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Heritage

Heritage

Opeth

par HenriDèsMetal le 21 octobre 2011

3,5

paru le 14 septembre 2011 (Roadrunner/Warner)

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Votre serviteur est un chroniqueur zelé et courageux, ne vous y trompez pas. Nonobstant ce professionnalisme exemplaire, je concède volontiers qu’aborder la chronique de cet album m’a demandé des efforts inhabituels (avancées, reculs, tâtonnements, crises de larmes, quasi-renoncement et enfin réécoutes besogneuses jusqu’aux premiers vomissements) parce qu’il s’agit de l’un de ces skeuds casse-gueule qui douche un peu aux premières écoutes, mais dont on sent paradoxalement sur le champ qu’on pourrait bien déclarer en soirée 6 mois plus tard qu’il s’agit du meilleur travail du groupe, tout ça sur un ton péremptoire et en adoptant une attitude intransigeante à laquelle personne, et je dis bien personne, ne viendrait se frotter. Opeth, donc, et ce n’est pas la première fois (remember l’accalmie Damnation, en cette chaude année 2003), casse la routine, s’aliène une partie de ses fans et cette fois-ci, décide d’assumer comme jamais son héritage - oué, au cas où la pochette aurait pas suffi (le coup des têtes d’anciens membres tombées de l’arbre, sans déconner, fallait oser), le contenu vient définitivement expliciter le titre.

Finis les growls de pépère, terminée l’agression de masse, en veilleuse les blast-beats inhumains. On conserve en revanche la logique d’éclatement des compos et des riffs (plus que jamais, même), et on passe ça à la sauce prog-rock 60’s-70’s, voire jazz-fusion, d’après les déclarations de pépère.

A ce stade, on n’est pas loin de l’album concept (au sens musical du terme, puisque dans son acception la plus usitée cette expression galvaudée s’il en est ne veut plus rien dire depuis longtemps), ou en tout cas de l’exercice de style. Le tranquille Mikael Åkerfeldt, lui, n’en déclare pas moins qu’il s’agit là d’un processus naturel pour le groupe, qui n’a à aucun moment décidé d’arrêter de faire du métal guerrier, mais s’est simplement contenté de suivre sa voie et de, enfin, pleinement laisser parler ses influences. Ce genre de conneries qu’on raconte en promo, quoi.

Mais enfin Mikael, dis-le, que tu jubiles en imaginant la tronche des chevelus bornés, gras et ingrâts qui forment la frange la plus caricaturale de ton public ! Moi je ne t’en veux pas, au contraire. Il est évident qu’un album de plus à l’ancienne n’était pas utile, puisque plus jamais tu n’atteindras le niveau de Blackwater Park. Et que continuer à faire des Ghost Reveries ou des Watershed jusqu’à épuisement n’est ni le genre de la maison, ni quelquechose de souhaitable. Entendons-nous bien : ces deux albums sont excellents, mais ce n’était pas ce que tu as fait de mieux. Là, tu viens de trancher définitivement, tu fais ce que tu veux et tu as bien raison.

Voilà pour la démarche - qui a son importance, quand on parle d’un groupe avec les capacités techniques et la carrière d’Opeth, partant du principe que ces types peuvent à peu près tout jouer. Maintenant, causons du résultat.

Eh bien, disons qu’il est contrasté, mais toujours digne et intéressant. Rien de honteux, de fondamentalement raté à déplorer. Juste quelques longueurs, quelques égarements et pertes de gnaque pas bien méchants mais qui mis bout à bout aboutissent à l’album le moins intense de la discographie d’Opeth. Les éclairs d’inspiration et les emballements instrumentaux sont relativement stupéfiants, mais largement dilués dans un album qui joue sur les ambiances, les longueurs et les décrochages comme jamais nos suédois ne l’avaient fait. C’est cette notion de contraste qui frappe réellement, j’insiste, et quelquepart cela a toujours été le cas chez Opeth, mais tout restait d’une densité terrifiante. Ce contraste se faisait essentiellement sur la dualité électrique/acoustique. Là, écoutez Famine ou Haxprocess et vous comprendrez à quel point Åkerfeldt a dû forcer sa nature pour laisser respirer (voire s’hyperventiler) ses compos, jusqu’à y insérer d’insensés silence pour un groupe possédant un tel bagage technique et une habitude, il faut bien le dire, d’en mettre toujours un peu de trop.

Certaines parties sonnent très jazzy, et là on ne peut s’empêcher de penser que si le « nouveau » batteur (Martin Axenrot, intégré au groupe depuis Watershed en 2008 et ici beaucoup plus subtil que sa réputation de brute épaisse ne laissait espérer) fait un excellent taf, eh bien le groove, c’était exactement ce qui faisait de Martin Lopez (le batteur précédent, démissionnaire pour raisons de santé) le musicien exceptionnel (dans les deux sens du terme) qu’il était dans le milieu du métal. J’adorerais entendre son travail sur ces compos, encore que ce n’est pas la batterie qui pose problème sur ce skeud, si problème il y a. Mais voilà, je suis un garçon curieux, et j’aimerais savoir. Me faites pas chier, c’est tout.

Bref.

Cet album déconcerte, donc, par ses longues respirations minimalistes autant que par son abandon spectaculaire de la saturation (sonore, mais aussi en terme de quantité d’informations). C’est là une démarche singulière de la part d’Åkerfeldt, qui en même temps que de mettre de plus en plus en avant ses influences les plus inavouables (genre : Scorpions avec Burden, sur Watershed ; oui, on en est là) semble plus que jamais vouloir se démarquer du carcan métal et emmener son projet ailleurs, vers le passé en l’occurrence, mais de fait jusqu’à des oreilles qui n’ont que faire de l’aspect technique et violent de la musique. Pourtant, cet album contient du shred comme n’importe quel album d’Opeth, mais majoritairement exempt de distorsion métallique et dilué dans un travail de composition qui rappelle la liberté artistique un peu absurde des Mahavishnu Orchestra ou, plus récemment, de The Mars Volta.

Alors on n’est pas encore dans des territoires qu’un indie-dude abonné aux Inrocks et laissant tomber sa docile mèche sur ses lunettes carrées jugerait de bon goût, ça, vraiment pas, mais il n’en reste pas moins qu’Opeth pourrait aujourd’hui intéresser un nouveau public qui n’aurait pas supporté les bourrinades death-métal passées. A commencer par un public de sages progueux à lunettes, je veux parler de ces gens qui paient 50€ pour voir un concert solo de Steven Wilson, ont à la maison plus de deux album de Yes (dont une édition « deluxe ») et n’aiment pas le death-métal (personne n’est parfait).

Ecoute The Devil’s Orchard, lecteur. Tu seras surpris par la texture de ce morceau, ce son chaud et très typé 70’s et par l’absence de growls, mais sache que tu n’es pourtant qu’au début de tes surprises. Cela reste le morceau le plus proche du Opeth canal historique avec Slither et son riff efficace, qui présente un Opeth véloce, sans cris, mais encore bien compact. De même, The Lines In My Hand taquine le fan nostalgique en s’emballant progressivement sous l’impulsion d’une batterie fantastique, avant de s’interrompre précocement comme une voleuse (une chanson d’Opeth de moins de 4mn ?! Remboursez !). A l’inverse Famine, Haxprocess, et Folklore sont trop longues, clairement, mais ne se dégustent néanmoins réellement qu’après de nombreuses écoutes, quand les pépites passées d’Opeth vous prenaient assez immédiatement à la gorge avant de vous plaquer et vous replaquer au sol, de vous briser la nuque et de s’acharner à la double pédale sur votre dépouille - remember Deliverance ? A ce stade, même le lecteur conquis par Heritage doit logiquement verser une larme, c’est en tout cas l’objectif vers lequel tend l’articulation de ma pensée.

Les fans d’Opeth n’ont pas un taf facile et doivent parfois se dire qu’ils auraient eu meilleur temps* de s’enticher d’AC/DC, retiens ça. Certains vont tirer la tronche comme jamais, les autres sentir leur amour renaître aussi ardent qu’au premier jour, tous fiers de voir leurs suédois préférés s’éloigner de leur base arrière avec un tel brio. Leur meilleur album ? Sûrement pas, mais un très beau pas de côté, plein de maîtrise et remarquablement écrit, bien qu’impossible à digérer d’une traite. Toi, lecteur, tu ne sais plus quoi penser ? Opeth t’a toujours séduit ? Opeth t’a toujours salement cassé les burnes ? Dans tous les cas (enfin non : par exemple pas si tu n’aimes que la pop pitchforkienne, et que tu penses qu’aucune bonne chanson n’a jamais dépassé les 4mn), jette une oreille à cet album. Tu devrais être surpris, au minimum.

* : en Franc-comtois dans le texte



Vos commentaires

  • Le 22 octobre 2011 à 11:17, par Thierry En réponse à : Heritage

    Je suis fan d’Opeth depuis plus de 10 ans maintenant et je dois avouer que c’est le premier album pour lequel j’ai le plus de mal en terme d’approche , je l’ai écouté plus d’une dizaine de fois mais j’ai un peu de mal en ce qui concerne le tempo trop long et lent de certaines compos à mon gout .

    Ceci dit , nous parlons d’Opeth avec tout le talent qui les caractérisent et cette composition est trés intéressante dans le sens ou Mickael a décidé de montrer une autre facette de leur potentiel musical qui semble infini ...

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Tracklisting :
 
1. Heritage (2’05")
2. The Devil’s Orchard (6’40")
3. I Feel the Dark (6’40")
4. Slither (4’03")
5. Nepenthe (5’40")
6. Häxprocess (6’57")
7. Famine (8’32")
8. The Lines in My Hand (3’49")
9. Folklore (8’19")
10. Marrow of the Earth (4’19")
 
Durée totale : 57’04"