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mercredi 15 avril 2015
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par Sylvain Golvet le 8 août 2012
Sortie le 17 juillet 2012 (Relapse)
“On dirait du Nickleback.”
“Ça manque de gras.”
Voilà ce qu’on récolte quand on veut innover. Certains fans de Baroness (et de metal en général) sont souvent de vils réactionnaires quand on vient à bousculer ses certitudes. Et quand son groupe préféré part s’éloigner de son pré carré, c’est la pureté même du metal qui est en jeu.
La première écoute est indéniablement difficile. Le groupe a eu la mauvaise idée de dévoiler avant la sortie de l’album trois morceaux parmi les meilleurs et les plus percutants (Take My Bones Away en tête), nous laissant dans une attente trompeuse. On est ainsi balancé entre Yellow, un premier disque assez musclé mais tout de même très pop, allant au fond de certaines expérimentations latentes sur les précédents. Et puis arrive Green, moins varié et plus relâché, plus léger aussi et porté sur les ballades quasi électro. Mais ça serait une erreur d’en rester là, à ces impressions souvent déceptives en cas d’attente excessive. Quoi qu’il arrive, on le sent déjà, ces deux disques ont du potentiel et risquent de bien mûrir à l’oreille.
Déjà, on ne sent pas de facilités à l’écriture. Les morceaux sont denses, variés. Plus encore, il n’y a quasiment aucun morceau qui ne soit pas “progressif”, dans le sens où leur évolution ne suit pas la trame pop habituelle. Take My Bones Away est exemplaire pour cela, avec ses pauses, ses relances, son solo-pont qui ne semble pas s’arrêter de monter, ses changements de rythmes. Certaines sonorités électroniques font même leurs apparitions au cours du morceau. C’est à peu près le cas pour chacun des meilleurs morceaux de ce diptyque : March To The Sea, Sea Lungs, Eula, Psalms Alive, etc. Le séquençage est plutôt bien pensé lui aussi. On sent une volonté d’articuler son discours, d’alterner les rythmes et les ambiances (les intermèdes Twinkler, ou les Yellow et Green Theme, plus tout un tas de textures sonores qui parcourent les fins de pistes). Ça respire même si ce n’est pas toujours réussi, surtout quand l’enchaînement de trois morceaux pas toujours passionnants (MTNS. (The Crown & Anchor) - Foolsong - Collapse) donne une impression de surplace à la face Green.
Sur ces bases-là, la technique paraît forcément moins mise en avant que s’ils avaient enchaîné les riffs termonucléaires. Quoiqu’il leur arrive d’envoyer la sauce quand il faut, mais jamais dans la facilité. Par exemple, le solo de Little Things est l’alliance parfaite d’un savoir faire technique, sonore (son arrivée est d’autant surprenante qu’on ne s’attend pas à ce son) et d’écriture. Et rien que pour offrir l’occasion d’écouter un tel travail sur la basse, ils ne peuvent qu’êtres remerciés. Surtout, l’ensemble est très vocal, en tout cas bien plus qu’un album de metal basique. La prise de risque est là, plus encore que dans certaines idées dont on percevait la présence dans les opus précédents (le beat dico de Little Things par exemple). John Baizley a voulu laisser tomber les cris et les growls pour proposer une belle variété de chant, mais aussi de jouer avec les harmonies (Twinkler, Cocainium). En comparant ses prestations sur Back Where I Belong et Eula, on peut se faire une bonne idée du travail de variété que le groupe a voulu tenter.
Le disque est de toute façon un pari. Les accuser d’opportunisme parait complètement hors de propos et relève d’une certaine fainéantise intellectuelle. Au fil des interviews, on sent bien que le groupe n’envisage jamais sa musique comme étant metal ou pas metal. Ces distinctions sont inopérantes, l’impression est plutôt celle d’un groupe qui se laisse porter par ses progrès techniques et ses envies. Esthétiquement ou musicalement, on sait bien que ces musiciens sont plutôt portés sur la cohérence de ses ambiances et de ses concepts. Quelqu’un comme John Baizley se révèle en interview d’un sincérité inattaquable, laissant apparaître une personnalité très sensible, très artistique [1] mais c’est aussi un gros bosseur, chose valable pour l’ensemble du groupe. Le fait de proposer ce rock puissant et mélodique (car est-ce encore du metal ?) révèle quoi qu’il arrive une progression volontaire et cohérente dans leur parcours et des heures de travail acharné.
Et plus que tout, les accuser d’être dans une approche plus commerciale est on ne peut plus absurde. Stratégiquement, ce serait prendre le risque de s’aliéner un public qui croit vous connaître par cœur (la preuve), et musicalement c’est le risque de se lancer dans des sonorités qu’ils ne maîtrisent pas forcément, c’est prendre le risque de se planter, qui plus est avec un double album. John Baizley et ses sbires en sont très conscients, mais pour eux il est plus important de ne pas faire du surplace. Que le pari ne satisfasse pas tous les goûts n’est pas vraiment la question.
Et finalement, même sans adorer l’intégralité des deux disques, force est de constater que le tout exerce un pouvoir d’envoûtement inédit : il n’y a pas un jour où je ne l’écoute pas, tout en attendant la suite avec impatience.
[1] C’est un graphiste hors pair, cf. son site aperfectmonster.com)
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