Portraits
L'évidence Radiohead

L’évidence Radiohead

par Giom le 22 février 2005

Aujourd’hui incontournable, le groupe le plus novateur de sa génération n’a pas toujours connu le succès. Story...

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Dans la première moitié des années 80, deux jeunes lycéens de la public school (comprenez « école privée ») Abington School près d’Oxford évoluent au sein d’un combo punk nommé TNT ! Il s’agit de Thom Yorke et de Colin Greenwood qui décident rapidement de fonder leur propre groupe ayant recours, pour cela, aux services d’Ed O’Brien et de Phil Selway, respectivement guitariste et batteur. Les quatre membres de cette nouvelle formation rock lycéenne (ce qui en Angleterre, n’est pas très original, il faut bien l’avouer) voient rapidement leurs répétitions s’espacer dans le temps car les membres les plus âgés quittent Oxford pour faire leurs études. La légende raconte alors que le groupe prit pour nom On A Friday car ils ne pouvaient répéter au complet que le vendredi.

On A Friday

C’est lors de ces répétitions que se fait remarquer le jeune frère de Colin, Jonny Greenwood, qui joue dans son coin de l’harmonica en regardant les « grands » répéter. Celui qui est aujourd’hui considéré par beaucoup comme le musicien le plus original de la scène rock actuelle sera donc intégré au groupe par la petite porte !

Tout s’accélère alors pour On A Friday qui se produit pour la première fois en 1987 à la désormais fameuse Jericho’s Tavern d’Oxford. Après de nombreux concerts devant un public restreint, le groupe produit une série de démos dont la bien nommée On A Friday Demo (l’imagination pour les titres, viendra avec l’expérience) qui contient déjà des morceaux prometteurs comme Stop Whispering, I can’t ou Thinking about you que l’on retrouvera sur leur premier album. Le groupe commence alors à se construire une solide réputation grâce notamment à ses prestations scéniques et c’est lors d’un festival que Keith Rosencroft, alors agent de Parlophone, le fameux label d’EMI qui possède sur son catalogue les noms prestigieux des Beatles ou de Pink Floyd, les remarque.

Une autre légende -mais quel bon groupe ne possède pas de légende à ses débuts- affirme que c’est un collègue de Colin Greenwood, alors employé chez un disquaire local, qui aurait conseillé à l’agent de voir ce groupe sur scène. Peu importe, car l’ingénieux et non moins chanceux agent sent venir la machine à livres sterling et fait les démarches nécessaires pour signer le groupe sur son label. Il est alors très rare qu’un jeune groupe n’ayant encore aucun album à son actif puisse signer chez une major (rassurez-vous, c’est encore le cas aujourd’hui à moins d’exploiter la filière TV réalité !)

Radiohead est lancé

C’est donc en mars 1992 que commence la carrière discographique du groupe, qui s’est alors renommé Radiohead, empruntant ce nom à une chanson des Talking heads, avec la parution du EP Drill qui n’obtient qu’un succès mitigé : son single Prove Yourself ne se classant qu’en 101ème position des charts britanniques. L’album Pablo Honey, alors bouclé en trois semaines, sortira la même année, accompagné d’un nouveau single : Creep, « une chanson à la Scott Walker » comme dira Thom. Ce titre atteint alors la 78ème place des charts britanniques et est suivi d’Anyone can play guitar, l’un des meilleurs morceaux de l’album aux paroles torturées et aux références culturelles explicites : « I wanna be wanna be... Jim Morrison. »

Mais c’est aux Etats-Unis et plus particulièrement à San Francisco - comme quoi, c’est toujours des mêmes endroits que viennent les bonnes choses ! - que se joue l’avenir de Radiohead. Une radio locale ne cesse de passer Creep sur ses ondes et va jusqu’à élire cet hymne du mal-être existentiel titre de l’année ! Le morceau renaît alors de ses cendres et devient un tube planétaire pour jeunes déçus d’avoir manqué la machine Nirvana. Au Royaume-Uni, une réédition du single se place en 7ème position des charts, Pablo Honey devient disque d’or aux USA et le film Cyclo reprend Creep dans sa bande originale en 1994... bref la machine s’emballe et le groupe se voit devenir le nouvel ambassadeur d’un rock anglais en mal d’inspiration. La presse s’excite et qualifie le groupe de « réponse anglaise à Nirvana » ou de « nouveau U2 ». Radiohead se doit donc de continuer son immense tournée à travers le monde, vendant son âme à plusieurs reprises pour les beaux yeux du capitalisme musical (ceux qui n’ont encore jamais vu la performance de cette époque à la MTV Beach peuvent s’estimer heureux et ne rien faire pour récupérer cette vidéo qui traîne sur le net).


Heureusement, le groupe n’en oublie pas de composer et en 1994, est publié le EP My iron lung, composé de huit titres dont une version acoustique de ce monstre musical qu’est devenu Creep. (On notera le puritanisme ostentatoire de la radio américaine qui a enregistré le morceau, puisque Thom fût obligé de chanter « You’re so very special... » au lieu du plus anglais et surtout plus conforme à la version originale : « You’re so fucking special... » - Quand je parlais de vendre son âme.) Cet EP n’obtient pas un grand succès mais on peut déjà y remarquer un changement d’orientation dans l’écriture du quintet oxfordien. Les morceaux sont moins formatés pour la radio et la voix de Thom prend une place plus importante, provoquant instantanément l’émotion comme sur les très beaux titres que sont Permanent Daylight ou You never wash up after yourself. Les paroles du titre éponyme My Iron Lung font déjà preuve d’une grande lucidité et d’un grand cynisme concernant le business rock : « This is our new song, just like the last one, a total waste of time, my iron lung... » On peut avoir un bon aperçu du niveau scénique du groupe à cette période en visionnant la vidéo du concert donné à l’Astoria de Londres où le groupe présente certains des morceaux du second album.

C’est le 13 mars 1995 que sort The Bends, second album très attendu qui aura beaucoup de mal à atteindre un large public. Radiohead n’obtiendra en effet avec ce disque qu’un succès d’estime alors que cet album est considéré aujourd’hui comme l’un des plus importants des années 90. Comme quoi les temps changent et les avis avec ! Les douze titres présentés sont en effet beaucoup plus travaillés que ceux de Pablo Honey. Le groupe abandonne le son grunge qui caractérisait l’ensemble de Pablo Honey pour un rock aux diverses facettes. L’hymne épique du morceau The Bends côtoyant par exemple un titre beaucoup plus pop comme High and Dry ou l’élégiaque Fake Plastic trees. The Bends peut finalement être présenté comme l’album que Muse tente de faire depuis cinq ans sans jamais y parvenir. La formation dont les trois guitaristes sont l’atout majeur permet à Jonny de faire ses preuves par des solos dévastateurs comme ceux de My iron lung ou Just, véritables pétards à festivals. L’album se conclut sur l’atmosphérique Street Spirit (Fade out), titre annonciateur de la future orientation prog-rock du groupe où les arpèges cristallins mêlés aux voix de Thom et Ed amènent l’auditeur sur une lune proche de celle du clip. The Bends est donc un album qui, comme tous les autres du groupe à ce jour, ne peut être abordé d’une seule écoute. Les textes, torturés et elliptiques, ont participé à faire de Thom Yorke le représentant d’une génération en manque de repères existentiels. De nombreux singles seront extraits du disque (Just, Fake Plastic Trees...) et c’est seulement 18 mois après la sortie de l’album que l’ultime single Street Spirit atteindra le Top 10 des ventes anglaises.


Un mythe est en route

Le groupe décide alors de prendre en main sa carrière et s’endette pour la création à Oxford de leur propre studio d’enregistrement baptisé Canned Applause où ils entament, dès juillet 1996, les premières sessions d’enregistrement de leur troisième album. Pour ce disque, ils font appel au producteur Nigel Godrich avec qui ils avaient auparavant enregistré le titre Black Star sur The Bends et qu’ils ne quitteront plus. Une nouvelle tournée américaine leur permet de tester leurs nouveaux morceaux puis ils se retirent dans un château britannique où ils achèvent la composition de cet album qu’ils mixeront à Londres au début de l’année 1997.

Pour la première fois, le groupe a ressenti une véritable liberté de composition et OK Computer, qui voit le jour en juin 1997, est bien le chef d’œuvre tant attendu. Sans véritable single apparent, le disque se rapproche d’un concept-album - certains internautes maniaques y ont vu une adaptation musicale du 1984 de George Orwell - où chaque titre est d’une densité remarquable. Paranoid Android, titre patchwork de plus de six minutes, convoque plusieurs univers musicaux tout en restant extrêmement cohérent et fédérateur. Le lyrisme exacerbé mais jamais caricatural d’Exit Music (for a film) trouve sa place en compagnie de l’apocalyptique Climbing up the wall ou de l’entêtant Karma Police.

La critique unanime fait d’OK Computer l’album de l’année voire même de la décennie. Les lecteurs enthousiastes de « Q magazine » éliront même le troisième album des Oxfordiens deuxième meilleur disque de tous les temps devant l’incontournable Revolver des Beatles. Le monde musical s’emballe et la tournée « Against demons » est un grand succès. Radiohead devient alors le symbole d’un rock intelligent, mature et nuancé opposé à l’attitude machiste et arrogante d’Oasis. En France, l’album reste plus d’un an parmi les meilleurs ventes, reléguant le disque d’Oasis au cimetière des disques morts-nés.

Pourtant, le groupe semble tout faire pour éviter ce nouveau statut de sauveur du monde musical, Thom Yorke ne donne que très peu d’interviews, ce qui lui vaut une réputation de paranoïaque perturbé et Phil et Colin sont souvent de corvée pour aller récupérer, sur les plateaux TV, les trophées qui pleuvent sur les têtes de nos Oxfordiens. Cette atmosphère étouffante que vit le groupe est parfaitement restituée dans le documentaire Meeting people is easy de Grant Gee qui sort en 1999 et qui réussit, en filmant la tournée, à démystifier l’adage sex, drugs and rock’n roll et surtout à quotidienniser (désolé pour le néologisme) l’univers du rock des années 90. Comme le dira Ed dans une interview donné à la presse française : « La vie n’est pas comme une vidéo de Jon Bon Jovi ». Ce documentaire offre en effet une vision nouvelle d’un groupe de rock, pris entre exigences marketing et demande croissante d’un public toujours plus nombreux. Le regard perdu et intrigant de Thom Yorke reste finalement l’unique vestige d’une aura rock n’rolliènne définitivement perdue.


Un nouveau souffle...

La tournée achevée, le groupe sombre dans un mutisme de plus de trois ans, Thom Yorke, qui semble avoir du mal à gérer le stress dû à sa nouvelle posture de génie musical, sombre dans une dépression. La sortie du quatrième album est sans cesse repoussée, le groupe semble à nouveau vouloir transformer leur musique sous l’influence de Thom et Jonny qui découvrent de leur côté de nouveaux univers musicaux comme la musique électronique ou le free Jazz. Pendant ce temps, un nombre incroyable de groupes se réclamant plus ou moins d’OK Computer (question d’honnêteté professionnelle) voient le jour. Coldplay ou encore Muse remplacent plus ou moins bien le vide laissé par Radiohead sur la scène musicale. Les chanteurs de ces groupes tentent de faire renaître l’émotion provoquée par la voix de Thom, sans grande réussite. La popularité de Radiohead ne cesse de grandir entre 1998 et 2000 alors que le groupe ne publie aucun disque.

Après des séances d’enregistrement épuisantes pour tous les membres, le groupe part tester ses nouveaux morceaux lors d’une petite tournée dans le sud de la France et en Espagne en juin 2000 et c’est le 2 octobre que paraît le tant attendu Kid A qui se place directement en tête des charts du monde entier malgré sa relative complexité.

L’album représente en effet une véritable claque pour tout le monde du rock car il est à 1000 lieux d’OK computer  ! Résolument plus tourné vers les ambiances de la scène electro, ce disque réussit à marier les nouvelles influences de Thom et Jonny (Alphex Twin, Charles Mingus, Faust ou même le compositeur français Olivier Messiaen dans son utilisation des Ondes Martenot...) avec la maîtrise, acquise depuis OK computer, d’un prog-rock crépusculaire. La voix de Thom quitte intentionnellement sa puissance émotionnelle - sauf peut-être sur l’atmosphérique How to disappear completely - pour s’intégrer aux autres instruments et ainsi donner encore plus de relief à la partition musicale qui ne se limite plus aux seules guitares.

Le disque reste tout de même difficile d’accès et malgré le soutien critique, les ventes ne sont pas aussi bonnes que celles d’OK Computer. Cependant, en publiant un ovni au sein d’une scène rock habituée à réutiliser à outrance les recettes lucratives, Radiohead va acquérir une véritable crédibilité artistique et ainsi devenir plus qu’un simple groupe rock, ce qui n’était pas arrivé depuis très longtemps. Toujours dans l’objectif de contrôler son image et son succès, le groupe décide de réaliser une tournée en utilisant leur propre chapiteau sans le moindre partenariat commercial. Il n’y aura également aucun single issu de l’album (ce que Thom regrettera plus tard).

En passe de devenir le groupe culte de toute une génération, Radiohead ne s’arrête pas là et retourne dans la foulée en studio pour enregistrer un nouvel album composé de morceaux écrits durant les sessions d’enregistrement de Kid A. Amnesiac, publié le 4 juin 2001, connaît également la première place des charts mondiaux dès sa sortie. Dans la même veine que Kid A, le groupe a notamment fait appel au célèbre trompettiste anglais Humphrey Littleton pour un morceau composé par Jonny à l’ambiance New Orleans : Life In A Glasshouse. Le groupe repart donc en tournée en Europe puis en Amérique du Nord. C’est l’occasion pour lui de se produire à Oxford après de nombreuses années d’absence lors d’un festival accueillant plus de 40 000 personnes qu’il organise le 7 juillet 2001 ; le narrateur, présent ce jour là, peut témoigner du caractère démentiel de cet évènement. Cette tournée sera l’occasion pour le groupe de publier un EP live composé de titres des deux derniers albums : I Might Be Wrong EP. Amnesiac se vend encore mieux que Kid A et Radiohead réussit à imposer l’image d’un groupe toujours à la recherche de nouvelles expériences musicales et qui a réussit à imposer sa façon de travailler à une industrie du disque toujours à la recherche de gains immédiats. Les membres du groupe s’investissent dans divers mouvements associatifs et Thom, père depuis peu, devient, malgré lui, le symbole de l’artiste cultivé et engagé dans le mouvement pour une justice globale.


Hail To The Thief...

Durant l’été 2002, le groupe réalise une petite tournée de quelques dates en Espagne et au Portugal pour tester devant le noyau dur de ses fans les nouveaux morceaux qui composeront leur sixième album prévu pour le printemps 2003. Ces concerts montrent un groupe libéré de la pression qui les avait paralysés après le succès d’OK Computer. Les morceaux de Kid A et d’Amnesiac prennent alors un relief supplémentaire dans leurs versions live (Idioteque et son beat ravageur s’impose par exemple comme l’un des meilleurs titres de scène du groupe) et les nouveaux morceaux semblent très prometteurs quant à la qualité du prochain opus.

C’est en mai 2003 que sort Hail to the Thief, le titre reprenant un slogan utilisé par les manifestants américains lors de l’élection de George W. Bush en 2000. Ce sixième album est une nouvelle fois acclamé par la critique musicale qui y voit l’album de la synthèse entre les morceaux à guitares d’OK Computer et les expérimentations électroniques de Kid A. Même s’il ne semble pas atteindre la perfection de ces deux derniers, ce disque reste largement au-dessus de tout le reste de la production musicale britannique. Le groupe, depuis Amnesiac, semble avoir changé d’esthétique et ne cherche plus à provoquer l’émotion la plus intense possible tout au long d’un album mais tente au contraire d’en provoquer de nombreuses et différentes dans la même œuvre en multipliant les univers musicaux à chaque nouveau titre. Une nouvelle fois, l’album se place en tête des ventes dans le monde entier dès sa sortie et le groupe est la tête d’affiche des plus grands festivals rock durant l’été 2003. Radiohead est maintenant en passe de devenir un véritable phénomène de société ; au même moment où plusieurs centaines de milliers de personnes se précipitent pour les voir jouer au festival de Glastonbury, des exemplaires d’Hail to the Thief sont brûlés au Texas. Conscient et effrayé par son statut, Thom Yorke semble tout faire pour le refuser. En juillet 2003, il déclarait à ce sujet à « Rock n’Folk » : « Je ne suis pas préparé à risquer la vie de ma famille ou la mienne, pour le bien-être de vos lecteurs ou de ceux de « Spin » ou de n’importe quel magazine d’ailleurs ! Il y a des livres plein les librairies sur ce qui est en train de se passer, No logo, Fast food nation, vous ne connaissez pas les titres ? Je vous les donne, lisez ces livres, tirez vos propres conclusions. Au début, ça m’a fait rigoler qu’on brûle nos CD au Texas. Depuis quelques jours, beaucoup moins. »

Depuis décembre 2003, date à laquelle la tournée Hail to the Thief a pris fin par des concerts au Royaume-Uni, le groupe n’occupe plus l’actualité. Thom est apparu couvert de chocolat pour une campagne d’Oxfam et Jonny et Phil devraient faire une courte apparition dans le prochain Harry Potter (« c’est pour plaire à leurs gosses » me disent mes amis, mais bon quand même, ils n’étaient pas obligés !) En tout cas, pas de nouvelles d’un possible album et encore moins d’une tournée ! Il semblerait que l’année 2004 ait été celle du break et du gagatisme paternel pour nos cinq Oxfordiens, espérons que 2005 sera celle d’innovations musicales toujours plus passionnantes. Mais bon, « l’avenir s’annonce palpitant » comme dirait l’autre ! C’est sûr que quand il s’agit de Radiohead...



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom