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par Emmanuel Chirache le 3 février 2009
paru en novembre 2006 (Uncivilized World)
L’heure de la rébellion a sonné. Pendant trop longtemps, les DJs se sont contentés d’accompagner de mauvais groupes de rap avec leurs scratchs pathétiques ou de passer des disques à des incultes en discothèque. Des boulots tellement minables qu’ils étaient obligés de cacher leur identité sous des surnoms ridicules comme MC truc ou DJ machin. Une tradition qui perdure. Mais depuis quelques années, ces maniaques du vinyle ont décidé de devenir des artistes. Ce qui nous a valu les bouffons Bob Sinclar et David Guetta, la face commerciale du mouvement. Les Birdy Nam Nam, eux, ont choisi l’originalité en jouant directement de la platine. En langage branchouille on appelle ça du "turntablism", ce qui n’a rien à voir avec le spiritisme, mais désigne une discipline dans laquelle les platines deviennent des instruments à part entière. Et dans le genre, Birdy Nam Nam fait partie des plus grands. Spécialistes des compétitions internationales de DJ (les DMC), les français Crazy B, Little Mike, DJ Pone et DJ Need, ont un jour décidé de s’associer dans ce collectif, dont le nom est tiré d’une réplique de Peter Sellers dans le film culte The Party. Symbole de leur popularité croissante, deux concerts enregistrés à la Cigale en juin 2006 ont donné naissance à un disque live, et surtout à un film tourné par François Bergeron, réalisateur à qui l’on doit déjà des documentaires sur NTM, la Mano Negra ou Bérurier Noir.
Mais revenons au "turntablism", ce truc étrange. « Un turntablist est une personne qui utilise les platines non pour jouer de la musique, mais qui isole et manipule les sons pour créer de la musique ». La citation est de DJ Babu, le grand maître de nos quatre Français. Grâce au film de Bergeron, nous pouvons admirer cet art en actes, notamment par le biais de caméras intelligemment situées au-dessus des DJs. En gros, pendant que la main gauche tripote le vinyle et produit les sons, la main droite agite le potard pour imprimer un rythme. Birdy Nam Nam fonctionne d’ailleurs comme un groupe où chaque platine correspond à un instrument de musique. D’où ces présentations au début du concert : « C’est Michael à la basse, Denis à l’accordéon, Nicolas et Thomas à la guitare. » En réalité, il s’agit un peu d’un coup de bluff, dans la mesure où les rôles ne sont pas tenus d’un bout à l’autre du morceau. Quoi qu’il en soit, le résultat impressionne par sa cohérence. Le formidable Abbesses, qui ouvre le spectacle, s’impose ainsi comme une oeuvre pérenne, suffisamment marquante pour fonder un courant encore balbutiant.
Dans le dossier de presse, le fameux Olivier Cachin assimile le style Birdy Nam Nam à « l’electro le plus acide mixé au hip-hop le plus smooth », un verdict pour le moins contestable. Même si les membres du collectif avouent être des fans de hip-hop, leur électro pour teufers serait plutôt ici combinée à une énergie rock qui apparaît dans toute sa splendeur avec des titres excellents comme Ready For War, Ready For Whut ? ou Violons Part 1, qui font parfois penser à de l’indus ou du metal industriel du type Nine Inch Nails. Difficile de voir du hip-hop également dans les textures sonores très latex de Too Much Skunk Tonight ou Too Much Screw. Enfin, sur Escape, l’influence de la musique de films transpire jusque dans le nom du morceau. Au fur et à mesure, la musique formalise une sorte de fuite en avant et crée même un suspense aux résonances cinématographiques.
Bien que minimaliste comparé à la vue d’un orchestre ou d’un groupe de rock, le spectacle des Birdy Nam Nam s’avère toutefois bien plus passionnant à regarder qu’à écouter. À titre d’exemple, le morceau Poppy sur DVD montre un public enthousiaste et des musiciens habités par leur musique, tandis que son écoute sur disque ne présente pas grand intérêt. Si Cachin parle abusivement d’"aura scénique" (c’est pas Iggy et les Stooges non plus), les quatre DJs possèdent bel et bien une certaine présence sur scène, et leur science de la platine fascine le spectateur. Dommage qu’un complexe d’infériorité et une recherche de légitimité les aient poussés à inviter des musiciens "traditionnels" pour ce concert. Au lieu de relever le plat, cet ajout ne fait que l’affadir. En effet, à côté de ce petit ensemble composé de percussions, d’une batterie, d’une basse et d’un clavier, les platines retrouvent leur ancien rôle de gadget musical, le tout versant alors dans un électro-jazz déjà-vu et poussif. Pour preuve, cet Abbesses version "acoustique" qui ne tient pas la comparaison avec son original. Seul Body, Mind, Spirit réussit à peu près l’amalgame.
Sans aucun doute, Birdy Nam Nam apparaît finalement comme l’une des grandes réussites musicales de l’année 2006. Reste une question : une fois l’instant de curiosité passé, leur style résistera-t-il au temps et pourra-t-il se renouveler ? En cas de réponse négative, nous pourrons toujours nous consoler avec ce définitif et éternel Abbesses, qui fait passer Bob Sinclar pour le roi des manchots et enterrera certainement tous ses tubes d’ici quelques décennies.
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