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par Psymanu le 2 janvier 2007
paru en août 1978 (Polydor)
En 1978, les Who sortent d’un relatif silence long de trois ans. Il faut dire qu’au sortir de Who By Numbers, les relations entre les quatre anciens mods se sont salement détériorées, et que le besoin d’une pause se faisait plus que pressant. Mais trois ans, c’est long, ça laisse pas mal d’eau couler sous les ponts, et si l’on n’y prend pas garde, ça transforme même les plus novateurs en "has been" absolus.
Who Are You a ceci de particulier qu’il demeure le dernier album des Who. Des vrais Who, je veux dire, ceux du début, Townshend, Daltrey, Entwistle et Moon. Et il est fascinant. Oh, pas par sa qualité, non. Plutôt parce qu’il est le témoignage musical d’une déchéance, ce charme morbide qui, quoi qu’à une autre échelle, fait des disques des Syd Barrett et consort des objets cultes pour ce qu’ils disent de l’état de ceux qui les ont commis. Who Are You, c’est l’oeuvre de quatre mecs qui courent après le temps, perdus dans une époque qui n’en peut plus de se tordre de rire devant les "dinosaures" boursoufflés que sont devenus les Led Zeppelin par exemple, et qui à force de s’écouter jouer sont devenus sourds aux attentes d’une génération qui n’est de toute façon même plus la leur. Les Who, à la limite, les punks pouvaient encore leur pardonner. Parce que My Generation, les instruments cassés sur scène, pour le joyeux bordel de leur musique, tout du moins à leur début. N’empêche qu’ils sont vexés, et qu’ils sont soucieux de montrer que bon sang, ça n’est tout de même pas une bande de freluquets hirsutes, épingles dans le nez et fringues en lambeaux, qui leur fera la leçon sur un rock qu’ils ont largement participé à inventer. "Who are you ?", genre "non mais, vous savez à qui vous parlez, les mioches ?" Ils ne demandaient qu’à savoir. Oui mais...
Dès New Song, le combat est perdu. Les 80’s arrivent, déjà, et le synthé n’en finit plus de s’incruster, lui et sa froideur, sa laideur, sa facilité, et l’illusion de profondeur qu’il donne à entendre, le pire étant qu’à l’époque tout le monde croit qu’il est l’avenir, ce con-là. Il le sera, ceci dit, avant que la fin de cette vilaine décennie ne s’emploie à nous souffler dans les oreilles à coup de Pixies, puis à coup de grunge, pour en expulser les croutes mielleuses. Il faut mettre Had Enough, aussi, dans ce triste pannier, ce semi prog-rock tout moche, mou du genou. "Who are you ?", en fait, c’est la question qu’on voudrait poser au gras double assis à la batterie. Qui il fut, ça on le sait. Keith Moon, un mec avec deux bâtons de dynamite à la place des bras, un feu d’artifice humain, ce son pétillant, puis roulant, puis tout à la fois parce que de toute façon, c’est comme s’il avait quatre bras, Moony. Sauf qu’ici, il n’est plus personne. Plus rien. Tout au plus une boîte à rythme un peu perfectionnée. Doit-on revenir sur tout ce que la légende a déjà imprimé sur le sujet ?
Son "problème" avec l’alcool, ses larmes lorsqu’en studio il se retrouve tellement infoutu de tenir la cadence que Townshend vire carrément sa partie ? Doit-on préciser à nouveau qu’à ce stade du disque, il n’en a déjà plus que pour quelques jours ? Oui. Parce que, comme je l’ai dit, c’est de cet aspect pré-morbide que le disque tire sa force, c’est là qu’il y puise son émotion, parce que malgré les atours chatoyants de certaines mélodies, Sister Disco notamment et son clavier rigolo, il y a du désespoir dans Who Are You, c’est son contexte, les difficultés de son accouchement, qui le rendent écoutable. Et puis il y a quand même une poignée de chansons tout à fait potable, quoi qu’au son rendu un brin ringard par une production telle qu’on ne la fait Dieu merci plus aujourd’hui. Daltrey place sa voix de façon plus agressive que jamais, toujours avec ce côté "no feeling", froid, qu’on lui connait depuis ses débuts. Daltrey, c’est un feulement, une abrasion, pas une émotion.
Celui qui se donne un peu de mal, aussi, pour donner du jus à l’ensemble, c’est Entwistle. Il y a de la joie dans sa basse, l’envie d’oublier les jérémiades errantes de Who By Numbers, les Who ça doit filer la patate, c’est ça, qu’on leur demande, plus que tout autre chose, et lui l’a aussi bien compris que Townshend. Sur Guitar And Pen, on n’entend que lui, ça met de la chaleur dans la tragédie humaine que constitue ce disque et son contexte. Mais le meilleur, il est pour la fin. Un morceau intemporel, qui aujourd’hui encore ouvre une voie royale à chaque épisode d’une série télévisée qui pousse le bon goût jusqu’à l’utiliser comme générique. Who Are You, c’est son titre, et celui de l’album, comme pour signifier que si l’on ne devait retenir qu’une seule chose de cet effort, ce serait ces six minutes-là. Six minutes et des poussières durant lesquelles on reconnait presque Keith Moon, d’ailleurs, son baroud d’honneur, en somme. Avant de plier bagage, direction la Légende.
Who Are You aurait pu, aurait dû, être le point final de la carrière collective de leurs auteurs. Le reste n’est qu’anecdote, albums moyens et reformations pour le fun. Moon s’est barré avec les clés de la bagnole, les Who n’iront plus nulle part. On a vu des adieux plus flamboyants, on en a vu des plus pathétiques. Ils sortent sur un disque honnête, sans génie, sans magie, mais sans rien dont ils puissent avoir honte aujourd’hui.
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