guitariste du groupe, Jed Simon, en guest. Bien plus violente que le reste de la discographie de Townsend, la musique de Strapping Young Lad se suffit presque à elle-même. Si quelques comédiens assurent un support visuel, une grande partie de la fosse est plus occupée à pogoter dans tous les sens qu’à regarder la scène. En outre, ces morceaux sont un véritable cadeau aux fans car, comme Townsend l’a expliqué dans plusieurs interviews (et dans un échange cocasse entre lui et le crâne de Steve Vai !), la musique de Strapping Young Lad correspond à une période particulièrement néfaste de sa vie qu’il rechigne à revivre. Pour beaucoup d’artistes, on pourrait croire à une forme de caprice d’enfant gâté. Lorsqu’on voit Townsend s’impliquer émotionnellement dans les morceaux de Strapping Young Lad, au point que son visage en devienne presque méconnaissable, on comprend qu’il ne s’agit pas de ça. C’est d’ailleurs une constante du concert : jamais Townsend n’aurait fait preuve de la moindre désinvolture ou d’une once de dilettantisme. Spectacle visuel ou non, sa concentration et son immersion dans sa musique restent totales.
Un peu plus sobre (c’est très relatif) visuellement que la première partie, le second set déploie par contre une intensité redoutable... l’enchaînement Life-Kingdom-Juular-Love ? aborde une facette un peu brutale de la musique et met à genoux un public qui a à peine le temps de reprendre son souffle grâce à Colonial Boy avant de succomber à un Grace de toute beauté qui conclue le "voyage" par un climax à la hauteur de tout ce qui précédait.
Alors que la voix rassurante de Steve Vai conclût le Retinal Circus à proprement dit et que les instruments désertent la scène, les roadies y apportent une télé, deux canapés, une fausse porte... par laquelle entrent les musiciens. Et, en guise de rappel, Townsend accompagné de Jed Simon et de son guitariste entonne la country Little Pig. Au fil de la chanson, tous les acteurs du Retinal Circus reviennent sur la scène et lorsque celle-ci s’achève, tout ce petit monde s’enlace, visiblement heureux d’être arrivé au bout de ce projet démentiel. Et il faut avouer que, même du point de vue du public, cette effusion de joie simple, en point d’orgue d’un show maîtrisé de bout en bout (passons sur la désinchronisation entre l’image de Steve Vai et le son de sa voix), participe également au plaisir du spectateur en rétablissant d’une certaine façon dans l’aspect humain de ce qu’il vient de vivre.
Le Retinal Circus était un évènement ponctuel dans la carrière de Devin Townsend, et c’est peut-être mieux ainsi. La tournée Plastic Beach de Gorillaz (similaire dans son rapport à la musique et à sa représentation scénique, bien que moins ambitieuse) avait laissé Damon Albarn sur les rotules et il vaut mieux que le workaholic Townsend garde ses forces pour ses nombreux projets. Mais un DVD/Bluray semble prévu pour le printemps 2013... il va sans dire qu’il sera extrêmement recommandé de l’acheter !
A lire aussi, le compte rendu délirant de MetalSucks, qui a assisté au show par streaming.
Les photos de Terrorizer.
N’oubliez pas, Devin Townsend est en concert le 11 décembre à Paris, au Bataclan, ça va être awesome.
Vos commentaires
# Le 13 juin 2013 à 00:45, par Alex En réponse à : Devin Townsend : Retinal Circus
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