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par Psychedd le 6 janvier 2009
paru le 3 décembre 1966 (Reaction)
Avec My Generation paru un an auparavant, les Who avaient tapé fort, très fort (remarquez qu’avec un batteur comme Keith Moon, ils n’avaient pas trop le choix !). En faisant un « Maximun R&B », pêchu, sauvage et violent, comme en témoignent les massacres d’instruments à chaque concert, le groupe s’est imposé comme une tête de file du mouvement mod (pour « modernist »), au même titre que les Small Faces ou les Kinks... Mais 1966 n’est pas qu’une année rock : c’est surtout et avant tout une année pop. Entre le Swingin’ London qui bat son plein et des chefs-d’œuvre qui sortent comme Revolver ou Pet Sounds, les Who vont un peu suivre le mouvement. Plus pop oui, mais pas plus mous pour autant. Les Who sont des gueudins et ils comptent bien le rester...
A Quick One, c’est un peu l’album de toutes les nouveautés : plus pop donc, plus rigolo, plus cohérent (pour certains, les Who était un groupe qui faisait des 45 T à ses débuts. C’est maintenant un groupe qui fait des albums, la nuance est d’importance...), plus divers aussi. À cela une raison principale : chaque membre du groupe a mis la main à la pâte et y va de sa (ou ses) composition(s). Pourquoi ce regain d’activité ? Le fric... En effet, leur manager, Chris Stamp, a réussi à obtenir une avance de 500 livres pour chacun d’eux, à condition qu’ils écrivent chacun au moins une chanson. Roger Daltrey ne manque pas l’occasion et écrit une seule composition, qui va lui permettre de s’offrir une belle voiture (que l’on voit beaucoup dans le livret du CD, il semble que ce détail soit d’importance !). Keith Moon s’y colle pour deux chansons, Pete Townshend, comme à son habitude, n’a même pas besoin d’avance pour écrire de véritables tubes. La vraie surprise vient d’Entwistle qui non content d’en pondre un petit paquet, va en plus offrir au groupe certains classiques joués en live pendant des années.
Alors bien sûr, pour de nombreuses personnes, ce foisonnement d’idées et d’influences ainsi que le simple fait que cet album soit le moins dominé par Townshend, le rend moins bon. C’est, hélas, rejeter la grande force créative et l’énergie qui caractérisent ce disque. Car dès le début, le ton est donné : les Who sont là pour vous faire passer du sacré bon temps avec Run Run Run, Pete reste dans ce qu’il sait mieux faire : un morceau efficace, une ouverture idéale avec guitare bien crade et agressive qui réveille direct. On n’écoute pas les Who vautré dans son canapé. On est obligé de remuer au moins un pied en rythme (Maximum Rythm & Blues !).
S’en suit un morceau bien étrange, le premier qu’Entwistle ait écrit pour le groupe : Boris The Spider, l’histoire étonnante de Boris l’araignée, petite chose noire, velue, rampante et grouillante qui va finir collée à un bouquin. Maintenant, on peut se dire que c’est tout de même une drôle d’idée que d’écrire sur ce sujet... Il semblerait en fait que Boris soit née après une discussion bien arrosée avec le bassiste des Stones, Bill Wyman, les deux compères se marrant en cherchant des noms rigolos pour des animaux (René l’opossum ça ferait une bonne chanson ?). Il n’empêche que l’araignée de John a eu une vie extrêmement longue, puisque c’est l’un des seuls morceaux que les Who aient joué durant toute leur carrière. Et ça, c’est fort pour un premier essai.
Surtout si on le compare à I Need You, qui dans le fond n’est pas une mauvaise chanson. Au contraire même, elle est pleine de l’enthousiasme de Keith (qui l’a donc écrite) et résulte au final d’un travail en commun de tout le groupe : le batteur fou tout content est arrivé avec des fragments de paroles et a apparemment été aidé par tous les autres membres pour la finir. D’après Chris Stamp, ce n’est pas une chanson d’amour. C’est une chanson qui parle d’un club branché de Londres dans lequel Moon adorait aller faire la fête avec ses Beatles d’amis. Mais ce ne sont ni les paroles, ni le thème qu’il faut admirer : c’est bien le jeu survolté de ce petit prodige qui semble taper partout à la fois sur les fûts.
Il semblerait que la première face soit surtout consacrée à Entwistle et Moon, puisque après I Need You, on enchaîne sur une autre chanson écrite par le bassiste. Toujours très drôle, voire cynique (un peu comme son auteur), Whiskey Man, c’est surtout un grand drame humain : « J’ai toujours eu des problèmes pour chanter mes r, j’ai donc doublé ma voix. Sur une piste, j’ai chanté “fwend”, sur l’autre “flend”, en espérant que les deux réunies deviendraient “friend”. » Euh... Raté...
Et pour enchaîner en beauté, un Heatwave diabolique, reprise plus qu’efficace de Martha and The Vandellas. Un véritable petit joyau absolument irrésistible.
Vite soufflé par la surprenante Cobwebs And Strange, l’OVNI du disque, la folie furieuse de Keith Moon en direct dans nos petites oreilles. Chris Stamp se rappelle d’une ambiance « d’intense chaos créatif : des micros dans la salle de bain pour obtenir de l’écho, les membres du groupe marchant en rond dans les studios, soufflant, frappant, tapant sur tout ce qui leur tombait sous la main (...), ou sortant même dans la rue avant de revenir pendant que tout était enregistré. ». À vrai dire, c’est extrêmement drôle, du grand n’importe quoi à l’état brut. En tout cas, il me suffit d’imaginer Pete souffler dans une petite flûte à piston pour me marrer (mais je suis bon public). Encore plus fort, on passe de l’orchestre de baloche (trompette et trombone à l’appui) au groupe de ska (ah ! ce petit rythme de guitare après le premier coup de nerfs de Moon), avant d’arriver au big band de jazz de la Nouvelle Orléans (avec beaucoup d’imagination vous l’entendrez aussi...) et au final, on a l’impression d’entendre un truc punk sur trois accords joués à toute berzingue. Et Keith Moon de crasher sur les cymbales comme une brute épaisse psychopathe (mais combien avait-il de bras ?). Ça aussi, ça vous secoue et ça vous réveille efficacement ! Sur le vinyle original, il s’agit de la dernière chanson de la première face. Sur le CD, on enchaîne direct avec Don’t Look Away qui pour la peine passe un peu à la trappe à cause de ça. On doit bien avouer que, de toute manière, on est loin de ce que sait faire de mieux Townshend, mais ça reste ultra efficace et le niveau reste bien haut.
Arrive l’unique morceau de Roger, See My Way, à propos duquel, le chanteur avoue qu’il n’est pas content du son : il a demandé à Keith de jouer dans le style du batteur des Crickets de Buddy Holly, mais ce fut peine perdue. Quand il tape, il tape et c’est tout (de toute manière, il semble que le jeu favori du batteur était de faire tourner Daltrey en bourrique dès que possible). Et pour pousser encore plus le délire, lui et Entwistle se sont éclatés à aller jusqu’à aller chercher des cartons dehors pour pouvoir jouer dessus. Une bonne chanson donc, mais qui n’a pas eu la pérennité de la suivante, So Sad About Us, l’une des chansons les plus reprises du groupe (notoirement par Shaun Cassidy, Primal Scream, The Breeders et The Jam).
Mais voilà, la seconde partie du disque, c’est surtout le morceau titre A Quick One While He’s Away, le premier mini rock-opéra de l’histoire, un parent de Tommy selon Pete qui en est particulièrement fier. 9 minutes, c’est dire si c’est long pour un morceau de 1966 (et surtout pour les Who plus habitués au format standard, soit 3 minutes grand maximum). A Quick One..., c’est avant tout plusieurs fragments de chansons (six au total) réunis en une seule avant d’être une chanson qui raconte une histoire précise... Mais quelle histoire ! Une femme esseulée attend son mari qui est parti depuis un an, mais ce dernier n’arrive toujours pas. Madame est triste et oublie son chagrin dans les bras d’Ivor le camionneur (un sacré coquin !). Et pendant ce temps là, Monsieur rentre tranquilou, tout content de retrouver sa douce et tendre. Quand on en arrive aux retrouvailles tant attendues, la femme avoue tout, à demis mots :
« I missed you and I must admitI kissed a few and once did sitOn Ivor the Engine Driver’s lapAnd later with him, had a nap »
Une sieste, ouais c’est ça... Mais dans sa grandeur, le pauvre mari décide de pardonner tout et à tout le monde. Pete devait prendre pas mal d’acide à l’époque car ça sent la paix et l’amour tout ça (alors que dans Tommy, il n’hésite pas à tuer l’amant...).
Non seulement c’est un morceau ambitieux et complètement nouveau, mais il est vite devenu un moment fort des live (rien que dans le Rock & Roll Circus des Stones, les Who mettent le feu avec et volent la vedette à tout le monde). Et sa conception possède une anecdote plutôt marrante dont se souvient John : « Nous voulions mettre des violoncelles (« cello »-NdA) sur la chansons, mais Kit Lambert (le producteur- NdA) nous a dit que nous ne pouvions pas nous les payer. C’est pour cela que nous chantons “cello, cello, cello, cello,... ” où nous pensions qu’ils devaient être. ». Et au final, c’est bien mieux comme ça !
Et, tout comme il a commencé, le disque s’achève de manière explosive et on en ressort tout content. Un album des Who, ça défoule, ça vide, ça fait un bien fou... Pour qui sait l’apprécier.
Car non seulement A Quick One n’est pas forcément l’album favori des fans, mais il a en plus été complètement modifié pour les USA. La maison de disques américaine fut en effet choquée par le titre à double sens de l’album (du sexe ? beuark...) et, pour être sûre de bien le vendre, a préféré virer Heatwave au profit de leur (petit) tube Outre-Atlantique Happy Jack, donnant même ce nom au disque. Sacrés Américains, toujours le mot pour rire !
Quoiqu’il en soit, A Quick One mérite une attention particulière car c’est peut-être le seul album des Who qui soit véritablement un travail de groupe, avant que Pete ne fasse son mégalo de service et ne prenne les rennes pour de bon. Il est aussi une bonne transition vers le carrément psyché et encore plus délirant Sell Out et bien sûr une première plongée vers Tommy ou Quadrophenia. Il y a également une autre raison pour se procurer d’urgence le CD : la réédition est tout simplement hallucinante. Le livret est complet, on y apprend pleins de choses (pratique pour écrire un article), les photos sont somptueuses (Ah ! La Volvo de Roger ! Oh ! La tête à claques de Keith !) et, cerise sur le gâteau, le EP Ready Steady Who !, originellement sorti en décembre 1966 et contenant des faces B ainsi que des reprises inédites (Barbara Ann et le générique de Batman, à se rouler par terre de rire), a été ajouté à la suite de l’album original.
Encore un bon moyen de se rappeler que les Who furent parmi les meilleurs de cette époque et qu’ils resteront parmi les meilleurs à tout jamais !
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