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par Psychedd le 11 avril 2006
paru en septembre 1971 (Decca)
Encore un groupe qui ne dira pas grand chose à grand monde... Et pourtant, Caravan est un groupe phare de la musique progressive. Un peu comme tous les groupes dits de « l’École de Canterbury » me direz-vous. « C’est vrai ! », vous répondrais-je alors dans un élan de fanattitude louche... Car, comment ne pas aimer un style aussi inventif, barré, classieux, sérieux sans être embêtant, drôle sans être lourd que celui-ci ? Il faut bien dire qu’on a rarement vu une telle concentration de musiciens progressifs dans le périmètre d’une seule ville. Et encore plus fort, il semble que tous les jeunes gens de Canterbury ne jurent que par le jazz et la meilleure pop du monde, à une époque où tout est permis et où l’expérimentation ne fait pas peur. Avec le groupe Wilde Flowers, florilège des meilleurs musiciens du coin (c’est-à-dire, environ 10 personnes pour un groupe !), les bases sont posées dès 1964 et les musicos vont avoir l’occasion d’essayer toutes les combinaisons possibles, si bien qu’une même personne fera partie de quatre formations différentes... Tout ça, pour se retrouver tous réunis à l’occasion de chouilles musicales, genre big-band progressif-jazz...
Encore plus fort, tout en restant scotchés les uns aux autres, nos amis de Canterbury vont même trouver le succès, sans aucune rivalité. Soft Machine montre la voie, et Caravan, qui voit le jour en 1968, s’engouffre à la suite de ses potes. Mais tandis que les premiers décident de “radicaliser” leur jazz-rock et de s’éloigner peu à peu du grand public, les seconds vont développer ce que l’on peut appeler de la pop progressive, toute en légèreté et vont avoir un certain succès tout au long des années 1970. Aujourd’hui encore, Caravan est le seul groupe de ce mouvement et de cette époque qui tourne encore (mieux que les piles Duracell niveau durée de vie donc...). Toujours plus fort, pour certains spécialistes et fans de progressif, le groupe a pondu des chefs-d’œuvres ultimes que tout amateur se doit de connaître.
Ça tombe bien, car In The Land Of Grey And Pink en est l’exemple parfait... Troisième album du groupe, il est celui qui va rameuter une troupe de fans fidèles ainsi qu’un public plus large, un succès que l’on peut observer dans des concerts où le groupe se produit devant plusieurs milliers de personnes (lors d’une prestation à Rotterdam, il aurait joué pour 250.000 spectateurs). Il est pourtant différent des précédents opus, dont le leadership était assuré par le chanteur/guitariste à gueule d’ange, Pye Hastings. Ce qui le différencie ? La prédominance des cousins Sinclair, Dave aux claviers et Richard à la basse et au chant, qui vont composer la quasi-totalité de l’album. Et à vrai dire, on ne l’aurait pas lu, on ne l’aurait pas su : tous les membres du groupe sont en effet crédités dans l’écriture et la composition des morceaux. Sachant qu’il n’y a également pas de rupture dans le son et le style du groupe, on peut vraiment se demander ce que ce changement de têtes pensantes a pu amener... En premier lieu, la voix de Richard Sinclair provoque directement un choc quand on est habitué à celle de Pye Hastings. Plus grave et profonde, plus en nuances, parfois ironique, la voix du bassiste tranche radicalement avec le filet aigu sortant de la gorge du guitariste. Et à vrai dire, sur un morceau comme Golf Girl, qui ouvre l’album, c’est tout simplement charmant !
Autre facteur de changement, la production du disque, assurée par un certain David Hitchcock qui sera également producteur pour Foxtrot de Genesis, ce qui, toujours vu d’un œil d’amateur de prog, est quand même un sacré gage de qualité... Et puis bien sûr, In The Land Of Grey And Pink, comme tout grand album, est la synthèse idéale de tout ce que Caravan sait faire de mieux et plus précisément ici, un mélange de pop-rock énergique, d’improvisations audacieuses et bien sûr de jazz à la sauce Canterbury. La première face étant consacrée à des chansons courtes (bien que la plus longue dure presque huit minutes), agréablement dansantes, toujours truffées de trouvailles sonores délicates, tandis que la seconde partie consiste en un seul et même morceau de 23 minutes qui donne un bon aperçu de l’étendue de la maîtrise musicale de chaque musicien... Il arrive que ce genre d’exercice soit un peu lourd à digérer et que le tout tombe dans un style sans fin qui lasse. Sauf que Caravan a la grâce et la classe !
Le tout est aérien, toujours proche des hautes stratosphères, c’est une musique positive, empreinte d’innocence, plaisante et apaisante. Pastelle... C’est le terme... Une musique pastelle, non pas en demi teintes fades, mais plutôt une musique aux couleurs tendres... Tendres comme le gris et le rose de ce pays qui fleure bon le rêve et l’évasion. Il est certain que Caravan ne tape surtout pas dans l’extrême. S’en est presque désuet...
Désuet comme le trombone qui joue les premières notes de Golf Girl. Définitivement, Caravan semble débarquer d’une autre planète, d’une autre époque... Chanson pleine d’humour, qui relate plus ou moins la rencontre de Richard Sinclair avec sa femme sur un parcours de golf, quel meilleur moyen de commencer un disque ? Sans se prendre au sérieux, tout en montrant que l’on assure à fond derrière. Car techniquement, les musiciens sont au top, mais sans en faire trop et c’est peut-être cela qui rend leur musique si agréable à écouter. On n’a jamais le droit à une démonstration de force, puisque le tout repose sur un équilibre délicat, fragile, comme suspendu dans les airs...
Impression renforcée par Winter Wine et son intro acoustique, où cette fois ci le ton se durcit avec l’orgue qui prend le dessus pour un solo qui déchire, ce qui fait cliché, on vous l’accorde, mais ce qui prouve également que nos arguments techniques s’avèrent être un peu véridiques quand même...
Puis, comme un cheveu sur la soupe, il y a ce Love To Love You, seule composition de Hastings, qui tranche singulièrement du reste (la voix on vous dit !). Mais c’est tout aussi adorable qu’un Golf Girl, alors pourquoi bouder son plaisir ? Dans l’ensemble, la première face est du même tonneau et In The Land Of Grey And Pink (la chanson) vaut le coup surtout pour l’espèce de solo de bouche aquatique de Richard Sinclair (un solo de bouche aquatique, c’est quand on essaye de chanter la bouche sous l’eau, c’est donc très drôle).
Et puis, il y a la pièce de résistance, composée par la vraie force créatrice du groupe qu’est Dave Sinclair (dixit Pye Hastings) : Nine Feet Underground, véritable morceau de bravoure, qui prouve qu’avoir des influences, c’est bien, mais savoir les assimiler au point d’en faire quelque chose qui ne ressemble à rien de connu, c’est mieux... De la pop progressive, si si ! Si ce n’est pas nouveau comme concept, on se demande bien ce que c’est ! Rythme implacable et impeccable, on n’a pas le temps de s’ennuyer en 23 minutes, loin de là, puisque l’on va de surprise en surprise, d’ambiance en ambiance. Équilibre et synthèse toujours, les deux chanteurs s’y collent chacun leur tour et tous les musiciens ont droit à un moment défouloir. Si c’est pas beau tant d’égalité...
Là où l’histoire devient plus triste, c’est qu’au moment où Caravan semble enfin s’être trouvé, que l’entente dans le groupe est parfaite, que les voilà en route vers la gloire, Dave Sinclair décide de quitter le navire qu’il trouve bien trop lent et pas assez ambitieux à son goût. Remercions-le d’avoir donné cet ultime témoignage de ce qu’aurait pu être Caravan s’il était resté.
Car la formation ne va pas vraiment survivre à ce départ. L’album suivant sera enregistré avec un nouveau claviériste, puis seuls Hastings et Richard Coughlan (batteur) continueront l’aventure et ce ne sera plus vraiment comme avant...
C’est peut-être pour cela que In The Land Of Grey And Pink est si particulier et tant apprécié : il est tout simplement unique en son genre et laisse comme une impression de pur bonheur après son écoute, comme un léger parfum qui flotte dans l’air et qui ne rappelle que de doux et agréables souvenirs.
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