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par Antoine Verley le 24 novembre 2009
Paru en octobre 1973 (MCA Records)
Typique du rockeur intoxiqué par l’intelligentsia sixties : "Baaah, ces synthés, qu’est-ce qu’ils foutent là ? C’est pas du rock ça ! C’est les années 80, c’est le Rock FM, mec !" Ouaip. A peine assommé de poncifs, le gamin. Les dits synthés ne sont pas toujours voués à rendre une chanson clinquante et saturée de platform gloss pelle à tarte à pattes d’eph ! Leur simple évocation est cependant pour certains un argument pertinent pour descendre un album : "Je n’aime pas cet album, trop de synthés." Trop de guitares, aussi ? Comme si une oeuvre, quelle qu’elle soit, devait invariablement avoir pour but de brosser l’auditeur dans le sens du poil ("plus long, le solo, moins saturé ce couplet, et alourdis la basse... Lààààà, ça va mieuuuux...") et de se plier à ses désirs ! L’histoire de la chose Rock l’a prouvé, un synthé bien utilisé est parfois vecteur d’innovation, de transmission inédite de sensations et d’idées là où les paroles sont impuissantes : Zeit, Low, Messe pour le temps présent, Dark Side Of The Moon pour ceux qui connaissent, et, donc, le double album Quadrophenia.
Ce qui n’est, le casse-gueule projet Lifehouse s’étant finalement nommé Who’s Next, que le deuxième opéra-rock (si, si) des britons aux amphés a donc pour adjuvants mésestimés les synthétiseurs. Ce qui aura pour conséquence, en plus du vieillissement tentaculaire du son, de faire grincer des dents les zoïles théoriciens du "less is more" forcené, et appliqué à tout, tout, tout sans exception... Le nasique compositeur de la bête serait donc un "tricheur", à ne plus savoir transmettre ses émotions sans recours au Rock minimaliste ?
So What ? poufferait tonton Miles. En effet, le contenu n’en est-il pas le même ? A une époque où l’on se prosterne devant le fade crétinisme de groupes comme Black Flag, le célèbre "on" que tout rock-critic pas avisé prend toujours à parti pourrait au moins faire un effort dans l’autre sens !
Comme pour tout opéra, un (bref) pitch s’impose. Jimmy, jeune Mod-en-révolte-contre-ses-parents-et-l’ordre-établi (The Real Me), cliché absolu (Cut My Hair), est éboueur (The Dirty Jobs) et acquiert dans ce métier une sévère haine du capitalisme. Dix ans passent, les mods ne sont plus, Jimmy, seul (I’ve Had Enough), court à Brighton (5.15) pour y retrouver son passé, mais rencontre l’Ace Face [1] devenu groom dans un hôtel de luxe (Bell Boy). Jimmy ne croit alors plus en rien, est tenté par le suicide (The Rock), mais trouve, gnagnagna, dans la beauté de la pluie qui tombe, un nouveau réconfort (Love, Reign O’er Me).
Tout cela est, outre une énième vision "plutôt bien sentie" du dur passage à l’âge adulte, un prétexte. Pour quoi ? Pour une oeuvre narcissique, une introspection des Who. Parce que, pour arranger l’histoire, le bonhomme est Quadrophène, mignon néologisme pour dire que sa personnalité est divisée en quatre, chacune représentée par un thème musical, un leitmotiv récurrent dans l’opéra. Celui de Townshend étant, on s’en doutait un peu vu les chevilles que le bonhomme avait prises depuis 69, Love Reign O’Er Me, final pompeux à outrance.
Mais l’analyse des arrangements de Quadrophenia offre tout de même un boulot monstre. Qui, outre Townshend, propulserait des cuivres synthétisés (lui-même les savait périssables) pour rendre une atmosphère puante (The Dirty Jobs) voire grotesque (Bell Boy, avec un chant de Keith Moon à vous équarrir les esgourdes) ? La maîtrise du mix stéréo résonne parfois dans la tête de l’auditeur, avec, sur Helpless Dancer, des vers presque slammés balancés sur une enceinte, puis l’autre, ad lib, amers, mortifères, saturés de morgue boutonneuse. Des pianos fleuves engloutis de grattes forcenées (Drowned) aux choucroutes pompeuses (I’ve Had Enough, pièce progressive s’il en est une), en passant par de multiples instrumentaux, les compositions de Townshend gagnent toujours en ambition. Est-ce un mal ? C’est un autre débat...
Et les autres ? Si Noel Gallagher définissait les Who comme un groupe à "quatre leaders", il y a bien une raison ? Certes. Commençons par le commencement, c’est à dire le cofondateur du groupe, Entwistle. Ses lignes forcenées crèvent, comme d’hab, tous les plafonds et vont parfois même jusqu’à supplanter leur collègue à 6 cordes (les montées-descentes affolantes de The Real Me...) On en arrive au hurleur de rythm’n’blues que fut Daltrey, se métamorphosera-t-il en hululeur prog suraigu à la Jon Anderson (Yes) ? Que nenni, les Who ne vont pas jusqu’à se payer votre tête ! Son chant n’a pas (encore) changé. C’est tout pour lui ? Oui. Quand à Moon, c’est simple, il n’a "jamais aussi bien travaillé", dit Townshend. Coup marketing ? Pas seulement. Son jeu évolue clairement : de nouveaux éléments aparaissent, cloches, tam-tams (I’ve Had Enough) utilisés avec une science qu’on ne lui savait pas. Sans être scolaire, le lourdeur de fûts gagne également en précision et en technique, même si le prix à payer est une légère perte de puissance. Moindre mal, me direz-vous, puisqu’après cette dernière saillie, le quartet a pris la ferme décision de cesser de faire de bons albums.
[1] Leader de groupes de mods dans des virées au cours desquelles ils cassaient la gueule à des rockers sur la plage.
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