Incontournables
Moon Safari

Moon Safari

Air

par Milner le 14 février 2006

paru le 27 janvier 1998 (Source / Virgin)

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Pour tous ceux qui suivent la musique dite « progressive » depuis longtemps, Moon Safari s’apparente à une révélation. Ceux qui s’étaient accrochés aux soli de King Crimson, ceux qui allaient voir les concerts alcoolisés de Steely Dan rien que pour les échantillons sonores faisant irruption dans la salle, ceux qui avaient plongé dans Soft Machine pour y découvrir des trésors noyés, tous ceux-là ont trouvé à la fin du siècle dernier leur Bible, un album qui présente ce mouvement musical au sommet de ses capacités, mis en valeur comme jamais auparavant. Comme les illustres influences du duo versaillais (Bowie, Gainsbourg, Perrey, Wonder, Hardy), Air rejoint le cercle fermé des créateurs d’univers. Rien n’est plus beau que de faire côtoyer thèmes anciens et musique astrale.

A cette époque, le contexte musical français était simple : en pleine vague french touch incarnée par Daft Punk, Etienne de Crécy, Laurent Garnier, Cassius, Mr.Oizo et consorts, la Grande-Bretagne, puis par contagion le reste de l’Europe, s’énamoure de l’exotisme gaulois et consacre régulièrement les unes de ses plus célèbres magazines musicaux aux exploits répétés des mangeurs de grenouilles. Il ne fallut pas longtemps pour que Air s’impose dans ce créneau dansant alors que Moon Safari semble justement au-delà des classifications, comme s’il regardait le panorama musical français d’un œil malicieux, haut perché dans les cieux et si proche de la raison. Car ce qu’ont réussi Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel s’apparente à un véritable tour de force. La Femme D’Argent, somptueux voyage sonore en ouverture de l’album, s’étend le long d’un thème bossa-nova complété avec finesse par des mini moogs et autres synthétiseurs aux textures analogiques. Le titre suivant, Sexy Boy, est peut-être l’incarnation radiophonique de l’album, bien que le groupe s’en défende. Ce tube « eurodisco » aux accents opiacés donnera effectivement l’impression à de nombreux auditeurs de danser avec de très charmants français. Pour autant, la musique de Air se réclame universelle et il n’est donc pas étonnant de voir apparaître la chaude voix de Beth Hirsch, chanteuse américaine qui illumine de sa présence émotionnelle les aventures sonores de deux titres à la romance étoilée (All I Need et You Make It Easy).

Pour une fois qu’un groupe justifie parfaitement son patronyme, la musique electro aérienne de Kelly, Watch The Stars ! complète avec efficacité le travail sonore entamé sur Sexy Boy et bien qu’elle s’apparente à un pastiche instrumental de Lucy In The Sky With Diamonds des Scarabées dorés, sa suite d’accords est extrêmement efficace pour partir dans des atmosphères presque planantes. L’album s’engouffre par moments dans des sonorités synthétiques héritées des années 70 et la merveilleuse pièce montée groovy Talisman appellera d’autres compositions à venir sur les enregistrements à venir du binôme Godin-Dunckel. Les somptueux arrangements de cordes et la direction d’un orchestre symphonique emmené par le remarquable David Whitaker procurent au morceau l’efficacité que connut un temps Serge Gainsbourg pour son cultissime Histoire De Melody Nelson ou bien David Bowie et son Space Oddity.

Mais il s’agit avant tout d’un album d’instrumentiste, construit par la basse et les claviers en tout genre (Rhodes, Korg MS20, syrinx, moog, wurlitzer, vocoder) qui assurent ici un rôle étonnamment symphonique, comme dans certains albums de Passport. Moon Safari est rempli de notes vibrantes, Jean-Benoît Dunckel joue des thèmes aux claviers de telle façon qu’il introduit une sorte de danse ondulante dans un tourbillon de couleurs éblouissantes, souvent oniriques. L’ingénue composition Remember tapisse une comptine pop sophistiquée à base de vocoder, assez proche d’un Brian Wilson carburant aux vitamines cosmiques comme le laisse suggérer la section rythmique piquée au tube Do It Again de ses Garçons de la Plage. En souvenir des premiers enregistrements dans l’appartement de Godin à Paris, le duo place les rires des enfants de la rue Burcq sur New Star In The Sky, comme si Air était retournée en enfance, période de la vie où l’insouciance et l’émerveillement font bon ménage. Sentiments qui se mélangent avec les rêveries de notre quotidien surtout sur Le Voyage De Penelope, aussi beau et illuminé que son titre peut naïvement le laisser supposer.

Au bout des dix plages musicales, l’album concède finalement le plus important : la seule justification d’un tel voyage est que la musique ne soit pas totalement sacrifiée. Le procédé easy-listening de Moon Safari fonctionne à merveille et ne rebutera pas l’auditeur à se replonger de nouveau dans cette suite sonore emplie de savoir-faire. Par quelque bout qu’on le prenne, ce disque est la plus excitante chose qui soit arrivée en cette année 1998, c’est la musique telle qu’on la rêvait il n’y a pas si longtemps et qu’on la rêve un jour d’ambiance pluvieuse où l’on ne se sent uniquement l’envie de s’évader...



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Tracklisting :
 
1- La Femme D’Argent (7’08")
2- Sexy Boy (4’57")
3- All I Need (4’28")
4- Kelly, Watch The Stars ! (3’44")
5- Talisman (4’16")
6- Remember (2’34")
7- You Make It Easy (4’00")
8- Ce Matin La (3’38")
9- New Star In The Sky (5’38")
10- Le Voyage De Penelope (3’10")
 
Durée totale : 43’48"