Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Milner le 14 février 2006
Aussi improbable qu’incroyable, Air, l’un des nombreux représentants de la french touch, est devenu en l’espace d’une dizaine d’années la référence indispensable de ce début de millénaire pour tous les amateurs de climats éthérés et de voyages sonores. Découverte d’une carrière peuplée d’aventures, d’énigmes, de rencontres et de succès...
La scène se passe le 7 juillet 2001 à Seattle, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel jouent ce soir devant un bon millier de personnes alors que 400 demandes de tickets ont déjà été rejetées. Pourtant, après un show de très haut niveau, le duo et ses musiciens quittent la scène sans jouer Sexy Boy, le rappel tant attendu, estimant que le public ne le mérite pas car il n’a pas su renouveler le triomphe qu’avait jusqu’alors connu Air lors des précédentes dates de sa tournée nord-américaine. « C’est quoi ce putain de musée ? », s’aventurera à dire un Godin très remonté par la terne réaction du public présent ce soir-là au Experience Music Project, sorte de Centre Pompidou pour architecte mégalomaniaque échappé d’un film de science-fiction. Ils sont comme ça les Français, peur que la machine qu’ils ont fabriqué s’envole sans eux ; peur de perdre le contrôle sur ce qui leur arrive depuis bientôt trois ans car s’imposer aux États-Unis lorsqu’on vient de la Gaule profonde n’est pas chose facile et n’avait jusqu’à présent jamais été réalisé.
Amplifiée par le temps qui a fait du duo français l’icône la plus rafraîchissante et la plus novatrice de la pop expérimentale, l’histoire des deux têtes pensantes de l’entité Air est pourtant assez classique. Tous deux nés en 1969, Nicolas Godin et Jean Benoît Dunckel viennent de Versailles et ses alentours, en région parisienne. Les deux compères se rencontrent au lycée dans les années 80, et forment le collectif Orange avec d’autres protagonistes de la scène électronique française comme Etienne de Crécy, Alex Gopher. Ils tentent ensemble de présenter quelques démos à des maisons de disques mais en vain. Un peu découragé, Nicolas se lance dans des études d’architecture tout en continuant de bidouiller assidûment ses petits synthés dans son salon. Il sort son premier titre Modulor en 1995 sur la compilation de Virgin Records Source Lab Vol.1. Ce morceau ne dort pas sous l’eau, puisqu’il se retrouve chez nos voisins d’Outre-Manche, pour être programmé par la BBC, en 1996. Entre temps, Jean Benoît Dunckel (qui était devenu prof de maths et pianiste de bar à l’occasion) rejoint Nicolas et forment le duo guitares-claviers Air. Le second maxi CD sort en juillet 1996 sous le titre Casanova 70. La mélodie lancinante et envoûtante (pouvant rappeler parfois les sensations agréables d’une grasse matinée) permet au duo de percer côté anglais en mélangeant allégrement la variété française la plus mélodique et la plus populaire, comme par exemple Joe Dassin ou Michel Polnareff.
Toujours dans la série des maxi CDs, Le Soleil Est Près De Moi apparaît dans les bacs en 1997. La compilation Premiers Symptomes de 1997 va alors regrouper les trois titres cités ci-dessus ainsi que Californie et Gordini Mix d’Alex Gopher, remixé par Air. Le duo commence désormais sérieusement à faire parler de lui. C’est à ce moment qu’il travaille avec
un vétéran de la musique électronique, le Français Jean-Jacques Perrey, avec qui ils participent à la création des titres Remember et Cosmic Bird. Parallèlement, Nicolas et Jean-Benoît travaillent au printemps 1997 sur leur futur grand succès Moon Safari qui sort finalement le 27 janvier 1998. Disque mélancolique teintée d’humour produit par les deux compères et de leur ingénieur du son Stéphane Briat, il s’agit d’une envolée planétaire pour le duo versaillais, une reconnaissance aux States (la pochette de l’album est signée Mike Mills, graphiste attitré des corrosifs Beastie Boys) et en Angleterre, où Air participera à l’émission séculaire Top Of The Pops. D’autres morceaux se greffent au disque, comme Kelly, Watch The Stars !, permettant une synergie potentialisatrice de succès avec Sexy Boy. La notoriété ainsi acquise permet au duo de renforcer leur expérience des concerts grâce à leur première tournée aux États-Unis au succès incroyable. Le succès du duo serait-il étranger aux Français ? Même s’ils raflent, en février 1999, la Victoire de la Musique techno/dance (titre correspondant aujourd’hui à la musique électronique, à l’appellation plus générale), la très grosse majorité des disques est vendue hors de nos frontières si bien qu’à peu près trois millions d’exemplaires ont été écoulés depuis sa parution.
Leur réputation américaine leur permet de signer la première bande originale pour le tout premier film de Sofia Coppola The Virgin Suicides, sorti le 29 février 2000. Le disque s’inscrit dans une ambiance pop beaucoup plus sombre et trash que son prédécesseur, mais subsiste tout de même ces magnifiques climats mélancoliques (Highschool Lover, qui a sûrement un pouvoir ravageur auprès de la gent féminine) ou bien angoissante (notamment le thème principal Playground Love). Une nouvelle fois, l’équipe de production (Godin, Dunckel et Briat) réalise un travail assez stupéfiant de simplicité si bien que Air est remarqué par la FNAC qui réalisait à l’époque de petites brochures sur les différents mouvements musicaux, classant l’album dans le courant psychédélique, pour les résonances floydiennes perceptibles dans leur musique (ce que n’aime pas beaucoup le duo). Pourtant, bien décidé à passer la vitesse supérieure et à se renouveler rapidement avant de lasser le public habitué à leur tresser des couronnes, le duo fait jouer son réseau de relations internationales rencontrées lors du premier séjour en Amérique du Nord et s’isole en Californie pour concocter un nouveau stéréodome hallucinatoire avec l’aide du producteur de Mercury Rev, Tony Hoffer.
Le 25 mai 2001, 10 000 Hz Legend fait son apparition dans les bacs. Le succès est toujours international bien que la presse anglo-saxonne ne semble plus autant adhérer au projet Air qu’auparavant, ce que Nicolas Godin explique volontiers : « On avait le choix. On pouvait faire un Moon Safari 2, chansons pop légères qui passent à la radio en Angleterre, ou alors un recueil de chansons barrées, psychédéliques, émotionnelles, spéciales, choquantes ou étranges. Un album extrême, acoustiquement et électroniquement. Pour la première fois, on a écrit les textes avant la musique, poésie sale en anglais. On voulait un son énorme dans un home studio. Donc on a enregistré dans un petit studio parisien, puis on est allés à Los Angeles combiner le tout avec de gros orchestres. Ce disque mélange bricolage analogue top cheap et le meilleur du gros son digital de luxe ». L’album montre une nouvelle facette du groupe, avec des morceaux tous aussi différents les uns des autres. On peut retrouver des relents de country (tout du moins certains instruments, comme le banjo), en passant par des séquences rappelant parfois l’arrivée des extra-terrestres (Don’t Be Light). Plus sérieusement, le mélange des genres montre un aspect plus électronique et assembleur de sons du groupe. Autant Moon Safari pouvait être mis en fond sonore, autant celui-ci parle aux gens, personnellement. Comme chaque album est aventure, celui-ci ressemble à un road movie, avec des rencontres bienfaisantes (comme celles de Jason Falkner ou bien Beck posant sa voix sur sa ballade cosmique The Vagabond).
Le duo crée alors son propre label Record Makers pour des raisons simples « parce que Air est le dernier groupe à vouloir changer le monde, déclame ironiquement le duo versaillais. C’était ça l’idée de départ des musiques électroniques : faire un gros doigt aux vieux schémas d’enregistrement, un bras d’honneur à l’industrie du disque telle qu’elle existe depuis trente ans, à la médiocrité de la musique française. Un artiste se nourrit de plein d’expériences, puis recrache son truc. Le succès tue tout ça. Quand un artiste a du succès, il dit n’importe quelle connerie, tout le monde dans sa maison de disques trouve ça super drôle. Il ne fréquente plus que des gens qui rigolent de ses pauvres blagues. L’idée de faire un label, c’est de rester en contact avec les jeunes, les créateurs, ceux qui galèrent ont des idées. Les gens, les vrais. Ce label, c’est notre famille, pour ne pas être coupés de nos bases ». Record Makers permit de continuer d’élargir la scène électronique française à de nouveaux talents, notamment Sébastien Tellier qui sera la première sortie album du label de Air en mai 2001 avec L’Incroyable Vérité. 10 000 Hz Legend est remixé par différentes pointures pour donner Everybody Hertz, clin d’œil à un tube de R.E.M., paru le 18 février 2002. « À chaque fois qu’on fait un single, précise Godin, on demande à des gens de faire le remix. Nous ne sommes pas un groupe à singles, on change tout le temps d’avis sur ce qui doit sortir. On s’est d’un coup retrouvés avec plein de remix déjà faits sur les bras, donc on les publie tous. C’est surtout un disque destiné aux fans, fait par l’extension de la famille Air ».
C’est aussi le moment pour Air de parcourir d’autres univers. Les projets fleurissent et laissent explorer leur imagination. Nicolas et Jean-Benoît signent la musique d’un ballet baptisé Near Life Experience, basé sur des titres déjà publiés sur les précédents albums du duo, et conçu par le chorégraphe Angelin Preljocaj. Air réalise en mars 2003, City Reading / Tre Storie Western, un album narratif à l’histoire un peu délirante (celle d’une poursuite entre un Indien et un shérif) servant de support musical aux textes d’Alessandro Baricco (auteur de Soie, City, Novecento ...). La presse spécialisée a alors l’impression que Air est en récréation prolongée en attendant de livrer son prochain opus car bien que superbes et parfaitement maîtrisées, ces dernières expériences sont beaucoup trop abstraits, décalées et difficiles d’accès pour le grand public qui peinent à s’enthousiasmer. Mais, c’est bien cette dispersion artistique du duo hyper actif qui lui permettra de ressurgir de plus belle avec son septième essai discographique, de nouveau transformé.
Le 26 janvier 2004, Air publie Talkie Walkie, petit chef-d’œuvre d’une quarantaine de minutes. Cette fois-ci, la page 10 000 Hz Legend, et sa musique electro psychédélique hanté qui va avec, est tournée pour donner la place à une nouvelle ambiance saisissante de beauté (les arrangements de cordes du gainsbourgien Michel Colombier), jouant sur la simplicité (guitare, piano), les nombreuses nappes envoûtantes et l’importance accordée aux silences. Délaissant volontairement le format dépouillé des derniers enregistrements, le génial binôme se recentre sur une recette plus pop, peut-être moins contraignante mais surtout plus direct pour se raconter en musique. Le duo s’attache désormais les services du talentueux faiseur de miracle sonore des temps modernes Nigel Godrich et choisit de délaisser les fastes d’antan et les collaborations vocales racoleuses pour se concentrer sur un minimalisme qu’on ne soupçonnait plus le groupe capable de reproduire. « C’est Nigel Godrich qui nous a encouragés à chanter davantage, explique Godin. Notre ambition a toujours été de faire le disque parfait et il nous a incités à tout faire nous-mêmes, à révéler notre âme avec nos défauts et qualités. Les chanter nous-mêmes rend les chansons de Air beaucoup plus intéressantes ».
Au bout du compte, le succès commercial est toujours à la clé, marqué en cela par l’apparition du titre Alone In Kyoto sur la bande son du deuxième film de Coppola, Lost In Translation. Les prestations scéniques de Air soulève toujours autant de ferveur à travers le monde et raflera logiquement une nouvelle Victoire de la Musique en mars 2005. Mais 2005 revêt un caractère spécial pour le groupe puisque, sans prévenir, est annoncée la décoration de Nicolas et Jean-Benoît comme Chevaliers dans
l’ordre des Arts et des Lettres par le Ministre de la Culture de l’époque, Monsieur Renaud Donnedieu de Vabres.
Ainsi donc, après tant de réjouissances, l’année 2006 se passera sans la présence de Air dans les médias. Non pas que ces derniers aient décidé de faire l’impasse sur cette année civile. Non, plutôt ont-ils décidé de le passer dans les studios à enregistrer 5:55, le premier album solo de Charlotte Gainsbourg (fille de Serge Gainsbourg) aux critiques mitigées. Parallèlement, Jean-Benoît Dunckel s’affranchit pour un temps de son compère et s’embarque dans l’aventure solo, le temps d’un Darkel finalement assez proche de l’univers musical de Air. Quelque part en lui, cependant, l’artisan perfectionniste devait sommeiller et il faut croire que ça le démangeait. Le concept de Darkel lui permit de placer plusieurs titres qui ne rentraient pas dans les plans du septième album des Versaillais car longtemps attendue, la suite discographique débarqua le 5 mars 2007 sous le nom Pocket Symphony. C’est typiquement le genre de disques qui évolue sans pour autant décontenancer les fans. Le single inaugural Once Upon A Time est une parfaite image des onze autres titres qui le côtoient, le disque dégage un climat de sérénité sur fond de musique ambient qui fut légèrement décevant, souffrant de l’absence de rythmes et faiblissant trop dans son intensité pour captiver totalement.
C’est qu’un groupe ne saurait avoir d’existence réelle que s’il tourne, qui plus est lorsqu’on fait paraître un disque moins instantané, plus distancié : fort bien, Dunckel et Godin emmènent leur répertoire sur les routes des grandes capitales européennes au printemps de la même année. Finalement, bien malin qui pourra dire aujourd’hui de quoi l’avenir de Air sera fait car ces derniers ne donnent pour l’instant plus trop signe de vie, sûrement repartis vivre dans leur adresse la plus connue, la Voie Lactée.
[1]
[1] Références bibliographiques :
Magazines : Q Magazine, Rock & Folk, New Musical Express
Site web : Air - French Band : http ://membres.lycos.fr/frenchband
Illustrations : Brrr - Tous droits réservés
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |