Films, DVD
The Director's Cut Live : A New Year's Revolution

The Director’s Cut Live : A New Year’s Revolution

Fantômas

par Thibault le 16 septembre 2011

3,5

paru le 6 septembre 2011 (Ipecac Recordings)

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En plus de l’envie de voir l’interprétation sur scène d’un album essentiel des dix dernières années, on attendait avec impatience ce nouveau DVD de Fantômas pour plusieurs raisons que voici.

Avec des setlists établies selon le lieu du soir et une musique très compliquée qui nécessite une concentration de tous les instants, presque autant pour les spectateurs que pour les musiciens, faisant de chaque concert une sorte d’épreuve physique, la réputation singulière des performances live du groupe n’est plus à faire. Elles peuvent être appréciées sur YouTube, on recommande l’excellent live à Montreux en 2005, avec Terry Bozzio à la batterie, ainsi que le plus récent concert à Sydney de 2009.

De plus, le DVD Live from London 2006 enregistré dans une formation Melvins/Fantômas « big band » s’est révélé décevant. Le line-up est alléchant avec la présence de deux batteurs, Dave Lombardo et Dale Crover, de Trevor Dunn à la basse, de Buzz Osbourne et David Scott Stone aux guitares en plus de Patton au chant, il est capable d’une véritable puissance sonore (c’est bien le minimum syndical vues les forces en présence) mais le set offert n’est pas à la hauteur. Une prestation mi-figue, mi-raisin, parfois plaisante grâce au mélange assez jouissif des voix de Buzz Osbourne et de Mike Patton et à la bonne qualité des morceaux, piochés et enchainés de manière cohérente dans des répertoires vastes et peu évidents, preuve d’un véritable travail collectif. On retient quelques moments de pur fun, notamment une Page 14 où Patton s’éclate avec ses deux batteurs en les pointant du doigt tour à tour dans un jeu de réactivité et de complicité. Des instants où le gominé montre ses capacités de frontman et de chef d’orchestre, rappelant que quand bien même son cartoon-metal est bien barré, il est parfaitement maîtrisé par des musiciens lucides et assurés.

Mais au final, ce concert à Londres est assez chiant et surtout très poseur. C’est d’autant plus regrettable que Patton n’était pratiquement jamais tombé dans ce travers auparavant, mais là, rien à faire, au bout d’une heure de DVD, on a envie de rentrer dans l’écran et de crier « les gars, arrêtez de vous regarder jouer !!! ». D’ailleurs, un membre de l’assistance ne se prive pas de lancer un « STOP THAT BULLSHIT !!! » durant un passage répétitif particulièrement stérile. Une introduction de douze minutes à pleurer d’ennui, beaucoup de passages bruitistes lénifiants, une ambiance parfois digne d’un concert de post-rock, quelques choix de morceaux contestables et une attitude carrément auto-satisfaite, le tout servi avec une réalisation à côté de la plaque : angles de caméra approximatifs qui ne parviennent jamais à mettre en valeur un geste ou un mouvement, montage incompréhensible qui tente vaguement de suivre la musique, effets visuels et inserts particulièrement laids et hors sujets, prise de son moyenne (!), on ne comprend pas comment un perfectionniste comme Mike Patton a laissé passer un travail aussi bâclé. Rajoutons qu’un concert de metal qui n’a pas le sens de l’hédonisme et du partage, c’est assez triste à voir.

Ci dessus, l’interprétation de Page 3, l’un des bons moments du DVD

Bref, le nouveau DVD de Fantômas se devait de redresser la barre après cette déception. En réalité, il fait un peu office de baromètre improvisé de l’état de forme et d’esprit de Patton. En effet, depuis cinq ans, la production de l’homme prend une toute autre tournure. Après avoir publié pas moins de sept disques pour la plupart très réussis entre 2000 et 2006, Patton met un gros coup de frein à son rythme de publication. Depuis presque cinq ans, il n’a présenté qu’un album en collaboration avec Duane Dedison, Anonymous de Tomahawk, et un album de reprises sous son nom, Mondo Cane. Force est de constater que ces deux albums, malgré leurs qualités, ne sont pas de nettes avancées dans son parcours. Si Mondo Cane est un album très agréable, soigné, réjouissant, drôle, classe, très justement acclamé par Béatrice dans son article, il demeure seulement un bon album de reprises qui s’ajoute à l’œuvre de Patton sans s’imposer comme un de ses jalons. Quant à Anonymous de Tomahawk, qui prend le pari de revisiter les chants traditionnels amérindiens, il est autant à mettre au crédit de Duane Dedison qu’à celui du chanteur, qui ne compose que ses parties vocales.

Passons rapidement sur les deux bandes originales A Perfect Place et Crank : High Voltage, ce sont des œuvres de commande que Patton a réalisé par sympathie pour les projets qu’on lui a proposés mais aussi pour faire vivre son label, Ipecac Recordings. En effet, la maison de disques lancée en 1999 connait plusieurs soucis financiers qui poussent son fondateur à réaliser quelques enregistrements honnêtes mais mineurs, à relancer Faith No More pour des concerts tonitruants ainsi qu’à prêter sa voix à pas moins de six jeux vidéos depuis 2007. Ce ralentissement nécessaire pourrait même s’avérer salutaire. En effet, Patton a passé la quarantaine, son œuvre est déjà faite, il n’a plus grand chose à prouver et l’inspiration n’est pas infinie. Autant de raisons pour produire moins et éviter les éventuels ratés en se concentrant sur des projets de longue haleine. Dans ce contexte, la parution d’un DVD fait office de véritable test, d’autant plus que Patton est un perfectionniste qui déteste les enregistrements lives, lesquels lui demandent un ingrat travail de post-production.


Verdict : c’est bien mieux que Live from London, mais ce n’est pas encore à la hauteur de nos folles espérances. Passée l’introduction de The Godfather, jouée du bout des lèvres au mélodica par Patton, c’est un assaut de riffs et de plans recolorés, d’insertions de vitres brisées par des balles, de giclées de sang. Le montage est très rentre dedans et l’intention du réalisateur Vincent Forcier est claire : celui ci ne veut pas filmer le concert d’un point de vue extérieur qui pourrait être celui d’un spectateur, mais pénétrer entre les musiciens et coller à la musique grâce à un gros travail de post-production. Le parti pris est ambitieux, louable, et l’exécution montre une vraie compréhension entre le groupe et le réalisateur. L’idée d’une réalisation outrancière, avec des effets de déformation, des zooms, des très gros plans, des contrastes de couleur ou encore des images retouchées colle parfaitement avec les titres de Director’s Cut, qui sont des détournements de thèmes de films classiques à la sauce metal-cartoon grimaçant.

Le résultat regorge de très bonnes idées, hélas desservies par quelques facilités. On ne peut pas vraiment parler d’approximations car le tout reste globalement carré, mais le processus mis en place tourne parfois à vide. Néanmoins, on reste assez admiratif devant la capacité de Forcier à obtenir un rendu toujours lisible et cohérent, tout en usant et abusant d’effets de transparence et d’images superposées qui seraient insupportables chez quelqu’un d’incompétent. Aucun doute, le type a un œil, un sens du cadre et du timing. Malgré les contraintes de l’espace réduit, ses angles de caméra arrivent à surprendre tout en étant judicieux, et même si on n’arrive pas au niveau d’un Scorsese qui magnifie les Stones comme un dieu, Forcier varie les plaisirs et prend visiblement son pied à filmer Fantômas.

Parmi les choses qui retiennent l’attention, citons l’effet de déformation saisissant quand Patton s’empare de son micro pour attaquer le chant de Cape Fear, l’introduction d’Henry : Portrait of a Serial Killer, où les ondes de choc provoquées par les coups sourds de la basse se propagent à l’écran, ou encore les explosions pastiches sur les fracas de cymbales lors de One Step Beyond. Surtout, n’oublions pas ce zoom-avant soudain qui plonge sur la batterie de Dale Crover pour déboucher sur le visage hilare de Patton. Les deux musiciens étant face à face, cette astuce jouissive nous place au cœur du groupe et tire le meilleur des parti-pris de mise en scène de Forcier. On est vraiment entre les membres du groupe, on assiste au concert, on apprécie leur complicité tout en étant embarqué par le montage et les couleurs.

Dans ces moments, A New Year’s Revolution rappelle la manière dont Edgar Wright et son chef opérateur Bill Pope filmaient les concerts dans l’excellent Scott Pilgrim vs. The World. Une approche originale, qui dynamise et enrichit son sujet avec des emprunts à la bande dessinée, des lumières vives, du mouvement en continu et une envie de coller aux musiciens, de capter les choses de l’intérieur.

Cependant, on peut regretter quelques moments surchargés qui auraient gagné à être plus posés, comme la fin de Investigation of a Citizen Above Suspicion. De plus, le réalisateur se focalise presque exclusivement sur Patton. On ne voit quasiment que lui, les autres membres du groupe sont complètement minorés. Bien sur, le gominé est le leader du groupe. Il en est l’unique compositeur, le chef d’orchestre, le maitre à penser et son attitude en concert est un point de repère évident pour le spectateur. Sa gestuelle très expressive, presque surjouée, en dit long sur les morceaux. Néanmoins, il ne faut pas négliger pour autant les autres membres, qui sont tout aussi importants dans le cadre d’un concert.

C’est là qu’on est un peu déçu. Si Forcier parvient à mettre de temps en temps en valeur le jeu de Dale Crover par quelques plans précis sur quelques petits gestes bien repérés, il passe complètement à coté du nonchalant bassiste Trevor Dunn ou du guitariste Buzz Osborne. Il n’y a pour ainsi dire qu’un seul plan qui est consacré aux trois autres musiciens, un infime travelling latéral sur The Devil Rides Out, d’autant plus frustrant qu’il permet d’entrapercevoir le jeu des instrumentistes et qu’il en dit plus long que bien des effets. De plus, les effets de transparence sont un peu sous exploités. Patton communique beaucoup avec ses musiciens : en fusionnant plusieurs plans en une seule image, on peut montrer ces échanges et la continuité dans ce que font les membres de Fantômas. On sent que Forcier a cette idée en tête, mais elle ne s’affirme pas complètement. C’est un peu frustrant, mais ce sont des choses compliquées à mettre en place, on ne dénigrera pas son travail pour ça.

En revanche, quand bien même l’interprétation de la musique est très propre (Dave Lombardo étant occupé avec Slayer depuis quelques années, c’est Dale Crover qui assure l’intérim avec précision), il n’y a pas de surprises par rapport à l’album. Et, grande déception, la version de Simply Beautiful, très attendue par les fans, n’arrive pas à la hauteur de celle qui circulait déjà sur YouTube. Le groupe y ajoute des bruits de pet et le montage des images de singes, on a beau être bon client, c’est assez auto-satisfait comme peut l’être un gag chez les Melvins. A noter aussi un commentaire audio plutôt distrayant par le comédien Neil Hamburger, aka Gregg Turkington, vieil ami de Patton depuis l’époque de Mr Bungle. Assis sur le lit d’une chambre d’hôtel devant une télé qui projette le DVD, il commente les images dans un monologue improvisé laconique et pince sans rire. Pas inoubliable, mais il y a des moments sympathiques.

Au final, ce qu’on retient entre autres de ce DVD, c’est Patton qui bouffe l’écran et met dans l’ombre ses musiciens. C’est un point intriguant, puisque le gominé promet un nouvel album appelé The Solitude Of Prime Numbers pour le 1er novembre, qu’il publiera sous son nom, à l’instar de Mondo Cane l’an passé. C’est assez interrogateur de voir que ses trois dernières publications (voir cinq dernières si on compte A Perfect Place et Crank : High Voltage) mettent en avant sa personne. Auparavant, il n’avait publié que deux essais sous son nom, deux disques mineurs, très expérimentaux et distribués sur le label de John Zorn, autrement dit des documents de l’ombre. C’est un changement assez notable, sur lequel on ne tirera pas de conclusions hâtives mais qui pose des questions. Est-ce que Patton tente d’attirer l’attention sur des disques qui seraient passés inaperçus sous un autre nom ? Avec les soucis financiers d’Ipecac, c’est une hypothèse. Est-ce que son égo empiète sur ses collaborateurs ? C’est une autre possibilité. Est-ce que l’âge le rend plus solitaire ? On ne peut pas nier une évolution dans son parcours, il n’est plus le frontman déluré de Mr Bungle et écrit de plus en plus souvent seul. En tout cas, l’affaire n’est pas anodine et sera suivie de près. Le feuilleton Mike Patton n’est pas terminé sur Inside Rock.



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