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par Oh ! Deborah le 20 avril 2009
Paru en 1970 (Track Records) - Concert enregistré le 14 février 1970 à Leeds.
A la question rébarbative qui consiste à choisir entre les Stones et les Beatles, je réponds, comme beaucoup sans doute, les Who ! Groupe qui se caractérise par de multiples témoignages bouleversés (issus du public comme des critiques) selon lesquels il était le meilleur groupe live. Groupe qui se caractérise également par une sensibilité à la fois explicite et pudique, contenue dans l’âme de Pete Townshend, suscitant la tendance de ses fans à aimer les Who pour toujours. Comme un pacte adolescent. Parce qu’en plus d’être une véritable machine de rock’n’roll volcanique, la musique des Who regorge de sentiments, et symbolise au mieux l’amertume, la colère mais aussi le courage, l’espoir, les complexes et la tendresse adolescent(e)s. Un groupe dont l’histoire est parsemée de chansons singulièrement personnelles, d’anecdotes toutes plus croustillantes les unes que les autres et dont les membres constituent quatre personnalités fortes et complémentaires. Une force infernale, chaotique, complètement unique, qui fait des Who l’un des groupes les plus intenses et les plus attachants de l’histoire du rock.
Et en tout cas un des plus novateurs... Exerçant très tôt (dès 1961) du rock’n’roll et du rythm’n’blues, ils inspirent les groupes garage américains, avant d’être, avec les Kinks à la même époque, les premiers à créer l’identité du rock à l’anglaise, c’est à dire complété par des harmonies plus développées et des textes plus littéraires. Le style des Who naît donc très tôt puisqu’il mélange d’emblée une violence inédite et physique (incluant la maltraitance de leur matériel bien sûr) comme sonore (ayant la palme du groupe jouant le plus fort à l’époque), avec une sensibilité mélodique directement perçue dans leur premier single (I Can’t Explain, 1965) et d’autant plus notables dans leurs albums plutôt conceptuels comme Sell Out (1967). Avec le caractère violent de Townshend et son utilisation précoce de power chords, vibratos, larsens et reverbs, les Who seront les premiers punks pour les uns, les pionniers du hard-rock pour les autres et les créateurs du deuxième opéra-rock de l’histoire (les Pretty Things les ayant devancés) grâce à Tommy (1969) qui tranche et étonne par sa production plus lisse et sa structure inspirée de la musique classique. Entre temps, ils ne cessent de tourner et de fasciner leur public. Les concerts les plus fameux étant notamment le festival de Monterey en 1967, de Wootstock en 1969 et ceux de l’ile de wight (1969 et 1970). Comme si les Who voulaient mettre une claque à Tommy, ils promeuvent l’album à coup de riffs ravageurs en concert, remplaçant les parties acoustiques ou les instruments additionnels par une guitare harassante et jouant la quasi-intégralité du disque située entre des reprises rock’n’roll (notamment le Summertime Blues d’Eddie Cochran ou le Shakin’ All Over de Johnny Kidd) et les plus grands tubes pop-rock et sixties des Who (I Can’t Explain, Substitute ou Happy Jack), ponctués par la célèbre version longue de My Generation. La tournée de Tommy ayant été enregistrée, les Who n’avaient alors jamais publié d’albums live et, compte tenu de leur réputation scénique qualifiée un peu partout de monumentale, ils tenaient à y remédier. Plutôt que de choisir parmi ces multiples enregistrements, ils décident de les brûler (hmmm...) afin d’empêcher le piratage, et d’ajouter deux dates (aux set-lists identiques à celle pré-citée) : le 14 février 1970 à Leeds et le 15 à Hull. Parmi elles donc, il faudra choisir. Ce sera le Live At Leeds tel qu’il est tamponné sur cette pochette minimaliste (en contraste avec les pochettes surchargées de l’époque), comme pour imiter les bootlegs, accompagnée d’un poster du groupe.
Et quel concert, évidemment. Le vinyle original proposa six pistes traumatisantes dont Young Man Blues (reprise de Mose Allison) qui met KO dès l’ouverture. Dès lors, l’album prend la forme d’une bourrasque protéiforme et mise en oeuvre par les solos fulminants d’un bassiste (allias "Thunderfingers") hors-catégorie mais issu du jazz, le jeu polyrythmique et fracassant de "Moon The Loon", la voix gutturale de Daltrey et le jeu mi-riff mi-arpège de Townshend, qui font des Who un groupe tout bonnement inclassable tant leur style est personnel. Chacun voulant, de façon urgente et avec un son démoniaque, prendre le pas sur l’autre. Sur ces six morceaux : un son aussi heavy que pouvait l’avoir Led Zeppelin et une tendance assez hendrixienne finalement (ce dernier ayant lui même été inspiré par Townshend à la suite d’un concert londonien quelques années plus tôt.) Se distingue alors Substitute par son essence plus pop, malgré une rythmique toujours lourde et rapide. Le son est tellement distinct que la rumeur veut que le live ait été en réalité enregistré dans les studios de Polydor mais ça n’a jamais été prouvé, et quoi qu’il en soit, il est encore aujourd’hui classé Best live of all the time partout dans la presse. L’album est remastérisé en 1995 et agrémenté d’autres morceaux plus pop (issues du même concert bien sûr) telles qu’ Happy Jack alternant superbes parties vocales (aah les choeurs des Who !) et brouhaha jubilatoire, ou encore la magnifique I’m A Boy qui démontrent la capacité des Who à transformer des chansons pop en catastrophes nucléaires sans pour autant altérer leur beauté mélodique. Comme si c’était inné. Seule Tatoo arrive à freiner (un peu) ses élans de frénésie, comme en atteste la batterie qui dissimule ses précipitations, et, tout assommés que nous sommes par le boucan général, on profite de cette légèrité, pour s’inviter à cette brève méditation mélancolique. Le Live At Leeds fait alors preuve d’une violence émotionnelle rare, d’une décadence clairement orchestrée, avec toujours ces quinze minutes de My Generation qui tourne en medley, passant brièvement par un See Me, Feel Me déchirant, qui évolue vers Listening To You et tourbillonne vers des sphères hard-rock bruyantes et palpitantes (d’où on entend les riffs de Naked Eye). Parce que la musique des Who, est, par essence et comme chacun sait, perpétuellement imprévisible, et en quelque sorte, libre, totalement. Mais toujours sur le fil. Aussi forte que fragile, sa rythmique semble parfois fléchir dans un désordre où chacun va vers ce vers quoi il tend spontanément, mais toujours elle se redresse au coeur d’une alchimie solide et enivrante.
Cette impression de désinvolture, de désillusion mêlée d’innocence et ce besoin de liberté, sont même incroyablement transcendants chez les Who, particulièrement dans l’oeuvre tragique de Tommy, et d’autant plus dans le cadre violent de leurs concerts-défouloires durant lesquels ils déversaient cette liberté comme personne d’autre. Et de toute évidence, à l’écoute d’Amazing Journey/Sparks (mon moment préféré de Live At Leeds), le besoin de s’exprimer est immense chez le compositeur dont la timidité était maladive, avec des thèmes vocaux et instrumentaux où se succèdent révolte et mélancolie, espoir et rage de vaincre, une variation de sentiments qui tour à tour raconte une histoire dans laquelle Tommy voyage dans son propre esprit. L’imagination de Townshend, son jeu en demi-teinte, ses fameuses notes atmosphériques et moroses placées au bon moment avant que basse et guitare se doublent dans un chaos de reverbs lourdes. Comme on l’a souvent entendu, à défaut de démontrer une technicité irréprochable, Townshend maniait un jeu tout en couleurs, riche, imaginatif et fin, très prononcé bien qu’instable sur scène. Aussi quand la dernière note d’Amazing Journey rententit, une question intervient : comment passer à autre chose ?
L’édition deluxe de 2001 propose le concert intégral avec donc Tommy en live sur un deuxième CD. Ce qui a naturellement pour conséquence de renforcer le caractère incontournable de cet album, qui, plus qu’un témoigagne du danger des Who sur scène, est un manifeste de rock pur, et donc absolu.
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# Le 17 décembre 2012 à 02:02, par Jacques Saafer En réponse à : Live At Leeds
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