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par Parano le 10 novembre 2009
Paru le 2 février 1999 (Warner Bros)
Dix ans après, que reste-t-il de 1999 ? Souvenez-vous, si c’est possible, de cette triste époque. 1999. Le triomphe de Moby. Le retour des Red Hot. L’ultime bataille de Rage Against The Machine. Le rock tombé aux mains de Blur, de Beck, le néo métal, le big beat de Fatboy Slim, la métastase Muse et le laxatif Placebo. Un trou noir coincé entre la galaxie Nirvana et la nébuleuse des groupes en The (Strokes, White Stripes, Hives…). Sale période, vraiment. Fallait s’accrocher aux branches, et attendre des jours meilleurs. Heureusement, de temps en temps, un bon groupe sortait un bon disque. Un disque qui ne ressemblait pas à son époque, un truc décalé, inattendu. Keep It Like A Secret fait parti de ceux là.
Et pourtant. Même en 1999, personne n’était assez désespéré pour parier sur un retour du rock indé. Le genre semblait à bout de souffle. Dinosaur jr fossilisé, Pavement et Sebadoh sans grâce (qui écoute encore Terror Twilight et The Sebadoh ?), il ne restait guère que Guided By Voices pour entretenir l’illusion d’un rock sans machine, ni syncope, un rock débraillé, bruyant, humble, mélodieux, et bavard. Mais bon, voila, en 1999 Guided By Voices sortait le controversé Do The Collapse sur un label de seconde zone, alors que l’album devait initialement paraitre chez Capitol. La loose on vous dit. Même Neil Young avait réduit la voilure, en se lançant dans une tournée solo acoustique, sans doute pour oublier l’échec cuisant du Looking Forward de Crosby Stills Nash & Young.
Trop occupé à sautiller sur Garbage, le public attendait autre chose qu’un énième guitar hero indé. Le lyrisme était tricard, la guitare se devait d’être accordé en do, tronçonner quelques riffs, ou se taire. Après tout, la groovebox était là pour faire le boulot. En 1999, plus personne ne semblait vouloir, ou pouvoir, jouer de la guitare. Pas sur une major. Pas pour le grand public.
Il a fallu beaucoup de talent à Built To Spill, c’est-à-dire à son leader Doug Martsch, pour déjouer les pronostics, sortir un album difficile, chez Warner s’il vous plaît, et en faire un succès. Avec leur précédent effort, Perfect From Now On, paru en 1997, le groupe avait épaté son monde, en jouant un rock prog abrasif, où la dynamique des Pixies croisait le lyrisme du bluesman McDowell, sur des morceaux dépassant allégrement les 6 minutes. Keep It Like A Secret est plus sage, et renoue avec le format pop des débuts. Une concession au marché du disque ? Martsch s’en défendra, expliquant qu’enregistrer des titres de 9 minutes, c’est « trop de boulot » (tout le monde ne triche pas avec pro-tools). Un retour aux sources, donc. Après tout, Built To Spill a bâti sa carrière sur des formats courts, comme le fantastique Cars, probablement une des plus belles chansons jamais écrite par un humain.
Pour l’enregistrement, Doug Martsch a reconduit le line up de Perfect From Now On, à savoir Brett Nelson à la basse, et Scott Plouf à la batterie. Le groupe s’est enfermé 4 mois dans un studio de l’état de Washington. Il fallait au moins ça pour bâtir un édifice sonore aussi ambitieux. Le meilleur moyen de rendre hommage à Built To Spill en général, et à Keep It Like A Secret en particulier, c’est de tordre le coup à quelques idées reçues. (vous noterez que, la nature ayant horreur du vide, ceux qui n’ont aucune idée propre sont contraints d’en recevoir, ce qui contribue grandement à l’état de démence caractérisée qui frappe l’espèce humaine, fin de la parenthèse, et n’allez pas me dire le contraire, merci d’avance).
Keep It Like A Secret n’est jamais précieux, ni appliqué, ni cérébral, ni bordélique. Il est, plus simplement, luxuriant, soigné, intelligent, et parfaitement maîtrisé. Doug Martsch est, disons le tout net, un génie, capable d’enfanter des mélodies imparables au milieu d’un dédale instrumental proprement fascinant. Pour peu qu’on veuille le suivre, ce type vous fait voir du pays, distillant 40 années de guitares rock en 10 chansons.
Difficile de résister aux accents pop de Center Of The Universe, ou de Carry The Zero, les deux titres mis en avant par la maison de disque, et on comprend pourquoi. The Plan et You Were Right transcendent mélodies douces amères et lyrisme folk dans un mélange addictif. Voila pour le plus accessible de l’album. Le reste de Keep It Like A Secret se livre moins aisément, oscillant entre rock bouillonnant et classicisme dévoyé, fougue et aigreur, le tout porté par une guitare toujours juste, utile, séduisante.
Au final, Built To Spill réussit là où tant d’autres ont échoués : jouer en toute sincérité un rock audacieux, voir sophistiqué, sans sacrifier le plaisir simple et la mélodie. Keep It Like A Secret fait figure de sommet dans une discographie sans faille, à une époque où le rock indé semblait n’avoir plus rien à dire. 10 ans après, Doug Martsch continue de ciseler ses guitares, sans se soucier des modes, sans non plus décevoir. Le dernier album de BTS, There Is No Enemy, sorti en octobre 2009, est lui aussi une pure merveille.
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